Saint-Simon expose maintenant les premières réactions provoquées par la parution de l'ouvrage de Bossuet, qu'avait cru bon de devancer Fénelon avec ses "Maximes des Saints" :

"... ... Dans ces circonstances, M. de Meaux ( Bossuet ) publia son "Instruction sur les états d'oraison", en deux volumes in-octavo, la présenta au Roi, aux principales personnes de la cour et à ses amis. C'était un ouvrage en partie dogmatique, en partie historique, de tout ce qui s'était passé depuis la naissance de l'affaire jusqu'alors, entre lui, M. de Paris et M. de Chartres d'une part, M. de Cambray et Mme Guyon de l'autre. Cet historique très-curieux, et où M. de Meaux laissa voir et entrendre tout ce qu'il ne voulut pas raconter, apprit des choses infinies et fit lire le dogmatique.

Celui-ci, clair, net, concis, appuyé de passages sans nombre et partout de l'Ecriture et des Pères ou des conciles, modeste, mais serré et pressant, parut un contraste du barbare, de l'obscur, de l'ombragé, du nouveau et du ton décisif de vrai et de faux des "Maximes des Saints", et les dévora aussitôt qu'il parut. L'un, comme inintelligible, ne fut lu que des maîtres en Israël (1) ; l'autre, à la portée ordinaire et secouru de la pointe de l'historique, fut reçu avec avidité et dévoré de même.

Il n'y eut homme ni femme à la cour qui ne se fît un plaisir de le lire et qui ne se piquât de l'avoir lu : de sorte qu'il fit longtemps toutes les conversations de la cour et de la ville. Le Roi en remercia publiquement M. de Meaux. En même temps, M. de Paris et M. de Chartres donnèrent chacun une instruction fort théologique, en forme de mandement à leur diocèse, mais qui fut un volume, surtout celui de M. de Chartres, dont la profondeur et la solidité l'emporta sur les deux autres, au jugement des connaisseurs, et devint la pierre principale contre laquelle M. de Cambray se brisa. ... ..."

(1) : allusion à une parole que Jésus adresse à Nicodème ("Evangile selon St Jean") : "Quoi ? Vous êtes maître en Israël et vous ignorez ces choses ?"