C'est probablement le film le plus curieux qu'ait tourné Fernandel. Comme on le sait, le physique de celui-ci l'avait enfermé dans des rôles essentiellement comiques, du pire comme le piou-piou de ses débuts au plus savoureux comme les films de Carmine Gallone où il donne la réplique à un Gino Cervi-Peppone plus vrai que nature.

Fernandel, c'est aussi l'admirable interprète de Pagnol qui lui écrivit maintes fois des rôles où les aspiratons tragiques du comédien trouvaient enfin à s'exprimer : "Le Schpountz", "Naïs", "Angèle", le deuxième "Topaze", etc ... Ou encore le héros de "Meurtres" ou du "Voyage du Père." Mais plus jamais il ne devait incarner un héros similaire à Alfred Puc, le percepteur parisien qui vit avec sa tante, Léa Lobligeois (Berthe Bovy, remarquable) et n'a, il faut bien l'admettre, aucune vie propre en dehors de sa perception et de cet appartement tranquille qu'il partage avec la vieille dame.

Or, un jour, alors que la température hivernale se fait de plus en plus froide, Mme Lobligeois se met en tête d'aller récupérer des meubles dans sa maison de Clermont. Nous sommes dans l'immédiate après-guerre (le film fut tourné entre mars et juin 1948), on parle encore de marché noir, les camions ferraillent à petite vitesse sur les routes quasi désertes comme ils ne pourraient plus le faire aujourd'hui et les concierges sont encore toutes puissantes.

En dépit des supplications de son neveu, qui redoute pour elle un voyage de ce genre, dans un camion pourri et par une température au-dessous de zéro, la tante Léa met son projet à exécution. Bien que, de toute la journée, elle n'ait cessé de tousser et de s'étrangler entre les deux déménageurs qui l'accompagnent, elle n'exige pas moins de ceux-ci, à leur arrivée à Clermont, qu'ils chargent sans plus attendre ses meubles et c'est à peine si elle leur laisse un minimum de repos pour mieux repartir à l'aube vers Paris.

L'inévitable finit évidemment par se produire : dans un ultime hoquet - et dans la cabine du camion ;o) - tante Léa rend son âme à Dieu, au grand dam de ses deux compagnons qui, pour éviter les ennuis, décident non pas de demander de l'aide aux deux gendarmes soupçonneux qui, comme surgis de nulle part, veulent voir leurs papiers mais de renvoyer le corps chez lui, à Paris.

Pour plus de commodité, un déménageur - celui que toucher un mort ne révulse pas - installe le cadavre dans l'armoire à glace chargée dans le fourgon.

Arrivés à Paris, les deux hommes se précipitent à toutes jambes chez Alfred Puc, lequel est tout heureux de revoir sa bonne tante et ils lui apprennent la triste nouvelle. "Elle est morte de froid !" lui assènent-ils - et il faut voir ce que les comédiens tirent alors comme effet de ce dialogue surréaliste. Mais, quand ils redescendent sous les yeux soupçonneux de la concierge, l'horrible Mme Couffignac (irrésistible Germaine Kerjean, figure centrale d'un trio de commères que les éclairages de Nicolas Hayer transforment plus d'une fois en Parques affamées), c'est pour constater que des malfaisants ont volé le camion et son chargement.

Le malheureux Alfred, qui a besoin de faire constater légalement la mort de sa tante, passera tout le film à rechercher l'armoire et le cadavre.

Mais dans ce film étrange, dont les ombres et les lumières, les personnages aussi, évoqueront au cinéphile certains films de Cocteau, le "Liliom" de Fritz Lang et, bien sûr, tout l'univers onirique des Surréalistes, c'est la fin qui reste la plus insidieuse, la plus ambiguë - et certainement la plus noire. De Fernandel, proprement inquiétant lorsqu'il ne tient pas son habituel rôle de comique, jusqu'aux salutistes qui récupèrent l'Hôtel des Innocents - hôtel de passe où l'armoire échoue un temps - en passant par le ballet des déménageurs, transportant par les étages les 17 armoires que, faute de savoir laquelle est la bonne, Puc s'est vu obligé d'acheter en gros dans une vente aux enchères, tous et tout apparaissent insolites et comme distordus, brouillés, énigmatiques. Et c'est en forçant à peine qu'on trouverait à "L'Armoire Volante" une ambiance digne de l'Expressionisme allemand.

Une curiosité du cinéma français, à voir et à revoir pour ne pas en perdre une miette.

Affiche pour "L'Armoire Volante."