Nul ne peut - sous réserve, bien évidemment, qu'il prenne sa tâche au sérieux - s'attaquer à la rédaction d'un texte auquel il tient s'il n'apprend pas à se concentrer sur ce texte, à se projeter en lui, voire à devenir ce texte, ses décors, ses personnages, ses dialogues, ... et cela tout au long du jour et jusque dans ses rêves pendant un nombre indéterminé de semaines.

Ce conditionnement est ardu car l'alimentaire nous tient tous, tout spécialement en ce siècle où nous ne saurions plus vivre de nos rentes. Et il l'est encore plus pour les femmes puisque celles-ci sont, par tradition et même de nos jours, les gardiennes du foyer avec tout ce que cela suppose de corvées pénibles et fastidieuses.

Une femme normale, qui n'entend pas soit renoncer à avoir des enfants, soit abandonner l'éducation de ceux-ci au hasard ou à l'indifférence, doit donc, si elle veut écrire quelque chose de valable et qui restera, façonner à l'intérieur d'elle-même une espèce de bulle schizophrénique où elle redevient l'Ecrivain dès qu'elle a une minute de répit. Toute l'astuce - et toute la difficulté - réside dans l'extrême rapidité avec laquelle elle doit se montrer capable d'une minute à l'autre, de quitter sa bulle pour répondre à une demande extérieure et profane puis, celle-ci résolue, se replonger à nouveau dans son texte en coupant tout contact avec la réalité.

Si l'on s'intéresse à ceux que l'on aime, l'exercice est très difficile, surtout au début. Et puis l'on s'habitue et mieux, l'on se perfectionne. Ce qui devient alors dangereux pour cet équilibre établi, c'est par exemple une maladie (ou tout autre événement) qui, par sa prolongation déraisonnable dans le temps, contraint la Femme à prolonger également son temps de présence hors de sa bulle d'Ecrivain.

Alors en effet, elle perd le contact pour trop longtemps et, si avancé que soit son travail d'écriture, si satisfaite qu'elle puisse s'en montrer, tout pour elle est à recommencer dès lors qu'elle veut s'y replonger.

Mais il n'y a aucune raison pour qu'elle n'y parvienne pas.