Miss Peabody's Inheritance Traduction : Claire Malroux

Extraits Personnages

Voici un curieux petit roman, à la fois amer et drôlatique, dans ce style particulier à quelques romancières anglaises à vrai dire assez peu connues chez nous mais très appréciées dans le monde anglo-saxon, à savoir Elizabeth Taylor, Barbara Pym et l'incontournable et surprenante Ivy Compton-Burnett. Ajoutons à cette triade la mansfieldienne Elizabeth Bowen et Muriel Spark et le portrait de groupe sera encore plus parlant.

Miss Peabody est ce que l'on appelle encore, à l'époque où se déroule le roman, "une vieille fille." Elle a grandi dans une petite maison de la banlieue londonienne, entre un père et une mère qui l'aimaient, certes, mais la couvaient un peu trop. Le père - avec qui elle semble avoir eu un lien privilégié - décédé, la jeune femme s'est retrouvée seule avec sa mère. Le temps a passé avec ce naturel et cette rapidité dont lui seul est capable et les espoirs de mariage de Miss Peabody se sont envolés, complètement évanouis dans la nature, ne laissant derrière eux qu'une Mrs Peobody désormais impotente et à laquelle la fille se dévoue sans relâche matin et soir, avant de partir à et en revenant de son travail.

Seule échappatoire pour Miss Peabody : la lecture. Esprit relativement simple, elle aime les succès de librairies et, un jour, trouve on ne sait où le courage d'écrire à Diana Hopewell, romancière australienne dont elle a énormément apprécié le dernier ouvrage, une histoire de pensionnaires entrant en communion avec la Nature par le biais de chevauchées au clair de lune et d'explorations tâtonnantes d'amours adolescentes au parfum de lesbianisme. Ce dernier détail en dirait long sur les propres rêveries de Miss Peabody mais elle est à vrai dire si naïve - et le lecteur ne cessera d'ailleurs de la trouver de plus en plus naïve - qu'on peut douter de sa bonne compréhension de l'intrigue.

Miss Peabody est la première à s'en étonner : Diana Hopewell lui répond. Mieux : la romancière prend l'habitude de lui écrire très régulièrement et de lui faire part de ses travaux sur son prochain ouvrage. Là encore, il y aura des pensionnaires, celles d'une institution haut-de-gamme pour jeunes filles de bonne famille, dénommée "Les Hauts du Pin". Mais on y verra un peu plus de professeurs - des femmes elles aussi, bien sûr. Au premier rang, Miss Thorne, directrice pleine d'allant et débordante d'idées, toujours flanquée de la pâle, terne et pleunicharde Miss Edgely avec laquelle, on le découvre au fil des extraits et commentaires reçus par Miss Peabody, elle a jadis vécu une liaison torride et avec qui elle forme l'un de ces vieux couples qui sont légion chez les hétérosexuels et dont on a tort de sous-estimer le nombre chez les homosexuels.

Avec une habileté d'autant plus remarquable qu'elle paraît absolument naturelle, Elizabeth Jolley mène de main de maître ses trois intrigues : la découverte d'elle-même que, par le biais de sa correspondance avec Diana Hopewell, fait Miss Peabody, l'étude des difficultés rencontrées par la romancière australienne pour mener à bien son dernier projet littéraire et bien entendu les tribulations de Miss Thorne, partie en voyage en Europe avec sa bonne "Edge" et une jeune pensionnaire qui inspire à cette dernière une redoutable jalousie.

Le plus étonnant, c'est qu'on entre dans ce roman avec un petit sourire distrait, en se disant presque que ça ne fonctionnera pas et qu'on en sort fasciné par la technique de l'auteur. Tout est clair et calculé au millimètre. Loin de s'embrouiller avec ses voisins, chaque fil met en valeur le suivant. Et tout ça avec une économie de moyens qui laisse rêveur et admiratif.

Avec un projet un peu plus long - le roman ne fait que deux-cent-dix pages chez Payot-Rivages - l'effet en aurait peut-être été gâché. Mais Jolley a conscience de ses limites et nous invite à refermer le livre quand tout est joué - sauf pour Miss Thorne et ses compagnes, encore dans les limbes de l'imaginaire et léguées par Diana Hopewell à une Miss Peabody désormais bien plus sûre d'elle. A plus de cinquante ans, il était temps que cela lui arrive, non ?

Elizabeth Jolley a écrit d'autres romans dont "Foxybaby", qui prend pour cible les cures amaigrissantes. Je crois bien que, un de ces jours, je vais me l'acheter. Et, bien entendu, je reviendrai vous en parler.