Les membres de la famille Fenouillard prirent leur envol en 1889, dans "Le Journal de la Jeunesse." Agénor, le père, commis-bonnetier qui avait épousé la fille de son employeur, Melle Léocadie Bonneau et en avait eu deux filles tout à fait charmantes, Artémise et Cunégonde, était un membre éminent de la bourgeoisie de St-Rémy-sur-Deule (Somme-Inférieure). Il y menait une vie paisible et rangée jusqu'au jour où, suite à une déclaration péremptoire de Mme Fenouillard ("C'est pas tout, ça ! mais nous devenons de vrais mollusques ! J'entends que, dès demain, nous partions en voyage !"), le virus de la bougeotte s'abattit sur l'intégralité de la famille.

La première expédition, vers Bruxelles, afin d'y visiter le Musée d'Anvers ("qui est un revolver chargé au coeur de l'Angleterre, comme a dit Jules César", dixit M. Fenouillard), tourne court suite à un conflit surgi entre ledit M. Fenouillard et un porteur de bagages. La seconde, sur Paris et sous le haut commandement cette fois de Mme Fenouillard, voit le digne Agénor harponné par l'ancre d'un ballon et ainsi promené par dessus les toits de la capitale.

On pourrait croire que son aterrissage forcé - et avec un fond de culotte gravement endommagé - a définitivement guéri les vélléités ambulatoires de M. Fenouillard. Mais c'est mal le connaître ! Le courageux Agénor reprend presque tout de suite la route pour faire découvrir Saint-Malo et les bains de mer à ses rejetonnes.

La machine est lancée : les Fenouillard ne s'arrêteront plus. Ils iront même jusqu'en Papouasie ! A chaque étape, ils se fourrent dans des situations invraisemblables qui les poussent à s'enfuir encore plus loin jusqu'à ce que, épuisés et d'une maigreur épouvantable, ils connaissent (enfin) le bonheur de regagner leur sol natal de St Rémy-sur-Deule (Somme-Inférieure)

Dès son premier grand album, Christophe impose son style : un contraste absolu entre le comique des dessins et le ton littéraire, parfois à la limite de l'ampoulé mais toujours pince-sans-rire des textes, lesquels abondent en outre en ce que l'on ne nomme pas encore "clins-d'oeil" (littéraires, scientifiques, historiques et géographiques).

Pour ses lecteurs, l'Angleterre sera toujours "la perfide Albion qui a brûlé Jeanne d'Arc sur le rocher de Sainte-Hélène" et aucun d'entre eux n'oubliera le spectacle offert par M. Fenouillard se préparant, stoïque, à se faire hara-kiri en s'entraînant avec son parapluie ou encore affrontant les tortures les plus inimaginables chez les Indiens d'Amérique. ;o)