Il s'appelait Henri Gauthier-Villars mais il préférait écrire "Henry". Des noms de plume, il en eut à revendre car il fut le maître d'oeuvre d'un véritable "atelier" d'écriture où des "nègres" aussi talentueux que Paul-Jean Toulet et Colette mirent en forme, pendant des années, les idées de romans, le plus souvent légers et très "Belle-Epoque", qu'il leur proposait. Deux de ces pseudonymes au moins sont passés à la postérité littéraire : "Willy", que l'on associe toujours à Colette, laquelle signa longtemps "Colette Willy", et "Maugis", personnage de papier celui-là, qui apparaît au moins dans deux "Claudine" ("Claudine à Paris" et surtout "Claudine s'en va") ainsi que dans "L'Ingénue libertine", remaniement des "Egarements de Minne." Pour les initiés, il subsiste également le pseudo "post-Colette", celui de "Robert Parville", qui succéda à Maugis comme alter ego de cet écrivain réel mais paresseux et désespérément tourné vers la gaieté, les bons mots et la superficialité d'une époque que fut Gauthier-Villars.

François Caradec lui consacre une biographie exigeante et affectueuse qui n'entend pas pour autant résoudre les mystères de l'homme. Il semble en effet prouvé que Willy - utilisons ce nom puisqu'il l'aimait tant - aima Colette et que celle-ci le lui rendit largement. Tout comme il est clair que, en dépit des terribles coups de griffes qu'ils échangèrent après leur séparation définitive, Colette, plus jeune, se révélant plus redoutable à ce petit jeu, aucun des deux ne cessa réellement de vouer une passion jalouse à celui qui l'avait quitté.

Car si Willy a existé sans Colette et si Colette a existé sans Willy, on ne peut évoquer l'un sans parler de l'autre. L'apothéose de leur destin personnel, c'est le couple qu'ils formèrent pendant de longues années. Un couple brillant, à la mode, toujours là où il fallait être vu, se répandant en bons mots et en rosseries, soignant sa publicité à coups de scandales, des petits, des moyens, des plus gros. De nos jours, on les dirait "people" et sans doute s'en féliciteraient-ils l'un comme l'autre.

Sous le masque se dissimulent deux écrivains. Le plus âgé, bon technicien et esprit beaucoup plus cultivé qu'il n'entendait paraître, apprit les ficelles du métier à la plus jeune, lui mettant le pied à un étrier qu'elle ne vida jamais au cours de sa chevauchée dans les lettres françaises - chevauchée qui fut longue et inégale. Car, sans Willy, y aurait-il eu une Colette ?

François Caradec ne nous apporte pas de réponse : au lecteur, en fonction des sentiments que lui inspire la romancière, de se faire sa propre opinion. Il observe simplement - et avec un regret que le lecteur partage - que, si Colette et Curnonsky (autre "nègre" de Willy) possèdent tous deux à Paris une rue qui porte leur nom, Willy, lui, n'a rien.

Sur cette note amère, adoucie par la citation de Colette qui disait : "Mais son nom est lié à un moment, à un cas de la littérature moderne, et au mien", se termine une biographie qui, sans sombrer dans une hagiographie qui aurait sans doute beaucoup amusé celui qui en était l'objet, nous restitue un Willy plus profond et plus sympathique que celui que les partisans de Colette - et Colette elle-même - ont tenté de faire passer à la postérité. ;o)