Extraits

Snobé par le Grand Siècle et celui des Lumières, le Moyen-Age fit rêver les Romantiques, à commencer par notre Hugo national qui lui éleva en hommage ce véritable chef-d'oeuvre littéraire que reste "Notre-Dame de Paris." Emporté et déchiré par les tourments immenses qui le ponctuèrent, le XXème siècle a alterné envers lui l'image d'Epinal, avec le Bon Roy Saint-Louis rendant la Justice sous son chêne et les haineuses invectives de certains obsédés voyant en ce monarque et la rouelle jaune qu'il fit porter aux Juifs rien moins que l'avant-garde religieusement fanatisée de la S. S. hitlérienne. Quant au XXIème siècle, pas encore débarrassé de certaines séquelles parmi les moins reluisantes de son prédécesseur, il semble s'engager sur la même voie, avec cependant, peut-être, un peu plus d'hésitations et de regards en arrière, à la recherche d'une vision plus juste, plus posée aussi du Moyen-Age et de ceux qui le traversèrent.

Le livre de Lydia Bonnaventure peut se lire comme une sorte d'enquête sur les rapports entre la foi, cette donnée constante et pour ainsi dire essentielle, pour le meilleur comme pour le pire, du Moyen-Age, et la maladie, autre donnée majeure de l'époque, avec la guerre et le pillage. Si longtemps avant un Pasteur que ses confrères traitèrent de fou furieux lorsqu'il osa parler des microbes - et ceci au coeur pourtant d'un XIXème siècle si triomphalement scientiste - l'homme du Moyen-Age était totalement désarmé face à la maladie. Les recettes homéopathiques pouvaient aider à se guérir d'un rhume ou d'une petite fièvre mais que faire contre la peste ou contre le choléra ? que faire encore contre le mal des ardents, cette affection délirante que l'on sait aujourd'hui causée par l'ergot de seigle mais qui, rappelons-le tout de même, trouva encore le moyen de tuer dans un petit village français, à la fin des années cinquante ?

Occupé avant tout à survivre - à la misère des temps, à leur précarité, à la guerre qui pouvait éclater sous le moindre prétexte, bref, à tant de choses qui nous demeurent plutôt étrangères - l'homme du Moyen-Age n'avait, face à la Maladie toute puissante, que la ressource de sa Foi. bGautier de Coinci,/b religieux érudit et auteur des "Miracles" cités ici par Lydia Bonnaventure, est le chantre même de cette foi. Esprit austère, il la veut pleine et entière : la maladie, c'est le châtiment de Dieu car l'homme, de toutes façons, est presque toujours coupable et, si ce n'est pas le malade lui-même qui l'est, comme dans le miracle ayant pour protagoniste un enfant sauvé par la Vierge, c'est l'un de ses proches (ici, la mère) qui n'est pas assez pieux.

La prière et surtout le repentir, un repentir sincère et ostensible, sont seuls à même de soigner et de guérir. Et si la guérison ne survient pas, si le malade repenti meurt, eh ! bien, c'est que, comme pour Galaad devant le Saint-Graal, Dieu lui fait en quelque sorte une grâce ...

Toutefois, Gautier de Coinci ne se contente pas de fustiger le malade. Assez courageusement, il pointe aussi du doigt le comportement, trop souvent dépourvu de toute charité chrétienne, de l'entourage du malheureux, cet entourage fût-il religieux. Lépreux ou pas, le malade moyen-âgeux est en effet presque unanimement considéré comme une charge et un paria. On l'accable de mauvais traitements, on le jette à la rue, on le laisse claudiquer dans les pires ruisseaux et quand survient la fin, on le jette sur un talus, avec à peine un peu de terre pour recouvrir son cadavre. Disons-le comme nous le pensons : pour une époque si religieuse et si obsédée par la Foi, ce n'est pas très reluisant.

Le mérite de ce petit livre, rédigé par ailleurs en un style simple, clair et dépourvu de toute pédanterie, a le mérite de faire réfléchir les modernes que nous sommes non seulement à la condition du malade en cette époque si difficile que fut le Moyen-Age mais aussi à notre propre comportement, à nous, femmes et hommes du XXIème siècle, face à certains de nos malades, tels que ceux affectés de troubles mentaux ou les personnes souffrant de troubles du comportement ou encore les handicapés.

Avec toutes nos belles techniques et toute notre belle foi en l'angélisme officiel et les valeurs dites "humanitaires", sommes-nous si différents des gens du Moyen-Age ? S'il se matérialisait brusquement parmi nous, Gautier de Coinci ne sentirait-il pas grandir en lui le besoin de rédiger un autre texte qui parlerait, hélas ! plus d'une absence totale que d'un accomplissement de miracles ? Si différente de celle du Moyen-Age, notre "foi" n'a pas gagné en se faisant plus terre-à-terre : elle révèle simplement que la Nature humaine reste dominée par l'égoïsme et que la charité envers son prochain n'est pas vraiment sa tasse de thé. Et puis, faut-il à tous prix croire en Dieu pour se montrer charitable et compréhensif ?

Je terminerai sur une note plus littéraire en signalant que "La Maladie et la Foi" ne saurait manque de donner à l'esprit curieux l'envie de découvrir des textes médiévaux. Rien que pour cela, lisez-le.