Hier, David devait conduire Fanchette, la chatte de notre mère, chez le vétérinaire. Mais c'était tout ce que je savais : de l'heure du rendez-vous, je ne connaissais rien.

A 16 heures, coup de fil. RM effondrée au téléphone. J'en conclus que le médecin a découvert quelque chose de grave chez le petit animal - après tout, Fanchette a plus de vingt ans et cela n'aurait eu rien d'étonnant.

Réponse de RM :

- " ... Mais non : David n'est pas encore passé chez le vétérinaire : il avait rendez-vous à 16 h 30. Je pleure parce que ma maison est si vide sans elle ... Et si elle meurt, que vais-je devenir ? ... Je n'ai plus qu'elle ..."

Là, brusquement, tout ce qui m'entourait s'est trouvé aboli. Je me suis assise, j'ai pris une longue inspiration et j'ai non pas revu mais senti une bonne partie de ma vie. Plus exactement, j'ai senti mon enfance, mon adolescence et mes premières années de jeune fille qui soufflaient sur moi en tempête, à jamais contaminées par cet art où notre mère n'a jamais rencontré son égal et qui consiste à se plaindre copieusement d'un malheur qui n'existe pas encore. et qui, si ça se trouve, ne prendra jamais corps. Jadis, je lui disais que, en agissant ainsi, elle attirait le Malheur. Jadis, j'essayais de la consoler. Jadis, je croyais en elle. Mais hier, je n'ai rien dit de tout cela. Cela fait si longtemps maintenant que je crois plus en sa sincérité.

J'avais envie de lui taper desssus - avec quelques pédophiles aperçus au détour d'une enquête télévisée, notre mère est la seule personne qui me fasse cet effet-là - et de lui dire des choses horribles. Mais je me suis dominée - avoir écrit toute la matinée m'a préservée. J'ai parlé le langage de la raison - il est si froid, c'est si facile - mais le coeur, lui, s'est tu. Et elle l'a senti.

Mais dans le fond, qu'importe ? Après tout, tout au fond d'elle-même, elle sait bien qui a aidé à tuer cette enfant qui la consolait ...