Heute wär ich mir lieber nicht begegnet Traduction : Claire de Oliveira

ISBN : 9782757820148

Extraits Personnages

Herta Müller a une façon bien à elle de dire la tyrannie sous Ceaușescu. Peut-être en raison de ce Prix Nobel remporté en 2009, le lecteur s'attend à une histoire et à une construction classiques autour d'une intrigue classique entre toutes dans cette Roumanie en esclavage : une femme est convoquée une fois de plus dans un bureau de la Securitate, la police du régime, de sinistre mémoire. Tout cela parce que, il y a quelque temps, lasse de la vie qu'elle menait, elle a glissé des appels à l'aide dans les doublures des pantalons que l'usine où elle travaille devait expédier en Italie.

En lieu et place, on tombe sur une technique très moderne, avec un présent de l'indicatif nerveux et sec, qui vous fait plonger au plus direct de l'histoire, et une construction morcelée entremêlant souvenirs et réalités actuelles. Il faut aussi, et assez souvent, non pas lire vraiment entre les lignes mais presque, et relire certains passages qui, si innocents qu'ils paraissent, parlent en fait de la situation de la narratrice. Pour un lecteur convaincu, le résultat est un peu déstabilisant. Pour un lecteur épisodique, il le sera bien plus encore. La langue n'est pourtant pas ardue ou touffue. Là encore, c'est un mélange : poésie et réalisme, réflexions sur une société qui étouffe dans la prison qu'on lui impose et illuminations oniriques partant parfois en tous sens. Tout cela n'est pas gratuit : cette façon d'écrire correspond bien à une héroïne qui ne sait plus où se procurer l'oxygène nécessaire à une existence un tant soit peu correcte et qui, par conséquent, n'hésite pas à frayer avec l'absurde, l'irréel, l'insaisissable. Sous une dictature, tous les moyens sont bons pour rêver - et pour penser.

En dépit de cette dispersion apparente des idées, l'ensemble du récit constitue un bloc compact qui atteint sans mal le but recherché : restituer l'ambiance de ces années-là dans la vie d'une femme de la classe moyenne qu'une imprudence a placée sous la surveillance incessante de la Securitate. Müller démontre la perversité du système qui ne se contente pas de s'attaquer à celle qu'il tient pour coupable mais tisse en outre autour d'elle une véritable toile d'araignée dans laquelle viennent se prendre, quelquefois - mais pas toujours - en toute innocence ses relations, ses voisins et même son amant.

... A moins, bien sûr, que la paranoïa atteigne chez notre héroïne un si haut degré qu'elle finit par y attirer celui qui la lit, lequel, à son tour, s'imagine que ... La fin est en ce sens un énorme et inquiétant point d'interrogation : vrai ou faux ? coïncidence ou pas ? apparence ou réalité ?

Peu à peu, on se prend au jeu amer de Herta Müller, à ses phrases sèches qui alternent le rêve et le pragmatisme, à ses personnages qui jamais, au grand jamais, n'évoquent le dictateur mais qui ont conscience de l'esclavage dans lequel les maintient son régime et qui, pour certains, sont tout prêts à en tirer avantage dès que l'occasion leur en est donnée. C'est le cas par exemple de Nelu, supérieur hiérarchique de l'héroïne qui, la voyant rompre, s'acharne à la faire renvoyer de l'usine en la noircissant un peu plus auprès de la Police secrète.

Dans cette Roumanie aux arrêts, l'espoir n'est pas, on s'en doute, la valeur dominante. "La Convocation" s'en fait l'écho, livre désespéré, épuisé, exsangue, dont l'héroïne ne peut compter, en définitive, que sur elle-même - tant qu'elle gardera sa raison.

Un ouvrage intéressant à plus d'un titre, d'où il émane par moments une curieuse impression hypnotique, mais dans lequel on aura parfois du mal à entrer en raison de son caractère épuré, proche du minimalisme. Si l'on y parvient, il y a en revanche beaucoup de chances pour que l'on soit tenté de lire d'autres romans de Müller.