Der Vulkan Traduction : Jean Ruffet

ISBN : 2855651964 ''Extraits'' Personnages

Moins maîtrisé - en tous cas à notre sens - que "Méphisto", "Le Volcan", sous-titré : "Un Roman de l'Emigration Allemande (1933 - 1939), n'en occupe pas moins une place importante dans l'oeuvre de Klaus Mann en ce sens qu'il dépeint sur le vif les comportements, à vrai dire très divers, qu'engendra en Allemagne l'arrivée au pouvoir des nationaux-socialistes.

L'action se situe pourtant presque entièrement hors d'Allemagne, essentiellement à Paris et, dans la dernière partie, aux Etats-Unis. Dans la capitale française - qu'il semble avoir beaucoup aimée - Mann recrée tout un groupe d'exilés, de ceux qui quittèrent l'Allemagne soit dès 1933, soit un peu avant, soit un peu après. Les deux figures marquantes en sont Marion von Kammer, jeune comédienne en qui on peut sans doute retrouver quelques traits d'Erika, la soeur de Klaus, et Martin Korella, ex-comédien homosexuel que ses tendances autodestructrices conduiront à sombrer dans l'héroïne. Ce mal de vivre, qui est comme la ligne directrice du personnage, fait penser de son côté au destin personnel de l'auteur, lequel se suicida en 1949.

Autour d'eux gravite une foule de personnages : Kikjou, jeune mystique partagé entre l'homosexualité et la foi, la mère Schwalbe, dont le restaurant qu'elle a rouvert à Paris est devenu l'un des points de ralliement des émigrants allemands, Dora Proskauer, jeune femme qui fait des pieds et des mains pour faire sortir d'Allemagne nombre de Juifs et de personnes suspectées par le gouvernement nazi, Marcel Poiret, écrivain français et amant épisodique de Marion, qui finira par mourir en Espagne, en combattant aux côtés des Républicains, et bien d'autres.

De temps à autre, en Suisse, nous retrouvons la mère et la soeur de Marion, Tilly von Kammer. Elles ont dû fuir leur pays parce que Marie-Louise, la mère, avait épousé un Juif et que, ce faisant, ses filles n'étaient plus en sécurité dans le Reich. Le destin de Tilly n'en sera pas moins tragique : elle se suicidera après un avortement raté. Quelques scènes en Hollande nous font apercevoir celui qui deviendra le grand amour de Marion, le professeur Abel, universitaire juif évidemment chassé d'Allemagne en raison de ses origines ethniques.

La majeure partie de ces personnages sont ou franchement communistes, ou fortement orientés à gauche. Ces choix politiques, que l'on peut comprendre en se remettant dans la perspective de l'époque - et bien que Mann ne fasse pas allusion au pacte germano-soviétique ou encore aux querelles terribles qui, à l'intérieur du parti républicain espagnol, permirent à Franco de prendre le pas sur ses ennemis - sont malheureusement très mal gérés par l'auteur.

Cela commence à déraper au dernier tiers du livre, dans des réunions politiques où l'on voit un Kikjou à demi illuminé s'enflammer tellement à la tribune pour le Parti communiste qu'il en vient à brandir le poing - un geste beaucoup moins anodin à l'époque qu'il ne l'est devenu. Klaus Mann bascule dans l'écriture engagée ... et perd le contrôle d'un attelage fringant et bien mené.

Mais pires que l'engagement politique - bien pires - les interpellations semi-mystiques aux personnages principaux, sur Dieu et sur la foi, rendent la fin du "Volcan" pratiquement imbuvable, non pour tous les lecteurs sans doute, mais pour une certaine catégorie d'entre eux. Ce mélange politique-foi crée un cocktail tout à fait indigeste qui, bien loin d'éblouir et d'enivrer, s'évapore dans un "pshitt" d'eau gazeuse mal conditionnée à la fermeture. On le déplore avec d'autant plus de tristesse que "Le Volcan", dans ses deux premiers tiers, tient du "grand livre" et révèle, chez son auteur, une tendance à manier la fresque au moins égale à celle manifestée par son père, Thomas Mann, dans l'inoubliable "Montagne Magique."

Et puis, répétons-le, Klaus Mann nous dépeint l'Allemagne et les Allemands - les exilés et les autres - tels qu'il les a connus et pratiqués à l'époque, donc avant que l'Histoire ne soit réécrite par les vainqueurs. Même si on peut l'accuser de subjectivité, cette vision n'en demeure pas moins précieuse. Et puis, l'on sent bien que le sérieux de l'écrivain l'emporte sur sa subjectivité - sur son désir d'oublier ou de ne pas mentionner certaines choses. Il va même jusqu'à évoquer les paroles de Juifs allemands de province, estimant (nous citons de mémoire) que "les Juifs de Berlin étaient allés trop loin et qu'Hitler avait bien raison de les traiter comme il le faisait."

Pour lire "Le Volcan" jusqu'à sa fin ouverte, il faut donc ou bien témoigner d'une remarquable imperméabilité au pathos, ou bien se sentir assez de courage pour y plonger sans s'y noyer. Nous l'avouons, la chose nous fut difficile. Surtout que l'écriture s'en ressent : Mann ne s'en rendait peut-être pas compte mais la dernière partie de son livre est pesante, il peine à l'achever et, pour résumer l'affaire, il fait rejaillir là-dedans ce qu'il y a de pire dans la littérature allemande : le romantisme échevelé et larmoyant.

Doit-on pour autant laisser de côté "Le Volcan"  ? Non, ce serait une erreur. Après tout, certains lecteurs apprécieront et d'autres feront la part des choses. Seuls quelques irréductibles s'agaceront et auront des petits boutons - au dernier tiers seulement. En outre, la sincérité de Klaus Mann est patente et, rien que pour cela, son livre mérite d'être lu. Son livre ? Que dis-je ? Son oeuvre entière plutôt. A bon entendeur.