Octobre 2006.

A force de nier les réalités du présent et du passé, il est arrivé à ma mère ce qu'il devait bien arriver un jour : son sommeil la fuit et si, par hasard, Morphée s'assied à son chevet, il ne lui apporte que des cauchemars hallucinatoires où, les yeux étroitement calfeutrés sous leurs paupières, elle discute à haute voix avec les morts ou s'imagine que David git, blessé, dans le couloir obscur.

Et ça dure depuis des semaines : tout septembre y est passé ! Le malheureux David en devient chèvre. D'autant que son traitement médicamenteux ne semble plus agir sur ma mère : les somnifères, par exemple, ne produisent plus aucun effet - normal, cela fait près de 35 ans qu'elle en prend et, forcément, à ce rythme, elle les a tous essayés, ou presque. Mais ce qui lui fait le plus défaut, ce sont les anxyolitiques. Elle refuse de s'en faire prescrire. Ou plutôt elle refusait puisque, aujourd'hui, étant tombée pour la seconde fois (elle est déjà tombée hier), elle m'a tout de même promis d'en réclamer à son médecin.

Maintenant, comment oublier ses dernières paroles ? Elles m'ont émue autant qu'elles m'ont écoeurée. "Prie ta grand-mère pour moi, je t'en prie !" m'a-t-elle suppliée - oui, c'était une supplique. En d'autres termes, elle s'imagine que, même si je le pouvais, je chercherais à duper ma grand-mère en lui disant que sa fille fut une mère exemplaire. Ultime tentative - enfin, j'espère qu'il s'agit de la dernière - pour tenter de se décharger de ses responsabilités à autrui.

Je n'en reviens toujours pas qu'une femme qui est loin d'être sotte et qui a été élevée selon des principes aussi pieux que rigides termine ses jours dans de telles conditions. Oh ! matériellement, tout va bien. Physiquement, elle s'est superbement remise de ses ulcères. Et elle a conservé toute sa tête, comme on dit. Mais spirituellement, c'est le désastre. Comme chacun de nous quand se profile l'heure ultime, elle se retrouve seule face à elle-même. Je comprends qu'elle ait peur mais je ne puis rien pour elle. Ses erreurs, sa lâcheté, son sado-masochisme larvé ne sont pas les miens. Certes, ils ont influé sur ma vie mais ils me restent extérieurs. Je ne les porte pas en moi ni ne les porterai jamais. Pour certains psys, c'est en effet dès ma vie intra-utérine que j'ai commencé à m'opposer à eux : mon avance est largement confortable.

Et impossible de lui faire entendre tout cela : il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, surtout si le sourd en question se double d'un fieffé orgueilleux et d'un sombre narcissique.

Adieu, RM, je t'ai aimée malgré tout mais ton ultime fardeau, je ne puis m'en charger : si quelqu'un doit t'accompagner devant l'Ankou, ce ne peut être moi. "Tes" morts, comme tu aimes à le dire d'un air important, te prendront en charge et il faudra bien que tu assumes ta vie devant eux.