Les Enfants de Minuit - Salman Rushdie (Inde)
Par woland le vendredi, août 1 2008, 17:07 - Littérature indienne - Lien permanent
Midnight's children Traduction : Jean Guiloineau
Voici un roman fabuleux dont l'auteur parvient à tenir en haleine son lecteur avec le même brio que Shéhérazade dans "Les Mille et une Nuits." Pourtant, ce n'est pas cela qui est ici le plus remarquable : ce qui séduit et émeut avant tout, c'est la certitude, très vite acquise, du drame vécu par Rushdie, profondément et viscéralement Indien avant que d'être musulman.
"Les Enfants de Minuit" est un hymne somptueux à l'Inde, une Inde au passé multi-ethnique et multi-religieux mais dans laquelle la sagesse millénaire de la civilisation indo-européenne s'impose comme référence primordiale. Comme l'indo-européen, ancêtre des langues parlées sur notre planète par à ce jour trois milliards d'individus, a uni l'Occident à une partie de l'Orient, Rushdie tente de sceller dans ce livre l'union de l'Inde hindoue et de l'Inde musulmane.
Déiste plus qu'athée véritable, conteur-né dont la sensibilité au merveilleux permet de faire admettre naturellement le basculement de l'intrigue, à certains moments, dans une forme de fantastique, poète incontestable bercé aussi bien par les mythes flamboyant de couleur de la culture hindoue que par les récits tout aussi colorés venus d'Arabie par le biais de l'islam, Rushdie brosse ici une fresque grouillante et pleine de lumière où seules les dérives et les interdits religieux sont traités sans tendresse.
Résumer l'intrigue est chose impossible - sous peine, entre autres, d'en dévoiler un peu trop les fils. En gros, il s'agit de la vie d'une famille indienne de religion musulmane, les Sinai-Aziz, depuis la perte de la foi par le grand-père maternel, Aadam Aziz, jusqu'à la rupture avec le Pakistan et le retour dans le giron de la Grande Mère Inde de son petit-fils, Saleem, qui est aussi le narrateur du récit.
En toile de fond, les tribulations de l'Inde, de l'immédiate Indépendance jusqu'au règne d'Indira Gandhi (magnifiquement identifiée à la déesse Kali par Rushdie) en passant par la partition du Pakistan - "pays de la pureté" (!!!) - et, bien entendu, la guerre qui opposa le Pakistan à la République indienne dans les années soixante.
Le style est chatoyant, on dirait une foule de soieries, plus luxueuses les unes que les autres, qui se déplient une à une, affolant et ravissant l'oeil tout à la fois et dont l'éblouissant assemblage sert à masquer autant qu'à mettre en valeur le ton pince-sans-rire, attendri, cruel aussi, avec lequel Rushdie évoque sa nation et son peuple.
Un livre fascinant et une bouffée d'espoir pour tous ceux qui pensent qu'un jour, l'islam connaîtra sa révolution des Lumières. Mais un livre qui conforte aussi dans la certitude que ces Lumières-là ne pourront venir que d'un peuple non-arabe. ;o)
Commentaires
Hé ! Hé ! Assez incisive, la dernière partie de ce commentaire ! Du Woland pur et dur. Je fais partie de ceux qui ont lu "Les versets sataniques" ; j'ai lu aussi un autre livre de lui, "La terre sous ses pieds", si je me souviens bien du titre. Rushdie démontre que l'on peut être un très grand écrivain tout en ne faisant pas dans le réalisme ou la psychologie, ce qui me motive, évidemment. Pour notre plus grand bonheur, il n'a jamais cessé d'écrire malgré les déboires qui ont fait de sa vie un enfer. "Les enfants de minuit" est son premier roman, que je n'ai pas lu. Une lacune qu'il me faudra bien combler un jour.
je n'ose comprendre ce que tu dis à demi-mot dans ton dernier paragraphe...
Mon cher Antoine,
Je l'écris comme je le pense. Des Turcs, des Iraniens, des Indiens, des Indonésiens, des Chinois même qui réfléchissent sur l'évolution forcée de l'islam et qui y aspirent, ça existe. Si tu tentes d'évoquer la question avec l'Arabe-lambda, il te répond "Inch Allah !"
Déjà, ça jette un froid.
Bises.
W. ;o)
Bonjour, Nymphette.
Mon propos n'est pas de choquer. Il n'est pas non plus racial puisque les Arabes sont des Sémites, comme les juifs, et que la religion juive a su évoluer vers une interprétation non-littérale de la Bible (à l'exception des fanatiques orthodoxes mais que voulez-vous, cette espèce-là a la vie dure ...)
Cela fait treize ans que je commerce avec ce que l'on nomme les pays arabo-musulmans - surtout le Maghreb. Et cela fait treize ans que, toutes les fois que j'ai tenté de parler religion avec des personnes pourtant éduquées et instruites (je fais dans le para-médical et j'ai affaire très souvent à des médecins parfaitement bilingues et qui, chez eux, représentent le "dessus du panier"), on m'a répondu ou que l'on ne pouvait pas toucher à l'islam comme ça, ou alors, tout simplement, par un "Inch Allah !" tout à fait désespérant.
Les Turcs, pour ne citer qu'eux, n'ont pas du tout cette façon de voir les choses et ils tiennent à leur laïcité tout en ne reniant pas leur religion. Ils se définissent d'ailleurs comme un peuple, le peuple turc, avant de se voir comme musulmans.
Dans les pays arabes, on est musulmans d'abord, ensuite arabes.
Quand ils inverseront la vapeur, alors, peut-être, feront-ils évoluer leur islam. D'ici là, je camperai sur mes positions.
Cordialement.
W. ;o)
PS : mais le pire n'aurait-il pas été que j'estime l'islam incapable de connaître sa Révolution des Lumières ? ... A vrai dire, c'est tout le mal que je souhaite à cette religion. ;o)