"Presque Rien" : Douleurs Feutrées
Par woland le vendredi, novembre 30 2007, 14:32 - Alexandrie 2008 : Journal de Bord - Lien permanent
Toute l'élégance avec laquelle oeuvre ici Jean-Christophe Heckers est contenue dans le titre de ce recueil de onze nouvelles. Parmi celles-ci, certes, quelques unes évoquent la joie et l'épanouissement. Mais le sentiment général que j'en ai tiré est celui d'une somme de petites douleurs, feutrées mais lancinantes, dont l'accumulation peut finir, dans certains cas, par réduire à néant l'existence de ceux qui les subissent.
Le thème majeur de ce recueil - peut-être l'ai-je déjà dit - c'est l'identité sexuelle, essentiellement homosexuelle ou bisexuelle. "Ces choses-là" par exemple, très courte nouvelle d'ouverture, évoque un homme (car c'est un homme) dont on ignore l'âge (bien que je l'imagine personnellement tournant autour d'une cinquantaine triste de vieux garçon) ou le milieu social, et qui noue conversation, sur un banc public, avec un autre homme (car c'est encore un homme, le lecteur ne peut en douter et celui-là, je le verrai plus jeune.)
Peut-être fais-je erreur, peut-être est-ce le premier des deux hommes qui est jeune et le second qui a atteint la maturité mais dans le fond, peu importe. Ce qui compte, c'est que, lorsque tinte très vite la fameuse question : "On va chez vous ? ...", le premier homme se rétracte. Eh ! non ! Il n'attendait vraiment rien ni personne, sur ce banc, et certes pas une occasion de ... de quoi, au juste, déjà ? ...
Pour diverses raisons qui n'ont pas leur place dans ce billet, j'ai eu le triste privilège d'assister au long calvaire d'un homme qui ne put jamais assumer son identité sexuelle - qui ne la connaissait peut-être pas vraiment. Cet homme, c'était mon frère.
Or, dès "Ces choses-là," nombre de textes contenus dans ce recueil m'ont évoqué sa silhouette, sa sensibilité d'écorché-vif qu'il dissimulait souvent sous une agressivité étudiée et l'intense solitude qui a fini par l'emporter. Tous sont marqués au coin de la sincérité, on ne peut pas ne pas avoir vécu ce qu'ils disent soit personnellement, soit par être cher interposé, et cette authenticité pleine de pudeur est peut-être leur meilleur atout.
Par touches menues et avec un grand naturel, en exprimant avec une simplicité exemplaire * les quelques rares joies et les très lourdes déceptions qui jonchent le parcours homosexuel, Jean-Christophe Heckers donc, non seulement m'a restitué un être que j'aimais mais prouve - s'il en était encore besoin - qu'il est de la race des authentiques écrivains.
- : c'est exprimé simplement, soit. Mais ça ne veut pas dire que ces textes aient été simples à rédiger, bien entendu. ;o)
Commentaires
Je ne peux résister d'y aller encore de mon commentaire sur l'ouvrage de cet authentique écrivains, comme tu le dis si bien. C'est exprimé simplement mais, mais...
"Pour n’avoir pas été sensible à certaines nouvelles de l’auteur, mon jugement avait été un prompt. Je retire sur le champ cette phrase de mon précédent commentaire : « Jean-Christophe Heckers est nettement plus à l’aise dans la conception de romans que dans l’élaboration de nouvelles… » PRESQUE RIEN est réellement un bijou littéraire. Les mots coulent, roulent et s’enchaînent sans anicroche. Dans ce recueil, cette langue française que nous chérissons tous ici, est maniée avec une dextérité révélatrice d’élégance, de panache, de pétulance, mais aussi d’une évidente assurance… rassurante. Ce recueil frôle la perfection, si tant est que je puisse la reconnaître".
Vous pensez que j'en fais trop ? Lisez-le et dites-moi !