A Pale View of Hills Traduction : Sophie Mayoux

Qu’il s’agisse du magique et surréaliste « Inconsolé » ou de l’onirique « Quand nous étions orphelins », l’œuvre de Kazuo Ishiguro, écrivain anglophone d’origine japonaise, déçoit rarement et se prête volontiers à plusieurs lectures. C’est que l’art de son auteur s’exprime toujours en demi-teintes et en non-dits, ainsi que le prouve son plus que célèbre « Les Vestiges du Jour. »

« Lumière Pâle Sur Les Collines », dont, par extraordinaire, l’action se situe pour l’essentiel dans le Japon de l’immédiate Après-guerre, très précisément à Nagasaki, ville-martyr, ne contrevient pas à ce principe. Mieux : de tous les romans d’Ishiguro, celui-là est sans conteste celui qu’il faut lire avec le plus grand soin, l’attention la plus éveillée et une lenteur qui confine au rituel d’une authentique « cérémonie du thé". Et, avant tout, il faut s’attacher au titre original du livre - « A Pale View of Hills » - dont la traduction française, plus classique, n’a pas su préserver l’ambiguïté.

L’histoire débute dans la campagne anglaise, où la narratrice, une Japonaise, possède une maison que lui a léguée le Britannique qui fut son second époux. C’est là que la rejoint la fille qu’elle a eue avec Bill, Nikki, jeune fille émancipée qui, d’ordinaire, vit à Londres.

Nikki vient apporter un peu de réconfort à sa mère, qui vient de perdre sa fille aînée, Keiko, née de son premier mariage au Japon. Keiko, transplantée fillette dans un pays qu’elle n’apprécia jamais et par l’entremise du remariage de sa mère avec un homme qu’elle considéra toute sa vie comme un parfait étranger – Keiko ne s’est jamais acclimatée à l’Angleterre. Un jour, elle partit elle aussi pour Londres et elle s’y pendit, toute seule dans son minuscule appartement. Pour sa sœur cadette comme pour sa mère, le deuil est récent et, inévitablement, les deux femmes vont s’en entretenir.

Et puis – et surtout – Etsuko, la narratrice, laisse affleurer à nouveau à la surface de ses souvenirs tout son passé à Nagasaki et cet étrange été où, pendant quelques semaines, alors qu’elle attendait la naissance de Keiko, elle se lia d’amitié avec la plus solitaire de ses voisines, Sachiko, une jeune veuve qui élevait sa fille, la petite Mariko, pour laquelle Etsuko devait se prendre de sympathie.

A partir de là, sous peine d’en révéler ses subtilités, il me devient impossible de résumer l’intrigue. Qu’il vous suffise de savoir qu’on devine rapidement le mélange de fascination et de répulsion qu’Etsuko ressent envers Sachiko, femme cynique, hautaine et émancipée, bien décidée à épouser Frank, un soldat américain, afin de s’ouvrir une vie nouvelle sur un continent nouveau. Que la petite Mariko, que le lecteur, comme Etsuko, voit trop souvent laissée à elle-même et à son imaginaire, ne cache pas son hostilité à pareil projet importe peu à cette mère si peu maternelle et dont on est tenté de croire qu’elle voit en son enfant plus un boulet qu’une fillette à aimer et à protéger.

Lentement, sûrement, implacablement, Ishiguro mène son lecteur à l’étonnante conclusion de son roman, conclusion devant laquelle on se frotte les yeux tant on reste ébahi par la subtilité du texte. Puis, on repart une ou deux pages plus loin, on les relit et, comme cela ne suffit pas, on repart encore un peu plus loin dans les pages déjà lues, on fouille, on cherche … Une trace, une preuve, un mot plus révélateur qu’un autre … Mais ce n’est qu’au bout de plusieurs lectures et d’infiniment de patience qu’on finit par apercevoir ce « pâle éclairage sur les collines », le mot « éclairage » devant être pris ici dans le sens de « point de vue. » ;o)