Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - Kirino Natsuo

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dimanche, janvier 29 2012

Le Vrai Monde - Kirino Natsuo

Riaru Warudo Titre américain : "Real World" Traduction de l'anglo-américain : Vincent Delezoide

Extraits Personnages

Une fois de plus, un texte qui nous parvient par le biais de la traduction d'une traduction ! Franchement, quand les éditeurs français comprendront-ils que, même s'ils y trouvent certainement leur profit personnel, cela lèse le lecteur ? Déjà, si habile qu'elle soit, une traduction laisse toujours passer quelque chose mais alors la traduction d'une traduction ! Surtout quand on a une certaine notion de la langue japonaise, si nuancée, si pointilleuse, et qu'on connaît assez bien l'honnête pragmatisme de l'anglais moderne ! De telles pratiques sont, répétons-le, condamnables.

Beaucoup plus court que "Out" et "Monstrueux", "Le Vrai Monde" reprend lui aussi le prétexte d'un assassinat atroce - le meurtre d'une mère par son fils adolescent - pour dénoncer les excès d'un système. Kirino nous permet d'entendre les critiques sur le système scolaire japonais à la base la plus concernée par ces critiques, à savoir les adolescents. Des adolescents qui, à l'issue de la crise provoquée par le crime, passeront à jamais à l'âge adulte.

Si, comme nous, on a lu "Monstrueux" juste avant "Le Vrai Monde", le discours semblera assez désagréablement répétitif. On pourra même avoir l'impression que l'auteur écrit à dessein sur un thème qui, dans son pays, doit cartonner. Ce qui est peut-être exact mais, en l'absence d'une traduction directement issue du japonais, nous ne le saurons jamais.

Au compte des points forts de ce roman, on mettra des héros - les quatre adolescentes et le jeune tueur - assez finement analysés. Leur malaise, cet étouffement progressif qu'ils ressentent au coeur de la société, ce gouffre qui se creuse entre eux-mêmes et le monde des adultes, à commencer par celui de leurs parents, tout cela est pour ainsi dire palpable. D'une manière différente de la jeunesse occidentale mais de façon tout aussi grave, la jeunesse nippone donne l'impression d'une petite planète qui, brusquement, s'est vue arrachée à son orbite naturel et protecteur (l'axe parental et familial, très important dans la culture japonaise) pour se retrouver propulsée dans une solitude aux proportions intersidérales.

Pour y échapper, certains choisissent la violence et la Mort, tant pour les autres que pour eux-mêmes.

Néanmoins, ici encore, nous ne recommanderons la lecture de ce livre qu'aux inconditionnels de Kirino Natsuo. ;o)

samedi, janvier 28 2012

Monstrueux - Kirino Natsuo

Titre original : Gurotesuku Traduit de l'édition anglaise "Grotesque" par Vincent Delezoide

Extraits Personnages

En lisant les critiques du livre sur Amazon, on constate qu'un reproche revient souvent sur ce livre : on ne croirait pas qu'il a été écrit par l'auteur de "Out." Pourtant, apparemment, il a été édité après ce dernier. Le problème vient peut-être de ce que, contrairement à ce qu'il s'est passé pour le premier grand succès de Kirino Natsuo, la traduction française vient du texte anglais et non du texte japonais. Et puis, si l'auteur avait choisi pour héroïnes de "Out" des femmes faites et matures (à l'exception de Jônuchi, peut-être), elle s'intéresse ici à des personnages qui, tous ou à peu près, en sont restés à une mentalité adolescente qu'on retrouvera d'ailleurs, en plus tranché encore si possible, dans "Le Monde Réel." En outre, à la troisième personne, qui permet un maximum de recul et à l'écrivain, et à son lecteur, se substitue dans "Monstrueux" un "Je" souverain mais fortement égomaniaque.

A l'origine de l'intrigue, une union mixte entre un Suisse dur au travail mais à la personnalité mesquine et une Japonaise pas très jolie. Le Suisse en question n'étant pas lui-même un Apollon, le couple est donc très étonné de donner un jour naissance à la petite Yuriko, à la beauté exceptionnelle. Cette enfant va dès lors devenir la préférée de ses parents, aux dépens de son aînée, assurément beaucoup moins jolie (pour ne pas dire laide) mais aussi bien plus douée sur le plan intellectuel.

Par sa beauté et par la certitude, ancrée dans son enfance, que cette beauté lui permettra de réussir sans se donner beaucoup de mal, Yuriko va donner à son existence un cours qui la conduira à finir assassinée par un émigré chinois sans papiers pour le moins aussi égocentrique qu'elle. Mais le plus terrible, c'est que la perception de cette beauté influera également de manière tragique sur le destin de ses proches, parmi lesquels sa soeur aînée mais aussi sa mère et une ancienne condisciple, Satô Kazue, laquelle finira par se prostituer pour l'imiter.

Une fois de plus, mais avec une violence beaucoup plus brute que celle rencontrée dans "Out", Kirino Natsuo tire à bouts portants, et pour ainsi dire au bazooka, sur la société japonaise. Elle s'acharne tout particulièrement sur le système éducatif, axé dès les petites classes sur un élitisme qui ne laisse pratiquement aucune chance aux élèves dont les parents n'ont ni moyens financiers, ni relations. Il y a de quoi en perdre le souffle.

Moins affinés que dans "Out", les personnages sont bruts de décoffrage et raisonnent tous plus ou moins comme les adolescents frustrés qu'ils sont, quelque part, restés dans leur coeur. Cela pourrait amuser s'ils n'étaient tous aussi cyniques, aussi persuadés que seule compte la réussite sociale. Les relations avec leurs parents sont quasi inexistantes ou perverties justement par cette course au succès. Quand on sait l'importance que revêtent la famille et le clan dans la tradition japonaise, il y a là de quoi avoir des sueurs froides.

Quant à l'assassinat de Yuriko et celui de Kazue, amateurs de polars, passez votre chemin : tous deux ne sont qu' une conséquence accessoire de l'existence complètement déviée et déviante qu'elles ont menée, chacune à sa façon./b A tel point qu'on se demande avec raison pourquoi les éditeurs s'entêtent à publier ce roman sous le bandeau "policier."

Un roman à ne réserver, à mon sens, qu'aux inconditionnels de l'auteur. En attendant une traduction directe du japonais. ;o)

Out -Kirnio Natsuo

Auto Traduction : Nakamura Ryôji & René de Ceccatty

Extraits Personnages

Si nous ouvrons ce fil non dans la section "Polars" mais dans celle dédiée à la littérature asiatique, c'est que, un peu comme la Barbara Vine qui se dissimule sous les traits de Ruth Rendell, Kirino Natsuo utilise un argument policier pour dépeindre et critiquer, de façon pertinente et souvent violente, la société japonaise moderne. Elle le fait, notons-le, avec une agressivité plus radicale que l'auteur anglais contemplant sa propre culture. Question - peut-être - de génération, plus sûrement de contexte : contrairement à la Grande-Bretagne, le Japon a connu tout d'abord une modernisation en quelque sorte à marche forcée et, après les horreurs d'Hiroshima et de Nagasaki, une américanisation outrancière qui, certes, a permis de relever le pays mais à quel prix ...

Dans une usine qui prépare des plateaux de sushis, quatre femmes venues d'horizons bien différents ont choisi, pour des raisons purement salariales, de travailler de nuit, c'est-à-dire de minuit à cinq heures du matin, en non-stop ou presque.

Katori Masao, la quarantaine bien affirmée, souffre du repli sur soi-même marqué depuis des années par son époux, souffrance aggravée par le silence dans lequel s'enferme désormais leur fils lorsqu'il vient à les croiser dans l'une ou l'autre pièce de leur petite maison. Jônuchi Kuniko vit pour sa part en concubinage avec un compagnon qui ne tardera pas à la quitter, et sans trop se soucier des dettes de plus en plus élevées qu'elle contracte pour se montrer sans cesse "dans le vent", à la manière occidentale. Azuma Yoshie, la plus âgée du groupe, réputée pour sa cadence au travail, est veuve et doit s'occuper d'une fille impatiente de voler de ses propres ailes mais bien contente de puiser dans la maigre bourse maternelle, et de sa belle-mère grabataire - à la fin du livre, elle se retrouve en outre en charge de son petit-fils, que sa fille aînée, enfuie depuis longtemps, revient sans cérémonie lui déposer chez elle. Enfin, Yamamoto Yayoi, pourtant la plus jolie du lot, connaît de gros problèmes de couple (scènes diverses, violences) auprès d'un époux qui sort de plus en plus et a commencé, sans bien sûr lui en rien dire, à fréquenter les salons de jeux et les bars à hôtesses les plus luxueux de la ville.

Un soir, vers les onze heures, alors qu'elle s'apprête à partir pour son travail, Yayoi, devant son aveu cynique qu'il vient d'épuiser toutes leurs économies, étrangle par surprise son mari. Reprenant ses esprits, elle décide de se confier à Masao, en qui elle voit probablement un substitut maternel, et celle-ci lui promet de l'aider à se débarrasser du cadavre ...

A partir de là commence, pour chacune de ces femmes - puisque, une à une, toutes finiront par être impliquées dans l'affaire - une descente non pas en Enfer mais au plus profond de ce que leur personnalité est capable d'accomplir pour se sortir sans trop de mal de ce que leur impose une société gouvernée par la volonté de ne jamais perdre la face, le désir insatiable de réussite et la tolérance la plus totale envers ce que peuvent s'autoriser les membres du sexe mâle.

Car "Out" est aussi une étude soignée - on pourrait presque écrire "au petit point" - de la condition féminine dans le Japon contemporain. Si l'on veut bien garder à l'esprit que la culture japonaise est, depuis toujours, à vocation patriarcale, on constate ici que la modernisation du pays n'a pas changé grand chose à cet état de fait : pis, elle semble même l'avoir aggravée. L'Homme domine toujours, tout lui est permis mais la femme, elle, doit encore, sous peine d'être cataloguée comme mauvaise épouse, mauvaise mère, etc, etc, ..., endosser toutes les corvées quotidiennes, et ceci sans protester une seule fois. Faute de quoi, elle risque gros, telle Jônuchi, personnage à vrai dire assez peu sympathique qui, à trop vouloir faire la maligne, finit prise à son propre piège.

Un livre épais mais qu'on ne veut lâcher pour rien au monde avant d'en voir la fin, à la traduction soignée, à l'intrigue alerte et épicée d'une sacrée dose d'humour noir, aux personnages riches et complexes. A ce jour, c'est pour nous le meilleur livre de son auteur. Lisez-le : vous nous en direz des nouvelles. ;o)