Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - Delly

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dimanche, mars 4 2012

Guimauve & Fleur d'Oranger - Collectif Dirigé par Juliette Bettinotti et Pascal Loizet

Extraits

Méprisé, regardé comme une sous-littérature mais comptant dans ses rangs des auteurs dont les tirages feront toujours rêver, le roman sentimental, dit aussi "à l'eau de rose", a longtemps été écarté des ouvrages de référence sur la littérature. Cet ostracisme est aussi stupide que misogyne puisque, faut-il le préciser, le roman sentimental attire - en tous cas officiellement - une clientèle essentiellement féminine. Or, c'est bien connu, ce qui plaît aux têtes féminines ne saurait être digne d'intérêt.

Il est vrai que, pendant près de deux siècles, le roman sentimental non seulement était réservé aux femmes mais était aussi écrit par des femmes - les pseudonymes masculins pris dans le catalogue de la célèbre "Bibliothèque de ma fille", tels "Emmanuel Soy" ou "Max du Veuzit", ne sauraient abuser. Il faudra attendre la toute fin du XXème siècle pour que certains lecteurs de sexe mâle avouent sans détour se délasser de temps à autre avec un volume Harlequin. Mais ces valeureux, dont il faut ici saluer la remarquable intégrité intellectuelle, sont bien peu nombreux à oser ...

Depuis la "Pamela" de Richardson (oeuvre d'un homme, soulignons-le, d'où le petit parfum sadien du livre) jusqu'au dernier sorti de Cabrera Infante, auteur espagnole très prisée que Vargas Llosa qualifie même de "phénomène socio-culturel" - excusez du peu - le roman sentimental n'a cessé de reprendre les canevas des contes de fées de notre enfance en les mettant au goût du jour. Bref, comme tout genre littéraire digne de ce nom, le roman sentimental apporte à son lecteur du rêve, et encore du rêve. Simplement, il le fait de manière plus excessive que la moyenne. Les "Bons" y sont terriblement bons et les "Méchants", affreusement méchants. Du premier jusqu'à l'avant-dernier chapitre, s'ouvrent et se referment des chausse-trappes et des pièges plus sournois et cruels les uns que les autres. Enfin, au chapitre ultime, tout rentre dans l'ordre, le "Méchant" est puni (voire assassiné, c'est bien fait, tiens ! ) et le "Bon" récompensé : l'histoire se termine bien et les héros partent vivre ensemble, dans la perspective d'avoir beaucoup d'enfants.

Dans le genre, nul n'a jamais pu faire mieux que Delly et l'originalité de "Guimauve et Fleur d'Oranger" est de rendre enfin un hommage - hélas ! trop bref - à l'oeuvre de cet auteur bicéphale puisque, on ne le répètera jamais assez pour les néophytes qui le découvrent tous les jours, se dissimulaient sous ce pseudonyme sibyllin une soeur et un frère, Marie et Frédéric Petitjean de la Rosière.

L'analyse du "schéma Delly__" est finement menée et, pour une fois, on ne fait pas l'impasse sur le côté le plus intéressant de l'oeuvre : son érotisme diffus et pourtant puissant. Seule une candeur abyssale peut expliquer le nihil obstat accordé régulièrement par la sacro-sainte "Bonne Presse", d'obédience strictement catholique, aux romans de Delly. A moins qu'il ne s'agisse d'un mépris absolu exercé à l'encontre de l'intelligence des lectrices de cet auteur, trop sottes et trop naïves pour comprendre des sous-entendus pourtant très clairs. La sexualité des personnages masculins est on ne peut plus active et on ne saurait nier que les jeunes vierges qui leur sont opposées s'en rendent compte très vite et font tout pour l'attiser.__ (Rarissimes sont, chez Delly, les jeunes filles vraiment "nunuches.")

Ceci dit, faut-il vraiment s'étonner ? Delly ne nous raconte-elle pas, à sa façon, ce que Zola décrit dans "Pot-Bouille", lorsqu'il nous montre les avances de Berthe Josserand à son futur époux, Auguste Vabre ? Bien qu'aux antipodes l'un de l'autre, ces deux auteurs, la petite souris versaillaise et le fils d'immigré italien reposant au Panthéon, ne rapportent-ils pas la schizophrénie d'une société pour qui la femme ne pouvait être que mère, jeune fille ou putain ?

Quoi qu'il en soit, tous les admirateurs de Delly trouveront ici quelques réponses à leurs propres interrogations sur l'inaltérable succès de son oeuvre - ainsi qu'une bibliographie quasi complète. A compléter peut-être par des ouvrages comme "Ouvrières des Lettres", d'Ellen Constans, et quelques autres ouvrages édités dans la même collection, aux Editions Nuit Blanche. Ajoutons qu'on souhaiterait voir un ouvrage similaire consacré à l'univers de Max du Veuzit.

samedi, mars 3 2012

Le Roman du Roman Rose - D. Paulvé & M. Guérin ( II )

Le troisième tableau est assuré par Berthe Bernage, un auteur que je me permettrai, en dépit de son succès, de qualifier de "gnangnan." Amateurs de mièvrerie, si vous me lisez, sachez que, avec Mme Bernage, vous serez gâtés. Univers petit-bourgeois, références permanentes à la Sainte Eglise Romaine et Apostolique et aux bienfaits de la religion, préoccupations étroites et bornées, préjugés bien-pensants et politiquement corrects, c'est ainsi qu'on peut résumer la série "Brigitte", commencée tout à fait par hasard après la Première guerre mondiale, dans les pages des "Veillées des Chaumières", avec le titre "Brigitte jeune fille." Après le décès de sa créatrice, le 14 mai 1972, la série retrouvera un nouveau souffle avec les aventures de Marie-Agnès, la benjamine de Brigitte, le tout sous la plume de Simone Roger-Vercel.

Enfin, la plus gâtée en nombre de pages avec Delly (56 pour chacune d'elles), entre en scène Jeanne Philbert, dite Magali, dite aussi "la Femme aux Cent Romans" (même si elle en écrivit bien plus), amie de Maryse Bastié et passionnée d'aviation, chroniqueuse sentimentale et romancière qui invita à la table du roman rose l'Aventure et l'Exploration. Par l'âge (elle naquit en 1910) comme par la manière de concevoir la vie, elle est sans doute la plus moderne des quatre femmes ici citées. L'imaginaire qu'elle a créé est aussi riche et aussi codifié en son genre que celui de Delly, dont elle est, curieusement, la descendante la plus directe et pourtant la plus paradoxale. Directe par la vivacité de la pensée, par l'art de remanier le conte de fées et par l'indépendance foncière d'une nature qui, venue au monde près de quarante ans après la Solitaire de Versailles, trouva mieux à s'exprimer dans un monde où le statut des femmes avait considérablement évolué. Paradoxale parce que les héroïnes de Magali travaillent, font du sport, partent à l'aventure, se veulent les égales des hommes, même quand elles sont amoureuses, et ne ressassent pas tout le temps leurs prières. Celle qui leur avait donné la vie est morte le 5 février 1986.

Cinquante-six pages donc pourDelly et Magali, une quarantaine pour du Veuzit et trente-deux pour Bernage: les chiffres sont éloquents. On peut regretter que, surtout pour les deux dernières, Guérin et Paulvé aient surtout évoqué le contexte politique et social dans lequel elles vécurent. Mais c'est là une chose qu'on trouve - en outre de façon beaucoup plus complète - dans n'importe quel livre d'histoire et cela n'apprend rien sur la démarche créatrice de ces femmes qui, certes, ont écrit pour gagner leur vie mais aussi pour le plaisir.

Hormis quelques extraits, rien n'est dit, répétons-le, sur l'oeuvre elle-même. Et pourtant, qu'on l'aime ou pas, il a des masses à dire sur le sujet : l'érotisme chez Delly, la sexualité chez Du Veuzit, le culte du politiquement correct chez Bernage et le désir de liberté absolue chez Magali, voilà quelques uns des thèmes qu'on aurait pu traiter.

Quelques uns. Seulement.

A quand l'ouvrage qui le fera ? ... En l'attendant, prenez votre mal en patience et lisez, faute de mieux, "Le Roman du Roman rose." ;o)

Le Roman du Roman Rose - D. Paulvé & M. Guérin ( I )

Extraits

Cet ouvrage est une mine non négligeable pour toutes celles et tous ceux qui désirent en savoir un peu plus sur les quatre Incontournables du roman rose (ou roman "chaste") français, à savoir Delly, Max du Veuzit, Magali et Berthe Bernage. Mais, s'il renseigne largement sur la vie de ces dames, il ne dit malheureusement pas grand chose de leurs livres, tant sur la forme que sur le fond. A peine deux ou trois pages, à la toute fin. Ce qui laisse au lecteur une encombrante impression de frustration.

A tout seigneur tout honneur, Delly ouvre le bal avec une photo qui la montre, avec son frère et partenaire d'écriture, Frédéric Petitjean de la Rosière, debout tous deux derrière leurs parents, dans le jardin de leur petite maison versaillaise. En fixant ce regard intense et sérieux, la seule vraie beauté de cette femme, l'aficionado réalise enfin pourquoi, dans pratiquement tous ses romans, elle a mis l'accent sur les yeux de ses héros. Largement millionnaire à la fin de son existence, en dépit des deux guerres traversées, Melle Marie Petitjean de la Rosière s'éteint à Versailles, le 1er avril 1947, après une existence qu'elle avait voulu strictement anonyme et pour ainsi dire cloîtrée. Son éditeur ne la rencontra qu'une seule fois : elle vivait véritablement retirée d'un monde trop matérialiste, perdue dans un univers de fantasmes et de beauté qu'elle eut le mérite de faire partager à des millions de femmes de par le monde. Sur la tombe où elle repose aux côtés de son frère, rien ne rappelle le pseudonyme devenu référence majeure d'un genre littéraire auquel Delly donna ses lettres de noblesse.

S'avance ensuite Alphonsine Vavasseur, épouse Simonet, mieux connue sous le nom de Max du Veuzit. Avec elle, les héroïnes fragiles, si typiques de Delly, se font plus volontaires mais surtout plus modernes et la religion catholique, si elle est toujours célébrée, n'est plus mise en avant de façon aussi ostentatoire. Le style également diffère : si celui de Delly possède d'indéniables qualités héritées du classicisme, celui de du Veuzit se veut plus familier, avec des mots d'argot qui, à la première publication, ancraient histoire et personnage dans la réalité contemporaine mais qui, aujourd'hui, ont beaucoup vieilli. Détail amusant - et même hilarant - qu'il faut connaître : la toute puissante "Maison de la Bonne-Presse", tenue par l'Eglise de France, fit un procès à Max du Veuzit, dont elle jugeait les romans "peu convenables", voire carrément "osés." Indignée, l'auteur répliqua et, à la fin du compte, la Maison de la Bonne-Presse dut battre en retraite. Max du Veuzit devait mourir le 15 avril 1952.