... et de ton commentaire à ce sujet, Carine, ;o) je ne résiste pas au plaisir de citer quelques extraits très révélateurs de cet ouvrage :

1) Stingo à Nathan, qui vient de comparer le lynchage particulièrement horrible d'un Noir (Bobby Weed) à l'abandon des Juifs par l'Europe sous le règne d'Hitler :

"Nathan, ce qui est arrivé à Bobby Weed", répliquai-je, "était horrible. Innommable ! Mais je ne vois pas à quoi ça rime de mettre en équation un mal et un autre mal, ni de leur attribuer je ne sais quelle stupide échelle de valeur. Les deux choses sont horribles !

2) Stingo à Nathan, qui vient de s'attaquer avec violence à la pauvre Sophie :

"En tant que représentant d'une race injustement persécutée pendant des siècles pour avoir soi-disant crucifié le Christ, vous, oui, vous, bordel de Dieu, devriez pourtant savoir à quel point il est inexcusable de condamner isolément un peuple, et pour n'importe quel acte ! ... Et ceci vaut pour n'importe quel peuple, bonté divine : même pour les Allemands !"

3) Stingo-Styron évoquant le livres d'Elie Wiesel et de Jean-François Steiner sur les Juifs morts dans les camps :

"... ... Un des survivants, Elie Wiesel, a écrit : "Les romanciers l'ont exploité (l'Holocauste) à loisir dans leurs oeuvres ... Ce faisant, ils l'ont amoindri, vidé de sa substance. L'Holocauste était devenu un sujet d'actualité, un sujet à la mode, car idéal pour monopoliser l'attention et remporter un succès immédiat ..." Je ne sais pas jusqu'à quel point ceci est valable mais j'ai conscience du risque.

Pourtant, je ne peux me résigner au point de vue de Steiner lorsqu'il suggère que la réponse est le silence, qu'il vaut mieux "ne pas ajouter à l'indicible la banalité des débats littéraires ou sociologiques." Pas plus que je n'accepte l'idée selon laquelle "en présence de certaines réalités, l'art ne peut être que dérisoire ou irrévérencieux." Je décèle dans ceci une touche de bigoterie, dans la mesure surtout où Steiner, lui, n'a pas gardé le silence. Et certes, bien que son hermétisme lui confère des dimensions quasi cosmiques, l'incarnation du Mal qu'est devenu Auschwitz ne demeure impénétrable qu'aussi longtemps que nous nous dérobons devant l'effort pour la pénétrer, même de façon inadéquate ; Steiner lui-même se hâte d'ailleurs d'ajouter que, faute de mieux, il convient "d'essayer de comprendre." J'ai pensé qu'il serait peut-être possible de comprendre Auschwitz en essayant de comprendre Sophie qui, pour dire le moins, était un noeud de contradictions.(1) Bien que non juive, elle avait souffert autant que les Juifs qui avaient survécu aux mêmes épreuves, et même - cela, je le crois, deviendra évident - de diverses façons très profondes, elle avait souffert davantage que la plupart. (Il est excessivement difficile pour de nombreux Juifs de voir au-delà de la nature sacrée de la fureur génocide des Nazis, et c'est pourquoi, dans l'émouvante étude de Steiner, lui-même juif, je juge moins comme une faute que comme une pardonnable lacune qu'il se borne à de rapides références aux multitudes de non-Juifs - les cohortes de Slaves et de Tziganes - qui furent engloutis par le système des camps, exterminés tout aussi inéluctablement que les Juifs, peut-être parfois seulement avec moins de méthode. ... ...

(1) : la fin du roman, en révélant la plus lourde des souffrances que Sophie dut endurer, explique, en partie, les apparentes contradictions du personnage qui ne ment pas mais n'ose pas dévoiler.