Titre original : ? Traduction : Davydoff & Pauliat

Ma première rencontre avec Alexis Pechkov, qui devait plus tard prendre le pseudonyme de Maxime (par référence au prénom de son père) Gorki (mot russe qui signifie "amer") date de mes quinze ans, ce qui ne me rajeunit guère. "Enfance" est le premier ouvrage de cet auteur que j'ai lu, bientôt suivi par "En gagnant mon pain" et "Mes universités", les deux autres volumes de cette trilogie dans laquelle il a conté ce que fut sa jeunesse.

Puis bien sûr, il y eut "La Mère" que je n'ai pas du tout aimé car je la jugeai - la jugerais-je encore de même aujourd'hui ? - comme trop "démago."

Accessoirement, je me rappelle aussi le film que Renoir tira des "Bas-Fonds" dans les années trente.

La trilogie de sa jeunesse est à mon sens ce que Gorki a produit de mieux. Dans ces livres au style simple mais poétique, se retrouve ce mélange de sincérité, d'utopie et de mysticisme qui avait le don de mettre Lénine en colère et que Staline ne cessa jamais d'avoir en horreur.

Avec l'âge, je comprends mieux l'essence de ce qui, chez Gorki, mettait en rage les deux dictateurs : en dépit de la misère qu'il connut intimement si jeune, en dépit des désillusions que lui apporta assez vite la doctrine bolchevique, en dépit des tentatives de suicide de son adolescence et du poumon fragile que lui laissa l'une d'elles, installant ainsi en son organisme une prédisposition à la tuberculose dont il souffrit le restant de son existence, l'écrivain n'a jamais cessé d'exprimer sa foi dans le salut de la Russie.

Ainsi, dès "Enfance", on peut lire ceci :

"... ... Ce qui étonne chez (les Russes), ce n'est pas tant cette fange si grasse et si féconde allusion à la vie misérable et cr..., mais le fait qu'à travers elle germe malgré tout quelque chose de clair, de sain et de créateur, quelque chose de généreux et de bon qui fait naître l'espérance invincible d'une vie plus belle et plus humaine. ... ..."

Gorki aurait-il tenu ce même langage devant les ruines de Tchernobyl ? Ce qu'il y a sans doute d'étrange et de merveilleux avec lui, c'est que c'est pratiquement certain. En dépit des horreurs de la vie, en dépit de sa propre recherche de la mort, il y a, chez Gorki, une flamme qui se refuse à capituler - une flamme dont on peut se demander si elle n'est pas tout simplement une parcelle de l'âme russe.

Voilà pourquoi lire sa trilogie sur sa jeunesse est nécessaire et permet de comprendre en quoi, sans l'ampleur d'un Tolstoï et la finesse sans pareille d'un Tchékhov, muni du seul naturel et d'une générosité étroitement chevillée à son destin de créateur, Gorki est parvenu à accéder au cercle des grands auteurs russes.

"Enfance" est avant tout le portrait de ses grands-parents maternels, qui l'élevèrent jusqu'à ses 8 ans, date à laquelle il partit "gagner son pain" : Akoulina, la grand-mère vive, rieuse et aimante - un roc, cette femme - et Vassili, le grand-père, petit, avec quelque chose de saturnien, bon pourtant malgré ses accès de sauvagerie. Des personnages en apparence tout simples dont, en même temps que le petit Alexis, nous découvrons peu à peu la profonde complexité.

Un livre attachant et sincère, qu'on lit presque d'une traite et qui constitue un témoignage de première main sur la vie des petites gens russes dans la société tsariste de la fin du XIXème. ;o)