Il était tout petit, s'affirmait lui-même obsédé par les blasons et les quartiers de noblesse. Il fit d'ailleurs un mariage de convenance et de classe mais se sentit bien seul quand sa femme mourut.

Il fut le compagnon de jeux de Philippe, duc d'Orléans, neveu de Louis XIV et futur Régent, et il lui demeura toujours fidèle en amitié. Il admirait le Roi-Soleil mais n'hésitait pas à critiquer les folies de l'homme derrière le monarque. Le fait qu'il détestait Mme de Maintenon ne l'empêchait pas en parallèle de saluer l'exemplaire sens de l'amitié de celle-ci.

Il avait la plume bavarde, agile et aiguë. Ses portraits de cour sont célèbres à juste titre car, en dépit des trois siècles qui nous séparent de lui-même et de ses modèles, ceux-ci semblent s'incarner, bien vivants, dès lors que nous nous plongeons dans les pages où il les évoque.

Avant Marcel Proust, il a façonné, dans un français certes un peu vieilli, passage du temps oblige, mais toujours impeccable, des phrases qui couvrent parfois toute une page de l'édition de La Pléiade. Son style, tour à tour majestueux et alerte, bourré de vieux imparfaits de l'indicatif et qui ne rate jamais un seul imparfait du subjonctif, lui ressemble : singulier, unique - la marque de l'écrivain qu'il ne prétendait pas être puisqu'il souhaitait avant tout qu'on le considérât comme un historien.

De l'historien, il a en effet le raisonnement impartial qui, en dépit des errements de certains, survit seul à la postérité :

... ... Est-on obligé d'ignorer les Guises, les rois, et la cour de leur temps, de peur d'apprendre leurs horreurs et leurs crimes ? les Richelieu et les Mazarin, pour ignorer les mouvements que leur ambition a causés et les vices et les défauts qui se sont déployés dans les cabales et les intrigues de leurs temps ? Se taira-t-on Monsieur le Prince (1) pour éviter ses révoltes et leurs accompagnements ? M. de Turenne et ses proches, pour ne pas voir les plus insignes perfidies les plus immensément récompensées ? Et, vivant parmi la postérité de ce qui a figure dans ce temps dont je parle, s'exposera-t-on, avec le moindre sens, à ignorer d'où ils viennent, d'où leur fortune, quels ils sont, et aux grossiers et continuels inconvénients qui en résultent ? N'aura-t-on nulle idée de Mme de Montespan (2) et de ses funestes suites, de peur de savoir les péchés de leur élévation ? N'en aura-t-on point aucune de Mme de Maintenon (3) et du prodige de son règne, de peur des infamies de ses premiers temps, de l'ignominie et des malheurs de sa grandeur, des maux qui en ont inondé la France ? ......

(1) : le Grand Condé ; (2) : seconde favorite de Louis XIV, mère de l'essentiel de ses fameux bâtards que leur père éleva à l'égal des princes du sang ; (3) : dernière favorite de Louis XIV, qui l'épousa morganatiquement et en grand secret après la mort de la reine Marie-Thérèse.

Mais pour moi, Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est avant tout un écrivain dont les palpitants "Mémoires" gagnent à être connus, lus et relus. Surtout si l'on s'intéresse un tant soit peu à l'Histoire.

                             
                    Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon - Perrine Vigé