Mansfield Park Traduction : Denise Getzler

Avec "Emma", "Mansfield Park" est le roman le plus épais de Jane Austen. La première fois que je l'ai lu, j'en suis sortie assez déconcertée, peut-être d'abord par la traduction mais aussi par la carrure, très cendrillonnesque, de l'héroïne. Et puis, à la faveur d'une rhino-pharyngo-chose qui me privait du plaisir de lire à haute voix, j'ai repris l'ouvrage et je lui ai découvert un certain charme.

Les trois soeurs Ward ont fait des mariages bien différents. La grande beauté de Maria, l'aînée, lui a permis de séduire Sir Thomas Bertram, possesseur d'une très belle demeure sise dans la campagne anglaise et dénommée Mansfield Park. La seconde, de physique plus discret, a dû se rabattre sur un parent de son riche beau-frère, le pasteur Norris. Quant à la troisième, Frances, aussi belle que l'aînée mais plus tête folle, elle s'est éprise d'un lieutenant de marine sans revenus ni prétentions.

Lady Bertram a eu quatre enfants : Thomas, Edmund, Julia et Maria. Mrs Norris n'en a eu aucun. Frances Price en a au contraire toute une ribambelle.

Un jour, bien que les relations entre Mansfield Park et la famille Price soient des plus épisodiques, Frances écrit à sa soeur pour lui demander de prendre à sa charge l'éducation de l'un de ses enfants. Après quelques hésitations, les Bertram se décident pour la fille aînée, Fanny, qu'ils accueillent donc en leur demeure avec la ferme intention de lui donner la meilleure instruction possible tout en lui faisant bien comprendre la différence de condition qui la sépare de ses cousins.

Mais les Bertram ne sont pas vraiment méchants et, peu à peu, chacun à sa manière, ils s'attachent à Fanny dont le meilleur ami dans la maison devient son cousin Edmund. Bref, la vie ne serait pas si mauvaise pour l'adolescente, n'était sa tante Norris qui, pour des raisons mesquines, ne manque pas une occasion de lui rappeler qu'elle est d'une condition inférieure à toute la maisonnée Bertram, etc, etc ...

Quelques années plus tard, alors que tous sont devenus des jeunes gens - Tom fait la noce à Londre, Edmund envisage de se faire ordonner, Maria vient tout juste de se fiancer à un hobereau local d'une parfaite stupidité et Julia cherche encore la perle rare - les affaires de lord Bertram le requièrent personnellement aux Antilles, où il possède une plantation. Il s'absente pour à peu près un an et, comme le veut le proverbe, les souris se mettent alors à danser ...

Non la pauvre Fanny bien sûr dont la principale fonction, à Mansfield Park, est de tenir compagnie à l'indolence d'idole de lady Bertram mais les enfants Bertram que trouble fort l'arrivée au presbytère de Mary et Henry Crawford.

Henry, le frère, commence à faire la cour à Julia, puis à Maria. Quant à Mary, elle s'est mise en tête de séduire Edmund et y réussit assez bien, au grand dam de Fanny qui, sans s'en être aperçue, est tombée amoureuse de son cousin. Là-dessus vient se greffer le retour de Tom et de l'un de ses amis, Mr Yates, passionné de théâtre amateur ...

Conte de fées moral, "Mansfield Park" récompense les bons et les généreux et châtie les superficiels et les égoïstes. Mais on y retrouve en filigrane le mépris austenien pour les conventions sociales qui se basent sur les "espérances" d'une fille à marier pour déterminer si la jeune fille en question est digne ou non d'être aimée. Le regard que porte la romancière britannique sur l'establishment de son époque est toujours aussi féroce et lord Rushworth par exemple, le fiancé, puis l'époux trahi de Maria, a tout de la caricature impitoyable.

Autre caricature, dont la sottise et l'étroitesse d'esprit ne peuvent manquer d'indigner le lecteur : Mrs Norris, toujours prête à s'émerveiller devant ses nièces Bertram parce que celles-ci ont leurs revenus assurés et qui traiterait la pauvre Fanny comme un paillasson si on la laissait faire.

Un roman à déguster tranquillement, tout en sachant qu'il est peut-être le plus conventionnel de ceux qu'écrivit Jane Austen. ;o)