Extraits

Balzac, dit-on, commença sa "Comédie Humaine" par ces "Scènes de la Vie Privée", au nombre desquelles sont ici regroupés, outre "La Maison du Chat-Qui-Pelote", qui donne son titre au recueil, les trois textes suivants : "Le Bal de Sceaux - La Vendetta" et "La Bourse."

Ecartons d'ores et déjà "La Vendetta", où l'auteur sombre dans les abîmes du mélodrame le plus affreux sans jamais parvenir à passionner son lecteur. Les personnages - des Corses - y sont non pas incroyables mais si stéréotypés, si alourdis par la dignité et les traditions de leur race insulaire, qu'ils en deviennent de véritables caricatures. Qui pis est, l'action se met au diapason puisque Ginevra Piombo, la malheureuse et attachante héroïne, tombe amoureuse, au bout d'une cascade de coïncidences improbables, du fils de l'assassin de son frère (!!!). Son père, plus rigide dans son malheur et sa haine qu'un pilier en béton armé, l'anathémise évidemment de sa malédiction et, comme pour lui donner raison, le jeune couple, car Ginevra et Luigi Porta se sont mariés en tout bien tout honneur, devient très vite la proie d'une malchance acharnée. Tant et si bien que Ginevra et son bébé (oui, il y a aussi un bébé et n'allez pas prétendre que ça vous étonne ) finissent par en mourir. Alors, terrible comme l'Ange de la Mort (restons dans le ton), Luigi se précipite chez son beau-père pour lui annoncer l'épouvantable issue ...

Avec ça, "La Vendetta" constitue la nouvelle la plus longue du volume. A croire que Balzac ou bien s'est délecté à l'idée de faire pleurer Margot, ou bien avait besoin de remplir un maximum de lignes. Je préfèrerais la dernière hypothèse : elle expliquerait les longueurs et surtout l'aspect trop "léché" du récit.

En revanche, "La Maison du Chat-Qui-Pelote", réflexion intelligente - et toujours d'actualité même si on n'en parle pas - sur la nécessité d'épouser un homme ou une femme ayant les mêmes goûts intellectuels et ayant reçu une éducation similaire à la vôtre (ce que, dans la Bretagne des terres, on résume souvent par l'adage "Il faut se marier dans sa cour"), franchit très bien l'obstacle d'une lecture au XXIème siècle. Tout le malheur de la jeune Augustine Guillaume, fille de commerçants parisiens bien établis et qui se marie avec un artiste-peintre de grand talent mais aussi d'origine aristocratique, Théodore de Sommervieux, provient du mépris avec lequel elle-même et son mari ont traité le bon sens. Une fois leur première année de couple écoulée, Sommervieux se lasse et commence à courir dans les salons qu'il fréquente. Augustine, bien sûr, ne comprend pas, cherche à savoir ... et souffre plus ou moins en silence. Là aussi, la Mort rafle la mise.

Dans "Le Bal de Sceaux", Melle de Fontaine, fille d'un émigré revenu à la cour de Louis XVIII, s'est mis en tête de n'épouser qu'un pair de France déjà fait ou en passe de le devenir. Belle, instruite, pleine de charme en dépit d'un orgueil souvent trop envahissant, elle repousse sans cesse des prétendants qu'elle juge inférieurs sur tel ou tel plan. Un jour, à l'occasion d'un bal, elle remarque un jeune homme séduisant, distingué, etc ... qui semble donc posséder tout ce qu'elle recherche et qui, selon son raisonnement, s'il n'a pas encore la pairie, détient par contre tout ce qu'il faut pour l'obtenir, surtout s'il l'épouse, elle dont le père a l'oreille du Roi. Mais le jeune homme, quoique d'excellente famille, s'est vu contraint, pour soutenir financièrement les siens, de prendre un emploi de vendeur dans un magasin de nouveautés. Et Melle de Fontaine ne saurait, bien sûr, se commettre avec un vulgaire calicot ...

"La Bourse" enfin, seul texte ayant une fin heureuse, démontre que les apparences sont souvent trompeuses et les mauvaises langues, bien vipérines. Le héros, là encore, est un peintre, dénommé Hippolyte Schinner. Suite à un malaise durant lequel elles l'ont secouru, il se lie avec deux de ses voisines, Mme et Melle Leseigneur de Rouville, que la mort de leur époux et père a réduites à une misère digne, mais affligeante. Peu à peu, le doute s'installe dans la cervelle d'Hippolyte : ces dames ne tiendraient-elles pas table ouverte afin de gagner au jeu les subsides qui leur permettent de survivre ? ...

Certes, la qualité de ces trois intrigues n'empêche pas Balzac d'étaler ici et là - et avec sa largesse habituelle - son amour des clichés et des images souvent outrancières. Mais on sent bien qu'il se discipline : son génie naturel, en s'affirmant, parvient à limiter les dégâts. Et puis, l'époque n'en redemandait-il pas, de ce style et de ces émotions excessives, de ces larmes si vite apparues à l'oeil d'un tel ou d'une telle ? Au-delà, on retrouve l'une des qualités exceptionnelles de l'écrivain : l'empathie qui le liait aux femmes et à la condition qui leur était faite. Il n'est pas jusqu'à "La Vendetta" qui ne le rappelle en évoquant les "actes respectueux", cette acte passé devant notaire et qui permettait à une jeune fille (ou à un jeune homme) d'affirmer sa volonté d'aller, dès sa majorité, contre celle de son père ou tuteur.

Les femmes, l'écrivain Balzac comprend, par une sorte d'instinct protéiforme, qu'elles sont condamnées à subir. C'est leur constance, leur patience, ce courage tranquille dont elles savent faire preuve face à l'adversité, qu'il admire et vénère en elles. En fait, par-delà les siècles, Balzac demeure l'un des rares auteurs de sexe masculin capable d'exprimer avec la même impartialité les sentiments les plus intimes des hommes et des femmes. Il ne choisit jamais un camp : il observe, analyse, communie et retranscrit. C'est en cela que réside toute la puissance de sa "Comédie Humaine." :