Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - Heinrich Böll

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lundi, juin 11 2012

Portrait de Groupe Avec Dame - Heinrich Böll (Allemagne)

Gruppenbild mit Dame Traduction : S. & G. de Lalème

Extrait Personnages

Voici un livre dont nous attendions beaucoup et qui nous a, malheureusement, déçu. Pendant plus de quatre cents-pages environ - et le livre en comporte un peu plus de cinq cents dans cette édition - tout se passe pourtant bien. Mais à compter de l'intermède romain, c'est-à-dire de la visite rendue par le narrateur à Soeur Clémentine, afin d'essayer de faire le point sur les rapports de l'héroïne avec la soeur Rachel Maria Guinzburg, on plonge. Et vertigineusement. C'est un peu comme si, à la toute fin d'un film sur l'Allemagne et son peuple pendant les années hitlériennes, le metteur en scène avait l'idée incongrue d'amener des couplets de comédie musicale et l'intrigue qui va avec. En tous cas, c'est ce que nous sommes au regret d'avoir ressenti.

C'est d'autant plus regrettable que tout le reste du roman empoigne le lecteur même si les tics d'écriture imposés au narrateur sont susceptibles d'indisposer quelques impatients. L'héroïne, Leni, qui ne s'exprimera jamais directement, avait vingt ans durant la Seconde guerre mondiale. Fille d'un homme d'affaires brillant mais volontiers escroc et d'une jeune femme au tempérament anticonformiste, Leni paraît avoir traversé cette période ô combien épineuse sans s'y être véritablement impliquée. Non parce qu'elle détourne la tête ou ne veut pas voir ce qui se trame autour d'elle : simplement parce que sa réalité n'est pas la même que celle de ses contemporains. Qu'on le veuille ou non, Leni reste en effet une femme "décalée", peu en phase avec son environnement. Le lecteur peut même penser à un trouble de la personnalité mais cela n'est jamais dit de manière explicite.

Leni, qui a bon coeur et n'aime pas l'injustice, apportera pourtant de la nourriture et des cigarettes à Soeur Rachel lorsque les origines juives de cette dernière contraindront sa communauté à la dissimuler dans leur couvent. Elle restera marquée - le contraire eût été invraisemblable pour une nature aussi sensible - par l'exécution de son frère, lequel s'était enrôlé dans la Wehrmacht pour le seul plaisir, semble-t-il, de s'opposer aux autorités militaires. Et bien sûr, au beau milieu de la guerre, la jeune femme, veuve d'un homme qu'elle a épousé comme par ennui, trouvera le moyen non seulement de tomber amoureuse d'un prisonnier soviétique mais encore de se retrouver enceinte de ses oeuvres. Pour finir, soutenue par à peu près toutes ses connaissances, à commencer par son employeur, le fleuriste en tous genres Pelzer, elle accouchera d'un fils dans un caveau funéraire, alors que les bombes américaines n'arrêtent pas de pilonner Berlin.

Pour quelqu'un qui n'a jamais l'air d'y toucher, c'est là un beau parcours.

Böll nous le raconte avec une finesse malicieuse, dans un ordre qui n'est pas toujours chronologique (il nous immerge dès le début dans l'Allemagne des années soixante-dix), avec des digressions, des retours en arrière, des réflexions très sérieuses sur le destin commun d'un peuple et, cela va de soi, toute une foule de témoignages émanant de ceux qui ont connu, aimé ou détesté Leni - et dont le temps écoulé n'a pas modifié les sentiments. Toutes figures hautes en couleur avec une mention spéciale pour Pelzer, pour lequel, nous l'avouons, nous avons un faible très accentué.__

... Et c'est alors que, abandonné par les Muses ou induit en erreur par le terrible démon de la Banalité, l'auteur nous assène l'intermède romain et le personnage de Soeur Clémentine. Vous étonnerez-vous si l'on vous dit que le narrateur tombe immédiatement amoureux de cette nonne improbable ? Non ? Alors vous devez avoir compris que, dans la pure tradition des pires navets télévisés, Soeur Clémentine revient très vite sur ses voeux et, rendue à la vie profane, se précipite dans les bras et le lit de notre rédacteur anonyme aux anges. Toute la puissance du livre, tout ce qu'il contenait de tragique sous le couvert d'un humour toujours présent, est balayé, éradiqué. Ces cent pages démoniaques ne tendent plus qu'à un but : maintenir Leni et son fils dans l'appartement de l'ancienne maison familiale que cette tête de linotte a jadis vendu pour une bouchée de pain au père de sa meilleure amie. Cerise sur le gâteau : Leni, qui partageait son appartement avec d'autres personnes, est à nouveau enceinte (à quarante-huit ans) mais cette fois-ci d'un travailleur turc immigré plus jeune qu'elle. Enfin, si la loi s'oppose à ce qu'elle reste dans les lieux, peu importe : le narrateur et Clémentine, sans oublier les amis plus ou moins communistes de Leni sont prêts à tout pour vaincre, du sit-in à l'immolation par le feu - après tout, l'époque s'y prête, n'est-ce pas ?

Ca part dans tous les sens comme des feux d'artifices en folie, on ne comprend plus ni le pourquoi, ni le comment de toute l'affaire, et ce roman touffu mais à la construction originale, dont les personnages dits secondaires étaient presque tous parvenus à retenir la sympathie ou, à défaut, l'attention du lecteur, s'achève en un "flop" lamentable. "Tout ce travail pour ça ?" finit-on par se dire.

Dommage. Vraiment.

samedi, février 25 2012

Le Train Etait A L'Heure & Autres Nouvelles - Heinrich Böll (Allemagne)

Der Zug war pünktlich suivi de : Über die Brücke, Kumpel mit der langen Haar, Steh auf, steh doch auf, Damas in Odessa, Trunk in Petöcki, So ein Rummel, Abschied, Die Essenholer, Wiedersehen in der Allee, In der Finsternis, Geschäft ist geschäft, An der Angel, Kerzen für Maria, Die schwarzen Schafe"

Traduction : Colette Audry pour "Le Train Etait à l'Heure" et Mathilde Camhi pour les quatorze nouvelles

Extraits Personnages

Ce recueil paru chez Gallimard dans la collection "Folio" recense les premiers textes de Böll, à commencer par le tout premier, "Der Zug war pünklitch / Le Train Etait A L'Heure." Le thème : en 1943, un jeune soldat allemand regagne son poste, à la frontière russo-polonaise. A peine est-il monté dans le train que s'installe en lui la certitude qu'il n'atteindra jamais sa destination finale. Comme dans un jeu morbide, il pense à des noms de villes, à des tronçons de parcours. Et tombe finalement sur la certitude qu'il mourra quelque part entre Lemberg et Czernowitz. Au fur et à mesure que le train poursuit sa route et que le principal protagoniste noue amitié avec deux compagnons de route, le lecteur se rend compte que, sauf miracle, le jeune homme est en effet en route vers son destination ultime.

Deux choses m'ont frappée dans cette histoire. La première est de peu d'importance. Simplement, André, le héros, passe beaucoup de temps à prier. Il prie d'ailleurs pour tout le monde, aussi bien pour les Juifs que pour les S. S. croisés à un arrêt du train. C'est très oecuménique et hautement chrétien et je me suis même demandé, à un certain moment, si je n'étais pas en présence d'un futur saint. Mais enfin, probablement prie-t-on avec plus d'ardeur quand on sent rôder la Faucheuse - impression qui taraude André, c'est indéniable.

La seconde remarque est plus intéressante. Avec son développement lent, ses prières aussi étonnantes que radieuses, le viol de l'un des deux compagnons d'André par un adjudant abusif, la drame personnel du sous-officier Willi qui, retour de permission, est tombé sur un Russe dans le lit de sa femme, et enfin avec l'intégralité de l'épisode se déroulant dans une maison close de Lemberg, "Le Train Etait A L'Heure" ne saurait avoir été écrit que par un Allemand.

Non en raison de l'époque à laquelle se déroule l'action, encore moins en raison de la couleur des uniformes des protagonistes, mais parce que, sous ses dehors de conte moderne s'enracinant profondément dans l'un des grands conflits mondiaux du XXème siècle, cette longue nouvelle recèle en elle, par je ne sais quel miracle, toutes les composantes du conte romantique allemand. Avec des phrases plus longues et plus ampoulées, Von Kleist aurait pu l'écrire. C'est à Goethe mais aussi aux grands romantiques allemands comme Arnim et les grands poètes de l'époque que l'on songe irrésistiblement en lisant cette histoire. Böll aurait-il un peu plus forcé sur le macabre et l'onirisme qu'on aurait pu citer aussi Hoffmann. Quoique, je le répète, à mes yeux, ce soit bien Kleistque de manière parfaitement inexplicable, rappelle "Le Train Etait A L'Heure."

C'est en lisant des textes comme celui-ci qu'on se rend compte que la sentimentalité allemande n'est pas une expression vaine, dépourvue de tout sens. Au-delà les siècles, c'est toute une nation qui vibre dans "Le Train Etait A L'Heure", une nation certes trahie par une idéologie et vaincue par la guerre qu'elle avait elle-même déclenchée mais une nation libérée, qui retrouve d'instinct les valeurs inaltérables de son passé littéraire et artistique.

Face à ce récit curieusement prenant en dépit de sa lenteur, les nouvelles qui suivent baignent comme d'habitude dans une inégalité certaine. Toutes - sauf la dernière - se déroulent soit durant la guerre, soit immédiatement après celle-ci. Böll nous décrit le quotidien de protagonistes qui, le plus souvent, vont à la dérive car ils ont perdu tous leurs points de repère. Avec un minimum de mots, il brosse des scènes réalistes comme les immondes tanières dans lesquelles les soldats attendent la relève sous les obus qui tombent ("Dans le Noir"), le transport d'une moitié de cadavre ("Corvée de Soupe"), la Mort guettant tranquillement le soldat qu'elle doit emporter tout au fond d'une allée qui n'existe que dans le rêve de ce soldat ("Rencontre dans une allée").

L'ironie reprend parfois ses droits : il faut bien survivre. Il y a l'humour désespéré de "Jadis à Odessa" et de "Boire à Petöcki", celui, presque printanier, des "Adieux" et celui, complètement noir, des "Brebis galeuses". En prime, on a le droit à un soupçon d'humour tendre avec la nouvelle "Des Cierges pour la Vierge."

Tel quel, ce recueil donne au lecteur une assez bonne approche de l'art de Heinrich Böll. Si l'on veut voir à quoi ressemble son univers, c'est un premier pas somme toute très instructif qui donne envie d'aller plus avant.