Il Faut Qu'On Parle de Kevin - Lionel Shriver
Par woland le dimanche, janvier 29 2012, 12:45 - Littérature made in USA. - Lien permanent
We need to talk about Kevin Traduction : Françoise Cartano
Extraits Personnages
En raison d'un article lu sur un blog et qui reprochait à ce livre de culpabiliser la mère à outrance, j'ai longtemps tardé à lire ce roman dont le thème central est la recherche des causes de la violence adolescente, surtout lorsque celle-ci débouche sur des meurtres de masse similaires à la tuerie de Columbine, aux USA. J'ai tardé donc mais, une fois que j'en ai commencé la lecture, je n'ai pu me séparer de ce roman avant d'en avoir lu la dernière page. Pourtant, je tiens à le préciser, certains passages, dans lesquels la mère décrit elle-même son narcissisme et son égoïsme, et ceci sans aucune complaisance, ont de quoi déclencher la colère, l'antipathie et le malaise du lecteur.
Lionel Shriver a en effet choisi de ne nous donner que le point de vue de la mère de Kevin Khatchadourian. Point de vue fatalement partial, dépourvu d'objectivité, dira-t-on. Sans doute mais celui des autres acteurs de la tragédie eût-il été moins subjectif ? On accordera à cette mère qui s'interroge et déballe tout pour mieux comprendre comment son fils et elle en sont arrivés là, le mérite d'un franc-parler qui dérange, inquiète, blesse mais qui, jamais, ne tombe dans l'auto-complaisance.
Le roman se présente sous forme de lettres que Mrs Khatchadourian adresse à son mari, Franklin.Ce parti pris aurait pu rebuter des lecteurs qui ne sont plus habitués aux romans épistolaires mais le style dense, d'une précision d'analyse quasi clinique, et particulièrement soutenu utilisé par l'auteur agit comme une spirale hypnotique, accrochant et rivant le lecteur à une intrigue qui dévoile lentement une structure complexe et particulièrement travaillée. Bien qu'il s'agisse d'un récit d'introspection, il n'y a aucun temps mort : à partir du moment où l'on se plonge dans l'histoire, on veut aller jusqu'au bout, quel que soit le prix à payer pour ce faire.
Ce serait faire injure à l'habileté souveraine avec laquelle Lionel Shriver a mené sa barque que de résumer "Il faut qu'on parle de Kevin." Tout ce que vous avez besoin de savoir, c'est que Kevin s'est bien rendu coupable d'un massacre dans son lycée, qu'il a prémédité le fait et l'admet avec une curieuse bonne grâce, et que, à l'issue de son procès, sa mère est la seule personne qui vienne le voir au parloir de la prison. Le reste ne se raconte pas, il se lit.
Ce livre se double en outre d'une critique impitoyable des méthodes d'éducation laxiste qui, après avoir fleuri aux USA, ont envahi l'Europe. Non que Lionel Shriver soit pour les châtiments corporels : elle se contente de rappeler que le sens des limites et des garde-fous ne se communique pas en laissant faire à un enfant ses quatre volontés.
En ce qui concerne la culpabilisation de la Mère que certains ont voulu voir ici, j'affirme ne pas avoir compris comment ils en étaient arrivés à cette conclusion. Shriver met en évidence, de façon parfois insoutenable, c'est vrai, le lien privilégié et presque fusionnel qui s'établit entre la mère et son enfant. Force est de constater que, en dépit de tout, en dépit de ce que lui-même professe, c'est avec sa mère que Kevin a le plus d'atomes crochus. Comme Eva Khatchadourian, il fait preuve, dès le berceau, d'une personnalité désagréable, voire insupportable mais en tous les cas puissante et déterminée. Et, le livre refermé, l'on se surprend à s'interroger sur ce qui serait advenu si l'amour maternel avait été présent dès le premier souffle de Kevin.
Car l'amour maternel n'est pas inné. Cette idée, que véhicule tranquillement "Il faut qu'on parle de Kevin", a dû en choquer plus d'un aux USA et même ici, dans notre vieille Europe. L'affirmer haut et fort, sans pour autant accabler celle chez qui il ne se développe pas ou alors, chez qui il ne se développe que tardivement, c'est transgresser un tabou : jusque dans cette fonction qu'elle est seule à pouvoir assumer, la maternité, la Femme reste prisonnière d'étiquettes et de préjugés forgés par les mâles.
A la fin du roman, à la fin également d'un long, douloureux et sanglant parcours, Eva Khatchadourian aura appris - sans tomber dans le mélodrame, je vous rassure - à aimer son fils. Parce qu'elle aura compris que, dès son premier souffle, la seule, l'unique personne qui ait jamais compté pour Kevin, en dépit de tout, c'était elle, sa mère. ;o)
Commentaires
Bonsoir, pas encore lu le roman mais le film est vraiment très bien avec une Tilda Swinton qui crève l'écran. J'ai moi aussi compris que cette mère et son fils ont des liens indéfectibles et ce malgré les actes horribles que Kevin commet (dans le film il tue son père et sa soeur, mais il ne touche pas sa mère). Dans le film, la mère est stigmatisée par les "autres" mais je ne suis pas sûre qu'elle culpabilise tant que cela. Un sujet très fort. Bonne soirée.
Très bonne critique qui remet les pendules à l'heure sur les autres critiques qui disent que le roman culpabilisent la mère !
Bonjour, Isabelle.
Merci pour votre commentaire sur "Il Faut ..." et aussi pour celui sur "Le Dieu ..."
J'ai moi-même un autre livre de Paula Fox dans mes piles de livres à lire : "Côte Ouest." Je ferai une petite fiche dès que je l'aurais lu mais je ne saurais vous préciser quand.
Merci encore.
Cordialement.
W. ;o)
bonjour, je viens de terminer "Kévin" et voilà une lecture qui ne laisse pas insensible. Au fil des lettres, j'ai, avec horreur, compris le massacre final....
et de plus ce que j'ai toujours pensé "l'amour maternel n'est pas inné" apparaît ici.... de là dire que c'est cela qui rend cet enfant monstrueux....
une amie ne pouvant avoir d'enfant et qui ne voulait absolument pas adopter, m'avait fait cette remarque choquante "on ne sait pas sur qui on tombe" ; ma réponse fut "mais on ne sait jamais sur qui on tombe... les assassins ont aussi des mamams !