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Tag - Affaire Stavisky

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mardi, avril 6 2010

Un Scandale d'Etat : l'Affaire Prince - Pierre Cornut-Gentille (III)

Avant toutes choses, je tiens à remercier les éditions Perrin qui, dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babélio, ont mis gracieusement à disposition de certains lecteurs volontaires des exemplaires de cet ouvrage.

Ensuite, le mystère s'installe. Mais pas le silence et "l'affaire du Conseiller Prince" va prendre, dans la presse, la suite de l'affaire Stavisky dont elle constitue, pour beaucoup, un épilogue prévisible.

__Deux thèses s'affrontent - et continuent d'ailleurs à s'affronter de nos jours : celle des "suicidistes" et celle des partisans de l'assassinat politique.

Les premiers arguent que le conseiller était, somme toute, un homme complexe et émotif et que, se rendant compte de son "erreur" dans l'enquête de 1930, ce haut fonctionnaire modèle en aurait conçu un tel désespoir qu'il aurait préféré mettre fin à ses jours plutôt que de faire face à ses responsabilités. Néanmoins, pour éviter le déshonneur à sa famille, il aurait tout fait pour déguiser son suicide en crime. En attestent la présence, sur la voie ferrée où sera retrouvé son cadavre déchiqueté, d'un couteau Opinel ensanglanté et la cordelette qui lui enserrait les chevilles. On ne va pas jusqu'à prétendre que, redoutant un réflexe dû à l'instinct de conservation, Albert Prince__ s'est lui-même attaché aux rails mais ma foi, c'est tout comme ...

De l'autre côté, les partisans du meurtre trouvent tout cela bien invraisemblable et s'empressent de le réfuter. Justement, si le conseiller Prince était le fonctionnaire modèle dépeint par tous, il aurait eu à coeur de faire front. En outre, contrairement à ce qu'insinuent - sournoisement - les "suicidistes", il n'aurait eu aucune difficulté à monter un dossier qui accusait Pressard. Seulement, accuser Pressard, c'était se tourner à nouveau vers le monde des parlementaires, monde dans lequel Camille Chautemps n'était peut-être pas le plus impliqué dans les "protections" accordées à Stavisky. Pire : c'était se tourner vers le monde de la magistrature ...

Pour tenter d'éclairer l'affaire, Pierre Cornut-Gentille a demandé à un médecin-expert de se pencher sur les expertises faites à l'époque du drame. Que le lecteur garde ceci à l'esprit : jusque là, l'auteur du livre s'est montré assez critique envers tous les experts des années trente, marquant cependant une nette préférence pour la version, nous dirons "pro-suicidiste", des experts de la SNCF. En gros, ce qu'il nous a dit peut se résumer à ceci : avec les experts, on n'est jamais sûr de rien. Et combien d'affaires criminelles, pourtant bien plus récentes que l'affaire Prince, nous le prouvent encore aujourd'hui !

Et puis là, justement, paf ! Avec l'expertise du Pr Lecomte, le doute est levé ! Un vrai tour de magie !

J'en suis restée interloquée. D'autant que le raisonnement de Mme Lecomte, qui s'appuie sur des rapports d'expertises et non, bien entendu, sur une expertise "en chair et en os", si j'ose me permettre cette précision, s'avère, lui aussi, favorable au suicide.

Non, je n'ai pas été convaincue. Pas du tout. Pourtant, j'avais abordé ce livre parce que j'ignorais l'essentiel de cette affaire et sans a priori. Or, le livre de Pierre Cornut-Gentille - un auteur que, je tiens à le signaler, j'apprécie beaucoup, voyez d'ailleurs "La Baronne de Feuchères" sur ce même blog - me laisse dans une perplexité absolue et dans la certitude que, à moins de parvenir à faire revenir les morts (et il y en a eu beaucoup dans cette sombre histoire) parmi nous, on ne saura jamais avec certitude si le Conseiller Prince s'est suicidé ou a été assassiné.

Et assassiné d'une façon particulièrement lâche et odieuse puisque, dans cette hypothèse, on aurait anesthésié le malheureux dans l'espoir que le train de 19 h 36 faucherait son corps, couché sur les rails. Mais le train de 19 h 36 était un convoi de marchandises dont les roues, pour des raisons techniques, n'auraient pu toucher Albert Prince. Et celui-ci aurait commencé à se réveiller au moment même où fonçait sur lui le convoi de 20 h 44 ; en un sursaut compréhensible, il se serait redressé mais n'aurait pas eu le temps de se mettre à l'abri. Ce qui expliquerait pourquoi il semble acquis pour tous que le malheureux était, à l'instant fatal, en position semi-assise ...

Enfin, lisez "Un Scandale d'Etat" de Pierre Cornut-Gentille et, si vous voulez qu'on en discute, n'hésitez pas. ;o)

Un Scandale d'Etat : l'Affaire Prince - Pierre Cornut-Gentille (II)

Avant toutes choses, je tiens à remercier les éditions Perrin qui, dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babélio, ont mis gracieusement à disposition de certains lecteurs volontaires des exemplaires de cet ouvrage.

Alors bien sûr, Stavisky mort, "Le Canard Enchaîné" titrant, avec son incorrigible sens de l'à-propos, "Stavisky se suicide par une balle tirée à 3 mètres de distance : ce que c'est, que d'avoir le bras long !" et tous les partis, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite, se donnant pour une fois la main afin de conspuer les parlementaires radicaux au pouvoir et de faire chuter une fois de plus le gouvernement de la IIIème République, il est un peu normal que l'on s'empresse de remonter à la source de tous les silences, de tous les non-dits et de toutes les complaisances qui avaient permis à "Monsieur Alexandre" de mener grand train et de duper tout son monde.

Sur le chemin, on se heurte - entre autres - au ministère de la Justice et à l'enquête menée par le procureur Pressard, lequel a la malchance d'être aussi le beau-frère du président du Conseil, Camille Chautemps. Cette parenté est à elle seule suffisante pour que les grands tribuns de la presse de l'époque sonnent l'hallali et réclament la tête de Chautemps et de ceux qu'il est censé avoir protégés ou commandés.

Dès que la nouvelle de la mort de Stavisky est connue, dans l'après-midi du 8 janvier 1934, le premier président de la Cour d'Appel convoque Albert Prince dans son bureau./b Il y tombe nez à nez avec le procureur de la République, Georges Pressard, son ancien supérieur hiérarchique. Et, en dépit de l'affabilité du président Dreyfus, Prince comprend qu'on cherche à lui imputer, à lui et à lui seul, les cafouillages de l'enquête de 1930. L'attitude agressive de Pressard met le comble à son indignation et à ses angoisses, dont il ne parlera cependant qu'à la sortie du bureau de Dreyfus.__

A partir de là, il semble que le conseiller Prince ait tout mis en oeuvre pour retrouver tout ce qui pouvait plaider à sa décharge - en d'autres termes, tout ce qui pouvait charger Pressard. Quelques jours avant le mystérieux coup de fil qui lui demande de venir assister sa mère, hospitalisée à Dijon pour une occlusion intestinale, il dira les avoir enfin en main, tout prêts pour le rapport qu'il doit remettre, le 21 février, à Lescouvé, le premier président de la Cour de Cassassion, chargé par le ministre de la Justice de l'époque de diligenter l'enquête. Il les aurait emportés dans le train le menant à Dijon.