Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - Albanie

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mercredi, avril 18 2012

Le Pays Où L'On Ne Meurt Jamais - Ornela Vorpsi (Albanie)

Il Paese Dove Non Si Muore Mai Traduction : Marguerite Pozzoli en collaboration avec l'auteur

Extraits Personnages

Plus qu'un roman véritable, ce petit livre de cent-cinquante pages est une suite de scènes et de portraits ayant pour toile de fond l'Albanie communiste dans laquelle naquit l'auteur. Celui-ci appartenant au sexe féminin, le point de vue diffère sensiblement et met l'accent sur l'extraordinaire machisme qui caractérise la population mâle du pays, si policés que s'attachent à paraître ses membres les plus cultivés.

Ce machisme, certes, on le voyait déjà poindre son nez écoeurant ici et là, tant dans "Le Général de l'Armée Morte" de Kadare, dont l'essentiel de l'intrigue se déroule, il est vrai, dans l'Albanie rurale, que dans les romans de Fatos Kongoli, romans plus urbains certes mais dans lesquels le statut de la femme est loin d'être toujours facile. ''++Vorpsi, elle, évoque le phénomène avec une franchise totale : son héroïne, Elona-Ornela-Eva, se voit tout de suite suspectée de "putinerie" dès lors qu'elle passe de l'enfance à l'adolescence.

Ce qui exaspère encore plus la lectrice, c'est que, comme d'habitude dans ce genre de sociétés, les femmes sont les premières à vouer la féminité au Diable et au péché. La mère de l'héroïne la menace de faire vérifier sa virginité par le médecin alors que la pauvre petite vient à peine d'atteindre ses treize ans et est par ailleurs si surveillée, tant à droite qu'à gauche, qu'elle aurait bien du mal à s'en aller courir une précoce prétentaine. En outre, comme le dit le proverbe albanais : "Un homme se lave avec un bout de savon et redevient comme neuf mais une fille, même la mer ne la lave pas."

Raisonnement pour le moins absurde, en particulier à mes yeux de Bretonne qui a tous les jours sous les yeux les millions de litres d'eau, bien froide et bien verte, de l'Atlantique. Raisonnement d'homme, ajouterai-je, et d'homme injuste et sournois, raisonnement sans doute repris et ressassé par la bonne vieille église chrétienne - Vorpsi est orthodoxe - et, de manière générale, par toutes les religions patriarcales dont nul n'ignore la haine profonde qu'elles vouent à la Femme.

Alors, bien sûr, on ne parle pas toujours sexe et virginité des filles dans "Le Pays Où L'On Ne Meurt Jamais". Certaines scènes sont plus légères et font sourire ou alors, comme tout ce qui touche à l'indifférence du père de l'héroïne, indignent et/ou attendrissent. Mais, en dépit de tous mes efforts, c'est avec un malaise certain et la volonté bien arrêtée de ne jamais visiter l'Albanie que j'ai refermé ce livre qu'il faut lire car si déjà les écrivains albanais mâles sont peu traduits chez nous, la situation est encore plus grave pour leurs homologues féminines. Ce qu'on ne p

lundi, janvier 23 2012

Le Général de l'Armée Morte - Ismaïl Kadare (Albanie)

Gjenerali i Ushtrisë së vdekur Traduction : Jusuf Vrioni Introduction : Eric Faye

Extraits Personnages

Sorti en 1963, ce roman est le premier d'Ismaïl Kadare (ou Kadaré), l'auteur albanais le plus lu certainement dans le monde occidental. Malgré la simplicité apparente de la trame de l'action, il s'agit d'un roman difficile à investir - je n'y suis personnellement parvenue qu'à la moitié du texte, c'est vous dire. Pourtant, les phrases sont simples, sèches même mais, curieusement, on a l'impression que cela joue contre l'écrivain. Si simples, si sèches, avec une pointe de maussaderie çà et là : comme si l'auteur s'en voulait (ou se retenait ?) d'écrire. Mais à la réflexion, on se dit que Kadare cherchait peut-être tout simplement son style.

Néanmoins, si l'on persévère, le discours du "Général de l'Armée morte" finit par toucher son lecteur. L'histoire est simple, répétons-le : une bonne vingtaine d'années après la fin de la Seconde guerre mondiale, les représentants d'une puissance européenne ayant combattu et occupé l'Albanie, un général et un aumônier ayant rang de colonel, sont expédiés dans la dictature communiste d'Enver Hoxha afin d'y rassembler les restes de leurs soldats, gradés ou non, jadis tombés et inhumés en terre albanaise. Les deux hommes sont particulièrement soucieux de ramener la dépouille d'un certain colonel Z., issu de l'une des familles les plus influentes de leur pays.

Selon toute vraisemblance et bien que l'auteur les laisse dans un anonymat absolu, le général et l'aumônier sont italiens. Au cours de leur périple dans la boue noire de l'hiver albanais, ils croisent un lieutenant général et un bourgmestre probablement d'Allemagne de l'Ouest, venus eux aussi récupérer leurs morts. Moins heureux que leurs homologues italiens, les Allemands ne disposent ni des cotes, ni des descriptions physiques qui leur permettraient de creuser et d'exhumer sans risque excessif d'erreur.

La funèbre expédition des deux Italiens, entourés d'un expert et de terrassiers albanais, les amène à s'enfoncer dans l'Albanie profonde, dans des villages où ils constatent que rien ne semble avoir été oublié. Cette rancoeur toujours en éveil de l'occupé face à l'ancien occupant culmine avec la scène du mariage durant lequel la vieille Nice, une paysanne dont le mari a été fusillé et la fille de quatorze ans violée par le colonel Z. en personne, jette aux pieds du malheureux général le sac dans lequel, vingt ans plus tôt, elle a enseveli le cadavre de Z., qu'elle avait exécuté de ses propres mains.

"Le Général de l'Armée morte" est aussi une tentative, au début assez timide, puis carrément triomphante et même exaltée, de glorification du caractère de l'Albanais : follement nationaliste, toujours prêt à régler la moindre dispute en faisant parler les armes, fier et tout d'une pièce. La critique du régime d'Enver Hoxha est ici à peine esquissée mais on sent bien, en tous cas lorsque le général et l'aumônier réintègrent la grande ville, une menace latente, celle d'un pouvoir militaire qui ne se pose pas de questions et frappe à tout-va.

Jamais peut-être, pour un "premier roman", aucun auteur ne s'est autant cherché que Kadare dans celui-ci. Si l'on passe le cap de la moitié du roman, ces tâtonnements, cette espèce d'étonnement qu'on sent chez l'auteur face à son propre pouvoir d'écriture, son irritation aussi devant son impuissance à faire vraiment ce qu'il veut des mots (ce n'est un mystère pour personne que l'écrivain a révisé nombre de ses textes, mettant et remettant vingt fois sur le métier des ouvrages qui avaient pourtant été publiés avec son aval) et l'ambiguïté qu'on lui devine envers le régime qui asservit ses compatriotes (il l'asservit certes mais il est aussi farouchement pro-albanais), finissent par inciter à se procurer au moins un autre livre de Kadare. Pour voir. Pour approfondir. Pour comprendre cette fascination que lui-même et son univers semblent avoir exercé et exercer encore sur l'Occident.

Nous en reparlerons. ;o)