Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - Georges Rémi

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samedi, juillet 17 2010

Hergé - Pierre Assouline ( II )

Non pas, il faut s'empresser de le dire, en raison des opinions religieuses ou politiques du personnage. Les premières ne regardaient que lui et il n'a jamais cherché à les imposer. Son héros d'ailleurs ne va pas à la messe ... ;o)

Quant aux secondes, contrairement à ce qu'on a pu affirmer, elles n'ont jamais été extrémistes. Scout catholique dans sa jeunesse, Georges Rémi fut logiquement amené à donner ses textes et ses dessins à un journal de droite ("Le Petit Vingtième") dirigé par un religieux à poigne, l'abbé Wallez. Même quand il conclut un contrat avec Casterman, il conserva de bons rapports avec l'abbé et après-guerre, lorsque ce dernier connut quelques problèmes pour avoir un peu trop affirmé son pangermanisme, Hergé refusa de l'accabler. Dans son esprit, Wallez lui avait mis le pied à l'étrier et une chose comme ça, ça ne s'oublie pas, surtout quand elle vous a permis d'atteindre à un succès européen.

Hergé eut d'autant plus de courage à l'époque que lui-même se trouvait en assez mauvaise posture. S'il n'avait jamais propagé les théories de l'Occupant, il avait travaillé pour "Le Soir", passé sous le contrôle allemand. C'est dans "Le Soir" que parurent en effet quelques unes des meilleures aventures de "Tintin", des aventures qui ignoraient la guerre et emmenaient le lecteur à la recherche du trésor de Rackham le Rouge après leur avoir soumis l'énigme de "La Licorne", le fier vaisseau du chevalier de Haddoque. Bref, à l'Epuration, Hergé faillit tout perdre et avant tout le droit de travailler.

Mais non, ce n'est pas cela qui choque dans cette biographie. Hergé s'est amplement expliqué sur la Seconde guerre mondiale et l'Occupation, il n'a jamais renié ceux qu'il tenait pour ses amis, il ne s'est pas renié lui-même. Au demeurant, pour ceux qui n'ont pas connu l'entre-deux-guerres et l'état d'esprit qui animait à l'époque aussi bien partisans du totalitarisme soviétique que partisans du totalitarisme fasciste, il n'est peut-être pas du meilleur goût d'épiloguer.

En revanche, on est en droit de ne pas adhérer à la façon qu'eut Hergé de refuser à ses collaborateurs (comme E. P. Jacobs ou Bob de Moor par exemple) le droit de co-signer les albums "Tintin." Certes, les Studios Hergé ont aidé quelques dessinateurs de renom à se former (outre Jacobs, inoubliable auteur de "La Marque Jaune" et du "Mystère de la Grande Pyramide", on citera Roger Leloup et sa "Yoko Tsuno") mais quand vint pour eux l'heure de prendre leur envol vers d'autres cieux, le Maître les regarda partir avec une sorte de jalousie qu'il cachait mal et qu'on comprend d'autant moins que le succès de Tintin ne s'est jamais démenti. Et surtout, contrairement au scrupuleux Franquin qui ne manquait jamais de le signaler ou encore à Michel Greg à la fin de sa participation effective aux albums d'Achille Talon, Hergé n'a jamais laissé indiquer au-dessus du cul-de-lampe de la seconde page un nom autre que le sien.

Cette mesquinerie - peut-on utiliser un autre terme ? - on la rencontre dans son rapport avec les femmes et aussi dans un très pénible événement qui se passa au temps où il était encore marié à sa première femme. Comme ils ne pouvaient avoir d'enfant, ils allèrent chercher une petite fille à l'Assistance publique. Mais l'enfant faisait trop de bruit et Hergé en vint très vite à ne plus la supporter. Alors, on ramena la petite à l'Assistance, ainsi qu'on l'aurait fait d'un objet sans âme.

Imagine-t-on ce qu'en aurait pensé et dit Tintin ? Tintin, si altruiste, si tourné vers l'Autre et si épris de justice ? ...

Certes, me fera-t-on observer, nul n'est parfait. Ce qui est rigoureusement vrai. Seulement, la mesquinerie est d'autant plus choquante qu'elle apparaît dans un grand créateur et, dans le cas d'Hergé, on peut écrire sans exagération d'un créateur de génie. Voilà pourquoi cette biographie, passionnante et passionnée, nous laisse avec un petit goût amer dans la bouche.

Mais finalement, peut-être Hergé partageait-il lui aussi cette amertume ? Avec un homme aussi secret, aussi introverti, qui saura jamais ? ... ;o)

Hergé - Pierre Assouline ( I )

Voici assurément l'une des biographies les plus complètes jamais produites sur Georges Rémi, dit Hergé, le père de Tintin. Même si son auteur manifeste évidemment de la sympathie pour son sujet, il évite de tomber dans l'hagiographie et n'hésite pas, bien au contraire, à pointer du doigt les défauts de l'homme derrière le créateur de génie.

Car Tintin et son univers en ligne claire, avec le capitaine Haddock anathémisant à tous vents, le Pr Tournesol toujours à côté de la plaque sauf s'il s'agit de construire une fusée destinée à alunir, Nestor, le majordome légué au capitaine par les anciens propriétaires de Moulinsart, la Castafiore, son grand air, ses caprices de diva et ses bijoux, le général Alcazar et son obsession révolutionnaire, Abdallah et son génie démoniaque pour les farces de très mauvais goût, sans oublier Séraphin Lampion, roi des casse-pieds belgicains et les Dupondt, champions incontestés du bafouillage et de la maladresse, en général, on les aime bien. Ils font partie de notre enfance et rouvrir les albums où ils se tiennent, toujours prêts à partir à l'aventure, c'est un peu rouvrir la boîte de nos meilleurs souvenirs.

Certes, il y aura toujours les champions efflanqués de la Bien-Pensance pour accuser Tintin et Milou de racisme, voir en l'infâme Rastapopoulos la preuve éclatante de leur antisémitisme (on notera que, en dépit de la consonance du patronyme, les Grecs n'ont pas encore intenté de procès à Hergé au prétexte de racisme anti-grec) et découvrir leur haine des Arabes dans l'intrigue de "Coke en Stock". Ce sont d'ailleurs les mêmes qui détournent la tête devant la prise de position pro-chinoise de Hergé dans "Le Lotus Bleu", devant sa haine des dictatures dans les albums où interviennent les pays bordure et syldave, ou encore devant son mépris railleur des dérives militaires dans les albums situés en Amérique du Sud (la fin de "Tintin et les Picaros", particulièrement cynique et désenchantée, est des plus révélatrices).

Mais mis à part pour cette poignée d'agités du bocal, on peut le dire et le répéter : Tintin et son petit monde ont droit de cité dans nos bibliothèques - et aussi dans nos coeurs.

Georges Rémi par contre, le lecteur moyen, si tintinanophile qu'il soit, a beaucoup plus de difficultés à le considérer avec bienveillance.