Storia della mafia, dalle origini ai giorni nostri Traduction : Jean-Claude Zancarini avec le concours du Cercle national du Livre

Extraits

Ecrite en 1996, cette "Histoire de la Mafia", rédigée par un historien qui enseigne l'histoire contemporaine à l'Université de Palerme, représente, sans ses notes, cartes et références bibliographiques, près de trois-cent-trente-cinq pages d'un texte serré et, avouons-le, un peu ardu, tout au moins en ce qui regarde sa première partie.

Il est en effet plutôt difficile pour les "Nordistes" que nous sommes - et précisons à ce sujet que, pour les Siciliens, le "Nordisme" commence à l'Italie du Nord (!!) - souvent imbibés, qui plus est, jusqu'à l'ivresse de culture américaine et de tout le folklore ressuscité ou remanié pour les feux du cinéma par une pléthore de grands cinéastes comme Scorsese et Coppola, de nous faire une idée exacte de ce qu'est la Mafia.

A l'issue de ma lecture personnelle de cet ouvrage, je suis pourtant tentée de la définir avant tout non comme une organisation, fût-elle criminelle, mais comme une mentalité, comme un état d'esprit. Et, n'en déplaise aux Siciliens et aux Italiens, il semble bien que cet état d'esprit soit né et ait prospéré en Sicile. Pourquoi ?

Même s'il évoque les différents courants qui ont colonisé la Sicile, Lupo repousse toute origine liée exclusivement à la façon de ses habitants de concevoir l'existence. Sans doute est-il plus ou moins dans le vrai lorsqu'il pointe, comme première cause de l'apparition de la Mafia dans l'île, l'antique système des latifundia, ces grandes propriétés foncières sur lesquelles travaillaient d'abord des esclaves, puis des ouvriers agricoles. Or, ce système, rappelons-le, Pline l'Ancien le jugeait déjà nuisible à l'économie. Pourtant, que ce soit en Sicile ou en Italie du Sud, il a survécu pratiquement jusqu'à l'après-guerre ...

Sous la pression des siècles et des diverses tempêtes traversées par le pays, les latifundia devinrent la propriété d'aristocrates dont certains étaient grands d'Espagne et ne mettaient jamais le pied en Sicile. Quand ils étaient italiens ou siciliens, c'était la même chose : ils possédaient mais ne géraient pas vraiment. D'où la nécessité pour eux de se trouver des sortes d'intendants sur lesquels ils pussent compter, et compter même doublement puisque, en Sicile, le brigandage et les enlèvements et demandes de rançon étaient pratiquement une institution. (Cette tendance au brigandage généralisé serait une conséquence de la pauvreté qui sévissait dans l'île et Lupo ne développe guère, arguant du tort que les folkloristes et anthropologues ont causé à l'image de la Sicile lorsqu'ils présentent la Mafia comme "bonne" à l'origine. On regrettera ce désintérêt car la différence qu'il établit par exemple entre les procédés du "brigand" Salvatore Giuliano - assassiné par un mafieux - et ceux de la Mafia est des plus ténues.)

L'intendant-intermédiaire entre le grand propriétaire et le brigand devenait ainsi un personnage très puissant, qui s'appuyait sur des hommes de main pas trop regardants sur la moralité pour faire régner l'ordre. Il est l'ancêtre du mafieux.

L'ordre : un mot-clef et peut-on dire sacré pour la Mafia, désireuse de présenter tous ses affiliés comme des serviteurs du droit, seuls capables de maintenir la paix et la justice en l'absence d'un Etat vraiment fort. Mais tout cela, bien sûr, n'est que fumée, les mafieux n'ayant jamais hésité, en fonction de leurs intérêts et en opposition flagrante avec ce code familialiste et "juste" qu'ils prétendent défendre, à faire massacrer des familles entières dans les villages de l'arrière-pays, y compris femmes et enfants.

La survivance et la dégénérescence des latifundia, telles seraient donc - très schématiquement - les parrain et marraine de la célèbre "Pieuvre." A cela s'ajoutent l'allergie à l'Autorité sous toutes ses formes qui - de toute évidence - afflige (ou magnifie, c'est comme on veut) la majorité des Siciliens et une mentalité d'îliens qui les pousse à vivre plus ou moins en autarcie. Les violentes contractions qui présidèrent à la naissance de l'Unité italienne n'ont pas arrangé les choses et la politique, et plus encore les politiciens des deux camps, chaque camp faisant tour à tour les yeux doux aux mafieux dans l'espoir de gagner les élections, a apposé sur une situation fort trouble dès l'origine le sceau indélébile de la corruption. (La tragi-comédie donnée par Andreotti, le leader incontesté du parti démocrate-chrétien, dans les années quatre-vingt, a confirmé l'ampleur du fléau.)

L'analyse de Salvatore Lupo est pointue et passionnée. On sent bien que la Sicile et ses habitants lui tiennent à coeur et qu'il a longuement réfléchi et mûri ses raisonnements. Pour peu qu'il s'accroche à la première partie, assez touffue, de son ouvrage, le lecteur finit par s'en rendre compte et par se prendre de sympathie pour l'auteur et sa démonstration. Attention cependant : ce livre n'est pas pour ceux qui fantasment la Mafia selon les critères américains. Lupo n'évoque que très brièvement celle-ci, Mafia en quelque sorte hybride et qui a perdu sa "pureté" originelle, __et ne se consacre qu'à la "Mafia-mère", la Mafia sicilienne, avec ses clans, ses rituels archaïques et ses modèles méditerranéens dans la plus mauvaise acception du terme. C'est dire qu'il faut, pour ouvrir cette "Histoire de la Mafia, des Origines à Nos Jours", s'intéresser sérieusement au sujet et en rechercher les causes historiques. Si tel n'est pas le cas, relisez Mario Puzo - ce n'est pas mal non plus./b