Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - Nouvelles

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vendredi, mars 2 2012

Nouvelles du Sud - Elizabeth Spencer

The Stories of Elizabeth Spencer Traduction : Simone Darses, Geneviève Doze & Monique Manin

Extraits Personnages

Dix-sept nouvelles en tout, qui se déroulent toutes dans le Sud - sauf "Moi Maureen" - des Etats-Unis, dans la petite ville de Richton, dans le Mississippi. On peut voir d'ailleurs dans cette ville l'alter ego littéraire de celle où naquit et grandit l'auteur tout comme la famille Wirth et ses ramifications évoquent sa propre parentèle.

Si l'on excepte la première nouvelle, "A la Brune", où se manifeste le spectre d'un vieil homme noir, et "Sharon", où la narratrice se rappelle la liaison qui existait entre son oncle Hernan et une servante, Mélissa, qui lui avait d'ailleurs donné quatre ou cinq enfants, on ne croise ici __aucun Noir. C'est l'univers des Blancs - ceux de la classe moyenne et mieux encore ceux de la vieille aristocratie sudiste, ayant ou non sauvé leur fortune du naufrage de la Sécession - que nous dépeint Elizabeth Spencer. De temps à autre, se profile la silhouette d'un "pauvre Blanc", paysan ou ouvrier agricole, et de sa misérable famille, mais sans la vigueur, la hardiesse et la hargne teigneuse que leur prête même une Margaret Mitchell.

A vrai dire, ces nouvelles parlent beaucoup du statut des femmes dans la société sudiste, un statut qui, quoi qu'on en dise, ne semble avoir guère changé depuis la Guerre civile. "Etre belle, tout supporter et se taire", la Scarlett d'"Autant en emporte le vent" jugeait déjà la chose stupide et injuste et l'avis de Spencer, s'il est un peu plus délicatement exprimé, n'en diffère guère. Ses héroïnes, jeune ou plus âgées, se retrouvent confrontées à des soupirants ou des maris qui veulent tout diriger (ou, à tout le moins, le faire croire) et qui boivent, semble-t-il, plus que de raison puisque, dans le Sud, boire est un art de vivre, en tous cas pour les hommes. Les plus modernes, celles qui ont le plus de moyens intellectuels et financiers, se rebellent et s'enfuient un peu plus au Nord pour tenter d'échapper à l'existence que leur a préparée la Tradition. (L'une d'entre elles, Maureen, ira même jusqu'au Canada pour tout oublier et se faire oublier.) Les plus "coincées" ou celles qui ont eu le malheur de naître trop tôt dans le siècle restent et se confient à la religion ou à la dépression - parfois aux deux. Comme les plus pauvres de leurs soeurs, elles subissent et se résignent.

Sortant tout juste des merveilleuses nouvelles d'Elizabeth Taylor lorsque je décidai de lire celles de Spencer, je pense n'avoir pas apprécié les siennes autant que j'aurais dû. Mais je sais avoir retrouvé en elle cette atmosphère inimitable, moite et lourde, qui vous donne l'impression de voir le Temps passer devant vous d'un pas superbement ralenti, cette atmosphère qui apparaît aussi bien chez Faulkner, Thomas C. Wolfe et Caldwell que chez Mitchell, O'Hara et Conroy et qui n'appartient qu'aux auteurs du Sud.__

Cela, déjà, suffirait pour lire un autre livre d'Elizabeth Spencer. Nous en reparlerons. ;o)

samedi, février 4 2012

Winesburg-en-Ohio - Sherwood Anderson

Winesburg, Ohio Traduction : Marguerite Gay

Extraits

La collection "L'Imaginaire", chez Gallimard, est vraiment passionnante. Elle permet de se procurer, à des prix raisonnables et dans une édition soignée, des textes qui ne viennent pas toujours à l'esprit et que l'on découvre avec plaisir dans un catalogue qui recense aussi bien le "Billy Budd" de Melville,que des romans de J. M. G. Le Clézio. En prime, parfois, un DVD - comme pour "Contes de Pluie & de Lune" de Ueda Akinari.

C'est donc dans cette collection que je viens d'achever le recueil de nouvelles le plus connu de Sherwood Anderson, auteur-phare de la littérature américaine qui influença Thomas Wolfe et John Steinbeck - pour ne citer que ces deux grands noms. "Winesburg-en-Ohio" comporte vingt-et une nouvelles se déroulant toutes dans cette petite ville du Middle West, avant la Première guerre mondiale, et comportant tout un lot de personnages récurrents. Celui de George Willard, tout jeune homme qui, dans les bureaux de la gazette locale, rêve de devenir un véritable écrivain, symbolise l'alter ego de l'auteur. Un alter ego évidemment jeune et encore bourré d'illusions mais qui, déjà, laisse percer la sensibilité unique qui lui permettra de se faire un nom dans la littérature américaine.

La nouvelle est un art difficile, peut-être plus que le roman - et le Grand Dieu Thot lui-même sait combien la voie de ce dernier, bien qu'impériale, peut se révéler traîtresse ... En ce qui relève de la nouvelle classique et n'appartenant pas à un genre précis (fantastique, policier, etc ...), mon Panthéon était jusqu'ici dédié aux "Trois M" (Mansfield, Maugham, Maupassant) et à Tanizaki. J'y fais une place ce jour pour Sherwood Anderson__ - croyez-moi, il le mérite.

Chez l'Américain, le non-dit ne sert à rien. Tout est expliqué, détaillé, en long et en large. Pour autant, ses nouvelles ne s'égarent pas dans un réalisme frustrant : au contraire, la poésie de ces temps révolus, où les Etats-Unis sortaient à peine de la petite-enfance, s'exprime ici de manière particulièrement délicate. On perçoit la tendresse de l'auteur envers ce petit monde qu'il fixe par l'encre et le papier afin de le sauver du néant, et cette tendresse ressuscite en nous ce qu'il y avait de plus lumineux, de plus doux, de plus aimable dans notre enfance : une bouffée de parfum qui, à peine remontée à notre mémoire olfactive, disparaît à nouveau dans les limbes du souvenir, l'éclat d'un rayon de soleil sur un mur bleu, que nous contemplions en rêvant (mais à quoi, déjà ?) dans notre lit d'enfant, la voix de notre grand-mère s'échappant par la porte de la cuisine, à la suite de l'odeur du café au lait, le pépiement du canari dans sa cage brunie par le temps, ce calme prodigieux des dimanche-matins, sur le chemin de l'église, la tarte aux pommes qu'on achetait ce jour-là et seulement ce jour-là ... __Peu d'écrivains, qu'ils soient nouvellistes ou romanciers, sont capables de vous faire revivre tout cela en vous invitant dans leur univers. Pour moi, il n'y a eu que Proust, Mansfield, Joseph Roth ... et Sherwood Anderson

Son style, fluide, imagé - et presque aérien - creuse au plus profond du sentiment, de l'émotion, du personnage. Anderson veut comprendre mais il veut aussi que son lecteur comprenne. Il délaisse la suggestion et le non-dit, techniques si fréquentes dans la nouvelle, ou plutôt, il repousse leurs limites, ce qui caractérise plus souvent la méthode du romancier. C'est, selon moi, ce qui fait la spécificité mais aussi la puissance de cet auteur. Une puissance qui ne s'impose pas comme une masse mais qui nous encercle peu à peu, mine de rien, presque en se jouant, et nous retient pour toujours.

A lire et à relire sans modération.