Sakuhin-shu Traduction & introduction : Arimasa Mori

La présente édition est une intégrale, contrairement au petit volume Folio qui lui, ne comporte que quatre nouvelles sur les quinze qui composent le manuscrit originel.

Comme toujours dans un recueil de ce type, certains récits parlent au lecteur de façon plus directe que d'autres. En ce qui me concerne, voici mon palmarès par ordre de préférence décroissant : "Le Nez - Le Mouchoir - Chasteté d'Otomi - Les Kappa - Villa Genkaku - Dans le Fourré - Figures Infernales."

Au fil de ses contes, Akutagawa mêle les récits remontant au Japon féodal et les histoires contemporaines. La nouvelle "Les Kappa" est à part car on peut la voir comme une réflexion à la Jonathan Swift émise par l'auteur sur le monde dans lequel il évolue : le narrateur, à la suite d'une chute dans un trou, tombe dans un monde parallèle, celui des Kappa, peuple mi-batracien, mi-humain, chez qui il va résider quelque temps. S'en suit toute une série de digressions des plus intéressantes, mettant en parallèle les valeurs humaines (et spécialement japonaises) et les valeurs kappa. Lorsque notre narrateur retourne dans son monde, on le prend pour un fou et il finit dans un asile d'où il ne désespère pas de s'enfuir pour rejoindre le monde des Kappa qui, désormais, lui manque ...

Finesse et ironie sont les armes favorites d'Akutagawa. Avec elles, il parvient à faire sourire mainte et mainte fois son lecteur alors que, pour peu qu'on analyse la trame des histoires, on s'aperçoit qu'il n'y en a pas une seule qui ne soit tissée de tristesse.

Dans "Figures Infernales", fondée sur le terrible sacrifice consenti par un peintre pour atteindre à la perfection de son art, ou dans "Le Fil d'Araignée", qui met en scène un damné auquel le Bouddha offre une chance qu'il gâche par égoïsme, sans oublier "Ogin", où une famille de Japonais christianisés renonce à "Deus" devant les flammes du bûcher, nous plongeons dans le drame le plus noir, mais avec un élément fantastique que, en dépit du discours de l'Ombre, ne joue pas un rôle si important "Dans le Fourré."

"Chasteté d'Otomi" - en temps de guerre, une jeune femme risque de se faire violer pour préserver la vie d'un chat - "Villa Genkaku" - récit des conséquences de l'adultère d'un mari désormais mourant sur toute une famille - et le superbe "Mouchoir", où l'auteur oppose avec subtilité les coutumes japonaises et les coutumes occidentales, ne seraient pas déplacés dans une anthologie où trôneraient également Tchékhov et Mansfield. Petite touches à peine visibles, demi-teintes, silences qui disent tout, temps suspendu l'espace de quelques secondes primordiales ... : ce sont de vraies merveilles.

Quant au "Nez", où un moine affligé d'un appendice nasal encombrant parvient à se le faire réduire pour regretter ensuite le temps où ce nez le rendait "anormal", c'est, à mon avis, le joyau le plus étincelant de cet écrin serti de nouvelles qu'est "Rashômon." Et même si je ne vous ai pas parlé de celle qui a donné son titre au recueil ni encore de quelques autres, vous auriez bien tort de supposer qu'elles ne valent pas qu'on s'y arrête. Lisez Akutagawa : c'était un conteur de génie. ;o)