Le meurtre et le dépeçage, vraisemblablement tous deux prémédités, en dépit des dires de Cocaign, de Thierry Baudry, sont la preuve du contraire. Si Nicolas Cocaign n'a pas sa place au coeur de notre société, il ne l'a pas non plus dans le monde carcéral : dans les deux univers, les anthropophages sont des déviants, atteint d'une perversion du goût et du comportement qui les rend extrêmement dangereux pour autrui.

Seule la sphère médicale est à même d'abriter des malades de ce type qui, obéissant à un désir insatiable de domination, de pouvoir, "chosifient" l'Autre à l'extrême, au point de ne plus voir en lui qu'une source de nourriture et/ou de plaisir. Avec Nicolas Cocaign, nous sommes aussi loin du cannibalisme purement "sexuel" d'un Jeffrey Dahmer que du cannibalisme dit "de survie", comme celui que furent obligés de pratiquer sur leurs co-passagers morts les malheureuses victimes du crash de l'avion uruguayen dans la Cordillère des Andes, en 1972.

Encore l'aspect sexuel de l'acte n'est-il pas ici à négliger complètement car, que les auteurs l'aient voulu ou non, le lecteur a parfois l'impression que, pour Cocaign, Baudry présentait quelque chose de "faible" et, partant, d'efféminé. Néanmoins, le cannibalisme "d'agression", celui qui place au-dessus de tout la quête de pouvoir, l'emporte en cette affaire.

Hanté et déséquilibré par une quête identitaire qu'on ne peut pas lui reprocher, Nicolas Cocaign a avoué songer depuis longtemps à absorber de la chair humaine. Est-il excessif de voir, en ce désir, la volonté de dominer enfin une situation sur laquelle il ne parvenait pas à avoir la moindre prise ? Rejeté par sa mère, par son père et, selon lui, rejeté par ses parents adoptifs et par tous ceux qui l'entouraient, puis, évidemment, par la société dans son ensemble, le violeur passe à l'acte et devient non seulement un assassin, chose somme toute assez banale à ses yeux, mais aussi un cannibale : en ingérant ce qu'il croit être le coeur de son co-détenu - et qui n'est en fait qu'un morceau de poumon - ne serait-ce pas tout ce qui, jusque là, s'est refusé à lui et l'a rejeté qu'il s'approprie, définitivement ?

Quand il retournera à la liberté - il a été condamné à trente années de prison - Nicolas Cocaign n'aura pas réglé son grave et douloureux problème. Bien au contraire, la sensation de rejet qui a empoisonné sa personnalité se sera accrue derrière les barreaux. Et que fera alors la société - que ferons-nous ?

Rien. Nous lui rendrons une liberté qui, pour lui, est une charge et, pour ceux qui le croiseront, se révèlera un péril aussi mortel que larvé. Nous ferons comme la DDAS, ce symbole inhumain de la bien-pensance : nous nous laverons les mains de ce qui pourra se produire. Dans l'état actuel de la science, il est certain que Cocaign n'est pas récupérable. On pourrait néanmoins l'astreindre à un traitement qui freinerait ses pulsions. Mais pour ce faire, il faudrait changer bien des lois et aussi - et surtout - une certaine façon "angélique" de voir les choses et qui demeure l'apanage de notre société depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Quel est le gouvernant qui osera ? Dans quels limbes se trouvent encore les associations et organisations qui feront bouger les choses ? ...

Alors, attendons. Attendons que Cocaign sorte de prison et qu'il tue et dépèce quelqu'un d'autre. Il en reprendra pour trente ans et, au bout de trente ans, avec un peu de chance, la Faucheuse sera passée le prendre ... Ah ! oui, Ponce Pilate savait comment y faire : dormez en paix, braves gens. ;o)