Non pas, il faut s'empresser de le dire, en raison des opinions religieuses ou politiques du personnage. Les premières ne regardaient que lui et il n'a jamais cherché à les imposer. Son héros d'ailleurs ne va pas à la messe ... ;o)

Quant aux secondes, contrairement à ce qu'on a pu affirmer, elles n'ont jamais été extrémistes. Scout catholique dans sa jeunesse, Georges Rémi fut logiquement amené à donner ses textes et ses dessins à un journal de droite ("Le Petit Vingtième") dirigé par un religieux à poigne, l'abbé Wallez. Même quand il conclut un contrat avec Casterman, il conserva de bons rapports avec l'abbé et après-guerre, lorsque ce dernier connut quelques problèmes pour avoir un peu trop affirmé son pangermanisme, Hergé refusa de l'accabler. Dans son esprit, Wallez lui avait mis le pied à l'étrier et une chose comme ça, ça ne s'oublie pas, surtout quand elle vous a permis d'atteindre à un succès européen.

Hergé eut d'autant plus de courage à l'époque que lui-même se trouvait en assez mauvaise posture. S'il n'avait jamais propagé les théories de l'Occupant, il avait travaillé pour "Le Soir", passé sous le contrôle allemand. C'est dans "Le Soir" que parurent en effet quelques unes des meilleures aventures de "Tintin", des aventures qui ignoraient la guerre et emmenaient le lecteur à la recherche du trésor de Rackham le Rouge après leur avoir soumis l'énigme de "La Licorne", le fier vaisseau du chevalier de Haddoque. Bref, à l'Epuration, Hergé faillit tout perdre et avant tout le droit de travailler.

Mais non, ce n'est pas cela qui choque dans cette biographie. Hergé s'est amplement expliqué sur la Seconde guerre mondiale et l'Occupation, il n'a jamais renié ceux qu'il tenait pour ses amis, il ne s'est pas renié lui-même. Au demeurant, pour ceux qui n'ont pas connu l'entre-deux-guerres et l'état d'esprit qui animait à l'époque aussi bien partisans du totalitarisme soviétique que partisans du totalitarisme fasciste, il n'est peut-être pas du meilleur goût d'épiloguer.

En revanche, on est en droit de ne pas adhérer à la façon qu'eut Hergé de refuser à ses collaborateurs (comme E. P. Jacobs ou Bob de Moor par exemple) le droit de co-signer les albums "Tintin." Certes, les Studios Hergé ont aidé quelques dessinateurs de renom à se former (outre Jacobs, inoubliable auteur de "La Marque Jaune" et du "Mystère de la Grande Pyramide", on citera Roger Leloup et sa "Yoko Tsuno") mais quand vint pour eux l'heure de prendre leur envol vers d'autres cieux, le Maître les regarda partir avec une sorte de jalousie qu'il cachait mal et qu'on comprend d'autant moins que le succès de Tintin ne s'est jamais démenti. Et surtout, contrairement au scrupuleux Franquin qui ne manquait jamais de le signaler ou encore à Michel Greg à la fin de sa participation effective aux albums d'Achille Talon, Hergé n'a jamais laissé indiquer au-dessus du cul-de-lampe de la seconde page un nom autre que le sien.

Cette mesquinerie - peut-on utiliser un autre terme ? - on la rencontre dans son rapport avec les femmes et aussi dans un très pénible événement qui se passa au temps où il était encore marié à sa première femme. Comme ils ne pouvaient avoir d'enfant, ils allèrent chercher une petite fille à l'Assistance publique. Mais l'enfant faisait trop de bruit et Hergé en vint très vite à ne plus la supporter. Alors, on ramena la petite à l'Assistance, ainsi qu'on l'aurait fait d'un objet sans âme.

Imagine-t-on ce qu'en aurait pensé et dit Tintin ? Tintin, si altruiste, si tourné vers l'Autre et si épris de justice ? ...

Certes, me fera-t-on observer, nul n'est parfait. Ce qui est rigoureusement vrai. Seulement, la mesquinerie est d'autant plus choquante qu'elle apparaît dans un grand créateur et, dans le cas d'Hergé, on peut écrire sans exagération d'un créateur de génie. Voilà pourquoi cette biographie, passionnante et passionnée, nous laisse avec un petit goût amer dans la bouche.

Mais finalement, peut-être Hergé partageait-il lui aussi cette amertume ? Avec un homme aussi secret, aussi introverti, qui saura jamais ? ... ;o)