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Tag - Nicolas Cocaign

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jeudi, décembre 16 2010

Le Cannibale de Rouen - Nicolas Deliez & Julien Mignot ( IV )

Le meurtre et le dépeçage, vraisemblablement tous deux prémédités, en dépit des dires de Cocaign, de Thierry Baudry, sont la preuve du contraire. Si Nicolas Cocaign n'a pas sa place au coeur de notre société, il ne l'a pas non plus dans le monde carcéral : dans les deux univers, les anthropophages sont des déviants, atteint d'une perversion du goût et du comportement qui les rend extrêmement dangereux pour autrui.

Seule la sphère médicale est à même d'abriter des malades de ce type qui, obéissant à un désir insatiable de domination, de pouvoir, "chosifient" l'Autre à l'extrême, au point de ne plus voir en lui qu'une source de nourriture et/ou de plaisir. Avec Nicolas Cocaign, nous sommes aussi loin du cannibalisme purement "sexuel" d'un Jeffrey Dahmer que du cannibalisme dit "de survie", comme celui que furent obligés de pratiquer sur leurs co-passagers morts les malheureuses victimes du crash de l'avion uruguayen dans la Cordillère des Andes, en 1972.

Encore l'aspect sexuel de l'acte n'est-il pas ici à négliger complètement car, que les auteurs l'aient voulu ou non, le lecteur a parfois l'impression que, pour Cocaign, Baudry présentait quelque chose de "faible" et, partant, d'efféminé. Néanmoins, le cannibalisme "d'agression", celui qui place au-dessus de tout la quête de pouvoir, l'emporte en cette affaire.

Hanté et déséquilibré par une quête identitaire qu'on ne peut pas lui reprocher, Nicolas Cocaign a avoué songer depuis longtemps à absorber de la chair humaine. Est-il excessif de voir, en ce désir, la volonté de dominer enfin une situation sur laquelle il ne parvenait pas à avoir la moindre prise ? Rejeté par sa mère, par son père et, selon lui, rejeté par ses parents adoptifs et par tous ceux qui l'entouraient, puis, évidemment, par la société dans son ensemble, le violeur passe à l'acte et devient non seulement un assassin, chose somme toute assez banale à ses yeux, mais aussi un cannibale : en ingérant ce qu'il croit être le coeur de son co-détenu - et qui n'est en fait qu'un morceau de poumon - ne serait-ce pas tout ce qui, jusque là, s'est refusé à lui et l'a rejeté qu'il s'approprie, définitivement ?

Quand il retournera à la liberté - il a été condamné à trente années de prison - Nicolas Cocaign n'aura pas réglé son grave et douloureux problème. Bien au contraire, la sensation de rejet qui a empoisonné sa personnalité se sera accrue derrière les barreaux. Et que fera alors la société - que ferons-nous ?

Rien. Nous lui rendrons une liberté qui, pour lui, est une charge et, pour ceux qui le croiseront, se révèlera un péril aussi mortel que larvé. Nous ferons comme la DDAS, ce symbole inhumain de la bien-pensance : nous nous laverons les mains de ce qui pourra se produire. Dans l'état actuel de la science, il est certain que Cocaign n'est pas récupérable. On pourrait néanmoins l'astreindre à un traitement qui freinerait ses pulsions. Mais pour ce faire, il faudrait changer bien des lois et aussi - et surtout - une certaine façon "angélique" de voir les choses et qui demeure l'apanage de notre société depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Quel est le gouvernant qui osera ? Dans quels limbes se trouvent encore les associations et organisations qui feront bouger les choses ? ...

Alors, attendons. Attendons que Cocaign sorte de prison et qu'il tue et dépèce quelqu'un d'autre. Il en reprendra pour trente ans et, au bout de trente ans, avec un peu de chance, la Faucheuse sera passée le prendre ... Ah ! oui, Ponce Pilate savait comment y faire : dormez en paix, braves gens. ;o)

Le Cannibale de Rouen - Nicolas Deliez & Julien Mignot ( III )

A sa décharge, Nicolas fait de nombreux séjours dans des hôpitaux psychiatriques et ne fait pas faute de s'y proclamer dangereux - et même très dangereux - à qui veut l'entendre, insistant bien sur la pulsion sexuelle dont le déclenchement conditionne le déchaînement de sa violence. Au reste, quand on le soigne, il a toujours un traitement de cheval qui, s'il le poursuit, le transforme en semi-légume. Mais, comme de juste, les psys ne sont pas d'accord : certains le jugent, effectivement, très dangereux ; d'autres haussent les épaules et disent qu'il n'a pratiquement rien et que, si ses parents avaient été plus fermes avec lui ... Une psy ira jusqu'à déclarer aux malheureux Cocaign qu'ils n'ont qu'à se débrouiller pour que la DDAS reprenne Nicolas sous son aile. Où la psy en question a-t-elle pris l'idée d'une DDAS veillant, telle la Vierge Marie sur son illustre bambin, sur les enfants jadis remis à sa garde et devenus majeurs, on ne le saura jamais.

Quand Nicolas, brandissant la 22 long rifle que lui avait offerte ses parents pour un anniversaire, chasse ceux-ci de leur petit pavillon et s'y installe avec sa compagne et les animaux qu'il affectionne (serpents et mygales), les voisins n'en croient pas leurs yeux. Se sentant probablement coupables - mais de quoi sinon d'avoir été, parfois, c'est exact, trop faibles avec lui - les Cocaign ne se plaignent pas à la police et vont vivre à l'hôtel et, pour que leur fils puisse s'acheter à manger, ils passent régulièrement déposer de l'argent dans leur ancienne boîte aux lettres.Les voisins, qui connaissent Nicolas depuis qu'il avait trois ou quatre ans, ne bougent pas plus, et pourtant, Dieu sait si le fils Cocaign, sous l'effet de l'alcool, de l'herbe, des médicaments et de ses problèmes personnels, fait un boucan du Diable dans tout le quartier !__

Il faut dire que la DDAS, sollicitée, fait son Ponce Pilate et que les gendarmes ne peuvent pas grand chose tant qu'il ne s'est pas produit un meurtre ou au moins une tentative en ce sens. Quant au système hospitalier, Nicolas Cocaign étant majeur et non placé sous tutelle, il est impuissant. D'ailleurs, il faudrait déjà que les différents psys ayant connaissance du cas Cocaign s'entendissent sur lui avant de songer à agir ...

Il faudra attendre que Cocaign viole une jeune marginale pour que, enfin, le lourd appareil judiciaire se mette en branle. Le résultat, Nicolas se retrouve en prison, à Rouen, où son physique imposant et ses tatouages macabres lui attirent le respect de détenus qui ignorent qu'il est tombé en tant que "pointeur."

Mais la prison - sans suivi médical - était-elle la solution adéquate ? (A suivre ...)

Le Cannibale de Rouen - Nicolas Deliez & Julien Mignot ( II )

Cette source, donc, quelle est-elle ? On est tenté d'écrire qu'il s'agit du parcours habituel : un enfant né sous X et volontairement abandonné par une mère dont l'équilibre mental semble avoir été assez fragile, le passage dans une famille d'accueil où, par exception, le petit se retrouve choyé et à laquelle la DDAS s'empresse de l'arracher pour le faire adopter par un couple de quadragénaires bien intentionnés certes mais qui commettent déjà l'erreur de remplacer le prénom de "Didier", seul "don" fait par la mère à l'enfant qu'elle s'apprêtait à abandonner, pour celui de "Nicolas." Partisans de la vérité - qui les blâmera ? - les Cocaign révèlent assez vite à celui qui est devenu leur fils l'histoire qui fut la sienne avant d'arriver chez eux. L'enfant, comme on peut s'y attendre, est choqué, peiné mais, comme il le fait remarquer à l'époque, "l'important, c'est qu'on s'aime."

Oui, Nicolas est aimé, choyé même (voire un peu trop), et ceci bien que ses parents adoptifs soient peu démonstratifs. Dès qu'il manifeste ses premiers troubles de la personnalité, immédiatement étiquetés comme comportement hyperactif, le couple Cocaign entreprend le terrible parcours du combattant que connaissent tant de parents avec des enfants qui, pour leur part, leur sont bel et bien alliés par le sang : psychologue scolaire, psychologue indépendant, réunions diverses, etc, etc ... Comme ils sont assez aisés, ils tentent à peu près tout pour "aider" Nicolas : stages dans des centres équestres pour s'occuper des chevaux - que l'enfant, puis l'adolescent, semble adorer - etc, etc ...

Mais rien n'y fait. Lentement, mais sûrement, Nicolas se fraie son chemin d'abord vers la marginalité, ensuite vers la petite délinquance. Il s'abrutit à l'herbe, évite soigneusement la coke - une drogue qui ne favorise ni les longues journées à ne rien faire, ni les interminables palabres creux - ignore l'héroïne, s'abandonne à des pulsions sexuelles qui, depuis son adolescence, relèvent visiblement de l'excès, fantasme sur le sado-masochisme, puis le met en pratique avec la mère de sa fille, se passionne pour le satanisme, veut se faire tatouer les cornes de Satan sur la tête (!!) - le tatoueur ayant refusé, il opte pour un crâne - bref, il file plein vent à la dérive. ( Asuivre ...)

Le Cannibale de Rouen - Nicolas Deliez & Julien Mignot ( I )

Extraits

Merci aux Editions François Bourin qui, dans le cadre d'un partenariat avec Blog-O-Book, nous a donné l'occasion de lire cet ouvrage.

Fort bien documenté et donnant la parole aux proches de son triste héros, ce livre co-rédigé (en un style hélas ! détestable) par deux journalistes, Nicolas Deliez et Julien Mignot, a le mérite de refuser tout sensationnalisme - ce qui est rare, de nos jours - afin de mieux mettre en évidence les dysfonctionnements non pas de notre système judiciaire ou de notre système hospitalier mais bel et bien de notre société : car c'est d'elle qui sont tous deux tributaires et accabler l'un pour épargner l'autre, ou vice versa, n'a aucun sens si, en parallèle, on mène, par rapport à notre société tout entière, dominée par la bien-pensance et le politiquement correct, la sotte politique de l'autruche.

A l'origine du livre, le meurtre de Thierry Baudry, l'un des co-détenus de Nicolas Cocaign dans leur cellule 26 du Bâtiment 2, à la Maison d'Arrêt de Rouen, le 3 janvier 2007. Après avoir roué de coups, puis poignardé à maintes reprises le malheureux Baudry, Cocaign l'achève en l'étouffant avec deux sacs plastique. Puis, avec une lame de rasoir, il lui incise le thorax, en arrache ce qu'il croit être le coeur de sa victime et part tranquillement cuisiner celui-ci, dans la petite poêle commune, avec de l'ail et des oignons. Le tout sous les yeux exorbités de son second co-détenu, David Lagrue, qui, bien qu'ayant établi une excellente relation avec Cocaign, n'a qu'une seule peur : voir ce dernier se retourner contre lui. C'est pour cette raison, expliquera-t-il le lendemain aux surveillants et à la police, qu'il n'a pas appelé le gardien.

Après avoir établi les faits, sans trop patauger dans le gore, Deliez et Mignot entreprennent de remonter à la source de tout cela. Car enfin, à moins d'avoir été élevé dans une culture qui la pratique - et encore n'en use-t-elle que pour des cérémonies rituelles et dans des cadres très précis et sévèrement hiérarchisés - l'être humain, fût-il, comme l'est Cocaign un délinquant violent et un violeur, ne pratique que très rarement l'anthropophagie. (A suivre ...)