The Big Picture Traduction : Bernard Cohen

Après "Cul-de-Sac", "L'Homme qui voulait vivre sa vie" marque l'entrée de Douglas Kennedy dans le domaine du roman classique. A sa sortie, le livre a connu un succès appréciable mais, pour ma part, ce n'est pas celui que je conseillerai de lire en premier.

La première partie, où l'on voit la vie rangée et confortable de Ben Bradford glisser à une vitesse croissante vers les horreurs du cauchemar, est passionnante. Peu à peu, on se prend de sympathie pour ce héros qui a eu le tort de choisir le confort (moral et matériel) pour y construire son existence. On finit même par l'admirer lorsque les circonstances le transforment en meurtrier.

En revanche, la seconde partie, durant laquelle Ben se construit une autre existence sous une autre identité et risque de tomber entre les mains d'un maître-chanteur, est beaucoup plus décevante.

En outre, les personnages sont - à mon sens - beaucoup moins nuancés que dans "Les Charmes discrets ..."Ce qui n'aurait rien que de très normal, évidemment : un auteur évolue et affirme sa technique. Le personnage de l'amant de Beth Bradson par exemple est terriblement monolithique. Le lecteur est presque heureux de voir Ben l'assassiner. En revanche, on comprend mal comment Beth a pu tomber dans les bras d'un individu aussi répugnant. Lassitude ? Dégoût de soi-même peut-être ? Cela dit, c'est vrai, ça arrive aussi et on a vu des choses plus étonnantes.

Mais ...

Contrairement à ce qu'il se passe dans "Les Charmes discrets ...", Kennedy insiste ici à peine sur le contexte historique et social - les années "goldies". Ben est un yuppie mais il ne semble en concevoir aucune fierté, il n'y a pas chez lui cette ambition folle, ce désir d'avoir plus et encore plus qui caractérise par exemple un Patrick Bateman. A la limite, Ben est devenu un yuppie par lâcheté, par peur de perdre le soutien de son père. Ca accroche un peu, quoi ... Surtout quand on assiste à sa transformation en meurtrier quand même assez froid. Et cette absence de dimension socio-historique nuit à la profondeur du roman.

Les deux grandes croix que Ben trace aussi sur ses deux enfants, Adam et Josh, ne m'ont pas non plus semblé très convaincantes. Bref, impression mitigée pour "L'Homme qui voulait vivre sa vie." ;o)