Strangers on a train Traduction : Jean Rosenthal

C'est le premier Highsmith que je lis - comme quoi, ne désespérez jamais. ;o) Bien sûr, comme tout le monde, je connais le film d'Hitchcock, réalisation brillante où, aux côtés d'un Farley Granger qui convient admirablement, je trouve, au caractère veule et influençable de Guy Haines, on se rappelle surtout le prodigieux Robert Walker.

Mais Hitchcock avait pris des libertés avec l'intrigue de base. Sa victime par exemple, Miriam Joyce, il la transforme carrément en garce pas si sotte que ça et odieusement intéressée et manipulatrice. Haines est aussi joueur de tennis alors que, dans le roman, il est en fait architecte. De même, le personnage de Gerard, le détective privé, a été oublié.

Car dans le roman de Highsmith, il n'y a évidemment pas de happy end et Haines commet bel et bien le meurtre que lui a réclamé, en échange de celui de Miriam, le jeune et riche étranger croisé dans le Nord-Express.

Pourquoi finit-il d'ailleurs par s'introduire dans la maison de Bruno Sr et pourquoi l'abat-il de deux balles de révolver ? Highsmith met le paquet sur le harcèlement que, après avoir rempli sa part du contrat tacite qui, croit-il, le lie à Guy Haines, Charlie Bruno fait subir à ce dernier. Mais là où elle se montre proprement diabolique, c'est que, malgré son talent, qui est immense ; malgré son sens poussé d'une analyse psychologique qui confine à la véritable traque des sentiments, les bons et les moins bons, Highsmith ne cherche pas en fait un seul instant à nous convaincre.

Ce qu'elle veut que nous comprenions, c'est la fascination que Guy Haines, héros à peine un peu moins falot dans le roman qu'il n'est représenté dans le film, se met peu à peu à ressentir envers Bruno. Une fascination étrange, incontrôlable, qui va crescendo et qui, en parallèle avec la faiblesse de caractère de Haines, révèle les hésitations de sa sexualité.

Dès leur rencontre, Bruno est présenté comme un assez joli garçon qu'un furoncle, poussé au beau milieu de son front, défigure provisoirement. Or, ce furoncle luisant et qui inspire à tout lecteur ayant conservé le souvenir de ses années d'adolescence, une étonnante impression de souffrance, ce furoncle hypnotise presque Guy.

Comme l'hypnotiseront peu à peu - et pour longtemps - les manières de fils à papa déjanté et alcoolique qui sont celles de Bruno. Plus encore, comme l'hypnotisera probablement à tout jamais l'incroyable force de caractère du personnage.

Car le héros, c'est bel et bien Charlie Bruno. Oui, il boit comme une outre ; oui, les femmes le répugnent ; oui, il voue une adoration quasi mystique à sa mère, Elsie ; oui, c'est un éternel insatisfait, un éternel Oedipe qui ne conçoit pas qu'il ne puisse pas tuer ou faire tuer son père-rival ; oui, il est complètement cinglé et, avant que la mode des psychopathes ait envahi le polar américain, il présente les principaux traits de caractère de ces meurtriers si particuliers.

Mais Charlie n'en reste pas moins la seule valeur sûre de l'histoire, un petit garçon que le comportement des adultes qui l'ont élevé ont condamné à s'enfermer dans le mensonge et l'alcool et cependant un homme incapable de redouter la Mort.

A côté de lui, Guy Haines fait décidément bien pâle figure et le lecteur est heureux lorsque, un peu malgré lui, il finit par passer aux aveux. Mais Charlie est déjà mort depuis quelque temps à ce moment-là et dans un sens, cela vaut mieux parce que Guy entend bien obtenir moindre peine en rejetant la responsabilité de ses actes sur lui.

Comme le ferait, ma foi, le survivant d'un banal couple d'hétéros assassins. ;o)