Koge Traduction : Corinne Atlan

Bien plus que le milieu des geishas, c'est la relation mère-fille qui est au centre de ce"Miroir des Courtisanes."

Tout d'abord celle qu'entretient Tsuna avec sa fille, Ikuyo puis celle qui lie Ikuyo à sa fille aînée, Tomoko. Ni la grand-mère, ni la petite-fille ne parviendront jamais à saisir la nature réelle d'Ikuyo, qu'elles aiment et haïssent avec autant d'intensité l'une que l'autre mais qui ne semble éprouver envers elles qu'une parfaite indifférence.

Quand s'ouvre le roman, Ikuyo s'apprête à se remarier avec le fils du chef du village. Le scandale couve car, lors des obsèques de son premier mari, le père de la petite Tomoko, elle avait affiché le grand deuil blanc traditionnel, ce qui revenait à proclamer que, en dépit de son jeune âge, jamais elle ne convolerait. Pour les villageois, elle se renie donc mais il est clair qu'elle s'en soucie fort peu.

Ikuyo ne s'intéresse qu'à deux choses : la préservation de sa beauté et les kimonos qui lui permettent de mettre celle-ci en valeur. Elle aime le luxe et le clinquant, prend très vite l'habitude de se faire des bains de peau au saké afin de conserver la fraîcheur de son teint et ne met des enfants au monde que pour mieux les abandonner.

En principe, Tomoko, qui admire sa mère et guette toujours le moindre geste affectif venant d'elle, aurait dû être élevée par sa grand-mère, Tsuna. Mais lorsque, sans en prévenir qui que ce soit, Ikuyo et son nouveau mari quittent le village pour Tôkyô, Tsuna ne résiste pas à la honte : elle tombe malade, perd un peu la tête et décède.

Tomoko se retrouve donc à la charge de son beau-père, Keisuke, homme bon mais faible, qui, pour complaire à Ikuyo, a accepté de prendre un appartement dans le quartier des plaisirs de Tôkyô. Tomoko étant une jolie enfant, on propose vite à sa mère d'en faire une apprentie geisha.

Tout aurait pu se terminer là entre la mère et la fille puisque, dès lors qu'elles intégraient une maison de geishas, les petites Japonaises n'avaient pratiquement plus de rapports avec leurs parents par le sang. Mais le destin va en décider autrement et, jusqu'à la mort accidentelle de sa mère, à la soixantaine, Tomoko ne parviendra jamais à vivre sa vie sans qu'elle n'y interfère d'une façon ou d'une autre, et toujours en mal.

Néanmoins, Tomoko veut s'illusionner. Elle guette, elle espère, elle attend, elle se dit que sa mère vaut bien mieux qu'elle ne veut laisser croire. Ariyoshi Sawako nous fait sentir avec un art consommé la profondeur du vide filial qui habite Tomoko non seulement durant son enfance mais aussi pendant sa vie d'adulte. Ce n'est pas une mère qui a été donnée à Tomoko : c'est une contrefaçon, une espèce de poupée extrêmement belle mais complètement creuse et peu intelligente (la ruse n'est pas intelligence) dont le narcissisme monstrueux l'incite à considérer tout être, y compris ses enfants, non en fonction de ce qu'ils sont mais en fonction de ce qu'ils peuvent lui rapporter.

Donc, un conseil : si vos relations avec votre mère sont chaleureuses et exemplaires, vous pouvez lire sans crainte "Le Miroir aux courtisanes." En revanche, il y a gros à parier que vous n'y verrez qu'un roman de plus, et peut-être moins intéressant qu'un autre, sur le monde des geishas et des courtisanes japonaises.

Si vous avez un problème avec votre mère et que ce problème ne s'est pas arrangé avec l'âge, vous pouvez aussi lire "Le Miroir aux Courtisanes" mais en gardant à l'esprit qu'on aurait aussi bien pu l'appeler : "Le Miroir des Enfants mal-aimés." La lecture que vous en ferez sera prenante, excessive, voire douloureuse mais vous n'en perdrez pas un seul mot, pas un seul sous-entendu, pas une seule émotion. ;o)