The Servant/Line on Ginger/Pay Bearer £ 20 Traduction : Jean Fayard

De ce trio de nouvelles, deux au moins - les deux premières - ont été adaptées au cinéma. Le succès du film éponyme de Joseph Losey, avec Dirk Bogarde et Edward Fox, ne se dément toujours pas et son interprétation tout comme sa mise en scène ont contribué à en faire un film-culte.

Dans ce recueil, "The Servant" arrive loin en tête. C'est la meilleure, la plus glauque, la plus ambiguë, la plus originale aussi car Robin Maugham y rompt avec une manière de faire qui, probablement, lui avait été inspirée par l'oeuvre de son oncle, Somerset, prince de la nouvelle dans un style plus proche de Maupassant que de Mansfield.

Un célibataire indolent engage une espèce de domestique-majordome, professionnel de très grande qualité mais personnage trouble qui évince peu à peu les amis des deux sexes (dont le narrateur) qui gravitaient autour de son maître et finit par lui imposer son mode de vie à lui, dans une relation aux relents à la fois bisexuels et pédophiles.

Tout l'art du conteur est ici de suggérer plus qu'il n'affirme et pourtant "The Servant" est d'une violence extrême. S'y mêlent la honte qui nimbe l'homosexualité comme la bisexualité masculine dans l'Angleterre de l'époque et le dégoût qu'inspire une perversion telle que la pédophilie.

A noter que les personnages principaux sont moins policés que les versions données par Fox et Bogarde.

A côté d'une perfection comme celle-là, les deux nouvelles suivantes ne peuvent qu'apparaître plus faibles. Le sujet de "Line on Ginger" est pourtant très intéressant : en rentrant chez lui un soir, le narrateur tombe inopinément sur un cambrioleur qui n'est autre qu'un ancien camarade de combat. Il lui donne sa parole de ne pas appeler la police mais un malheureux concours de circonstances semble prouver au contraire qu'il les a appelés. Le cambrioleur prend la fuite et le narrateur, soucieux de se justifier et interpellé par la situation dans laquelle il vient de retrouver son frère d'armes, décide coûte que coûte de découvrir sa cachette autant pour se justifier que pour essayer d'améliorer l'ordinaire de celui qui, pour lui, demeure "le Rouquin."

Dans ce but, il reprend contact avec les différents hommes ayant survécu à la patrouille où le Rouquin fut porté disparu. Ce qui donne au lecteur un portrait très réaliste de l'Angleterre de l'Après-guerre.

A l'issue de la nouvelle, le Rouquin accepte d'accompagner le narrateur dans une croisière, loin de l'Angleterre. Je précise que le narrateur est en apparence des plus hétérosexuels. Maintenant, le lecteur peut se poser quelques questions.

"Pay Bearer £ 20" tient également du souvenir de guerre : un homme part à la recherche d'un ancien camarade de régiment, lui aussi porté disparu. Au cours de son périple au Moyen-Orient, il découvre que le disparu a eu un fils d'une Bédouine et s'interroge sur la nécessité de ramener l'enfant à la civilisation de son père.

La faiblesse apparente des deux dernières nouvelles vient peut-être en partie du style adopté : ici, tout est dit, rien n'est laissé à l'imagination du lecteur et on n'y rencontre aucune de ces ombres qui enveloppent "The Servant" du début jusqu'à la fin. ;o)