Midnight in the Garden of Good & Evil Traduction : Thierry Piélat

Extraits Personnages

Bien que j'aie apprécié cette oeuvre hybride, qui tient à la fois de la chronique et du roman, je m'étonne qu'elle ait pu se maintenir deux-cent-seize semaines d'affilée dans la liste des best-sellers du "New-York Times." Il est vrai que, si le Nord a vaincu le Sud, celui-ci n'en a pas fini de fasciner ses vainqueurs et ce phénomène est à mon avis pour beaucoup dans l'engouement des Américains envers ce livre.

L'auteur, un Yankee qui a vécu huit ans à Savannah, dans l'Etat de Géorgie, est littéralement tombé amoureux de cette ville qui déjà, du temps de Scarlett O'Hara, était considérée comme une ancêtre distinguée par des cités comme Atlanta. Avant tout, c'est cette caractéristique qui semble avoir fasciné John Berendt. Cela et puis la foule de personnages qu'il y a rencontrés et qui, à de très rares exceptions près, appartiennent tous au gratin social de Savannah. L'affaire du meurtre de Danny Hansford par l'antiquaire Jim Williams est noyée dans la masse - à la différence de ce qu'il se passe dans l'excellent film éponyme de Clint Eastwood.

Comme beaucoup de villes et de villages, Savannah prit vie sur les berges d'un fleuve qui lui donna son nom. J'ignore à quel rythme coulent et chantonnent les eaux de la Savannah mais je le suppose, peut-être à tort, paresseux et indifférent au reste du monde. Un rythme similaire à celui de "Minuit ...", livre attachant, instructif et même passionnant pour les amateurs d'Histoire et d'anecdotes, qui a tout d'une flânerie littéraire parmi des personnages plus excentriques les uns que les autres mais aussi un livre qui laisse le lecteur sur sa faim, allez savoir pourquoi.

C'est un monde à part, avec ses codes et ses manies, que s'attache à dépeindre John Berendt. Un monde de privilégiés pour lesquels Appomatox, c'était hier, au pire avant-hier, et qui préfèrent oublier cet "incident", un peu comme les anciens émigrés français, obligés par la marche de l'Histoire, à cohabiter avec les rustres bonapartistes, avaient choisi de faire l'impasse sur la disparition de leur ancien mode de vie.

Dans la Savannah de John Berendt, on peut se demander s'il existe des quartiers pauvres et populeux. Les Noirs qu'on y aperçoit ont fait fortune et parrainent chaque année, eux aussi, un "bal des débutantes." Evidemment, Chablis la Travestie vient y mettre les pieds dans le plat lorsque l'occasion se présente mais Chablis est si originale, si excentrique, qu'elle ne saurait être représentative du lumpenprolétariat noir de Géorgie.

Le lecteur lit un peu comme dans un rêve. A certains moments, il peut même se demander ce qu'il fait là. Bien sûr, certains personnages sont vraiment drôles ou émouvants - parfois les deux. Mais le rythme est trop lent ; la première partie du livre, consacrée au portrait de la société savannahienne, est trop longue par rapport à la seconde - ce qui est un comble car c'est cette seconde partie qui comporte le plus de chapitres ; l'ambiguïté foncière de Jim Williams, si elle est montrée sous tous les angles, n'est pas analysée en suffisance ; quant à la fin, elle est trop neutre, pas assez osée, avançant d'un pas pour reculer de trois.

Bref, un livre bâti de bric et de broc, où la lenteur de la chronique fait de l'ombre à l'action romanesque - mais un livre racheté par quelques uns de ses "héros" et, en particulier, Joe Odom, lady Chablis et Minerva. A lire un jour que vous serez d'humeur paresseuse et assoiffée de ragots sur les riches (et moins riches) familles sudistes. ;o)