The Gospel Singer Traduction : Nicolas Richard

ISBN : 9782070389902

Extraits Personnages

Un roman noir dansant avec grâce sur le fil d'un funambule, telle pourrait être la définition parfaite de ce roman lancinant dont l'action se situe dans le Sud des Etats-Unis et traite essentiellement deux thèmes : la ferveur religieuse si particulière - et disons-le si dérangeante à plus d'un titre - propre à tant d'Américains et le phénomène, inexpiable aux yeux de trop de gens, de la différence. Ce sont ces deux thèmes qui créent le troisième : le meurtre d'une jeune fille blanche, poignardée soixante-et-une fois par un Noir qui ne se souvient pas de la raison qui l'a poussé au crime.

Bien que publié en tant que polar et/ou roman noir, "Le Chanteur de Gospel" pourrait à bon droit avoir son fil dans notre rubrique "Littérature made in USA." Sans avoir la puissance et les subtiles ramifications du "Sanctuaire" de Faulkner, il le rappelle tout comme, par moments, il fait songer non sans malaise à l'univers baroque et sinistre des "pauv' Blancs" de Caldwell. Et puis, au-delà la traduction, on perçoit un style travaillé, alliant la réflexion la plus aiguë et le vocabulaire qui va en général avec, au langage infiniment plus fruste et brut de décoffrage de personnages qui, dans l'ensemble, ont dû quitter l'école à la fin du primaire. Le découpage enfin ne compte aucun temps mort. Sachant que ce roman constitue le premier de son auteur, c'est du bel art.__

Nous sommes en Géorgie, à Enigma, une agglomération des plus modestes qui tient plus du hameau que de la ville mais dont les habitants ne seraient vraiment pas satisfaits si on le leur faisait remarquer. Au moment où s'ouvre le roman, un drame vient d'assombrir ces cieux pourtant d'habitude si paisibles qu'on en vient à détester leur immuable placidité : Mary Bell Carter, à peine âgée de vingt ans, a été assassinée de soixante-et-un coups de pic-à-glace par un prédicateur noir de la région, Willallee Bookatee, lequel l'aurait aussi violée. Forcément : un Noir ne tue une Blanche que pour la violer. Pour les gens d'Enigma, c'est l'évidence même.

Mais avant de procéder à l'inhumation et maintenant que l'assassin a été traîné en prison, tout Enigma attend la venue de l'Enfant prodigue du pays : le Chanteur de Gospel. Surtout que le Chanteur de Gospel, il l'aimait bien, Mary Bell. On pensait même que ces deux-là se marieraient. Alors, il est normal qu'on attende le retour du Chanteur de Gospel afin qu'il puisse chanter une dernière fois pour Mary Bell. Comme, de toutes façons, un grand revival est prévu dans le même temps à la sortie de la ville, on sait que le Chanteur de Gospel viendra.

De fait, il arrive.

Et plus rien ne sera plus jamais pareil, ni pour Enigma, ni pour le Chanteur de Gospel.

Comment dire la fascination - le mot n'est pas trop fort - que j'ai éprouvée à lire ce roman d'une noirceur irrécupérable ? Crews/b nous dépeint un héros qui, bdepuis l'enfance, se sent différent non seulement des membres de sa famille mais aussi de tous ceux qui l'ont vu grandir, à Enigma. Certes, il aime les premiers et il appelle toujours les seconds par leur prénom. Mais beau, blond, avec une voix offerte par Dieu et une intelligence correcte, le Chanteur de Gospel n'a qu'un rêve : quitter Enigma pour toujours, sans jamais avoir besoin d'y revenir. Et pourtant, les sentiments - très ambigus - qu'il porte à Mary Bell l'ont toujours contraint à revenir. En apprenant sa mort, il se sent enfin libéré. Mais ayant commis l'erreur de rendre visite à Willalee, qui fut l'un des copains de son enfance, il prend conscience que, même s'il ne l'a pas commis directement, il est le seul responsable du meurtre. Alors, il veut fuir mais pas sans sauver la peau de Willalee. Or, enlever leur proie aux amateurs de lynchage, surtout en plein état sudiste, relève de la folie suicidaire. Le Chanteur de Gospel finit par renoncer. Mais son Destin - Dieu pour certains - ne l'entend pas ainsi ...

Autour de l'axe central, une stupéfiante galerie de portraits : le shérif obèse qui ne tente que pour la forme de s'opposer au lynchage, le croque-morts qui réclame au Chanteur de Gospel la faveur d'autoriser sa petite fille de trois ans, aveugle, à lui toucher le visage afin de le "voir", la mère de la défunte, son bonnet noir et ses pleureuses, l'incroyable famille du Chanteur de Gospel - ne ratez ni son frère, Mirst, ni sa soeur, Avel]: avec eux, comique garanti mais comique complètement frappadingue et qui laisse un goût d'amertume - Didymus, son imprésario, persuadé que sa propre mère siège à la droite du Seigneur et que lui-même est venu sur terre pour sauver l'âme du Chanteur de Gospel, Pied, le directeur de la foire aux freaks qui suit comme une ombre avide l'itinéraire du Chanteur de Gospel, et bien sûr, monstrueuse, épouvantable, dénuée du moindre atome d'empathie, ne pensant qu'à satisfaire ses besoins de vampire, la Foule se pressant, s'étouffant, s'étalant, se gonflant, se propulsant, pour assister au revival - comme à tout spectacle supplémentaire tel un bon vieux lynchage.__

Fascinant je le répète, émouvant, authentique et noir, résolument noir parce que noir rime avec sans espoir, "Le Chanteur de Gospel" est un grand livre. Vérifiez donc par vous-même.