La Nourriture a quelque chose de hideux.

A l'origine destinée à permettre à l'homme comme à la femme de soutenir leur corps et rien que celui-ci, elle a pris très vite, et à mon avis dès les premiers hommes dans les cavernes, une emprise démoniaque sur cet organe dont s'enorgueillit notre espèce : le cerveau. Sur les cerveaux moins évolués, elle semble s'être cassé ces dents qu'elle a pourtant vampiresques : il est rare en effet que les animaux souffrent de ces troubles atroces que sont l'anorexie et la boulimie, deux visages pour un seul monstre.

Pour trop d'entre nous, qu'ils l'avouent ou non, la Nourriture est avant tout un substitut, l'unique moyen, à vrai dire bien éphémère, de combler un vide affectif énorme, béant, abyssal.

Le meilleur moyen également pour se punir et s'auto-mutiler d'une façon si subtile que le quidam moyen est trop sot pour se rendre compte du drame qui se joue là, dans cette chair déformée. Absorbé dans les moqueries et les rires que lui inspire l'obèse ou le simple gros, M. Un-Tel rit, l'imbécile, il s'étrangle même de rire et se croit bien supérieur à cet esprit emprisonné dans un corps qui n'est pas vraiment celui qu'il a choisi à la naissance. M. Un-Tel rira de même en croisant un squelette ambulant qui se perd tous les jours de l'autre côté du miroir, scrutant avec terreur des kilos, une abondance, un surpoids qui ne sont en fait qu'un leurre issu de son cerveau pour mieux le mener à la mort.

Mais se punir de quoi ? S'auto-mutiler pour quoi ? A cause de qui, surtout ?

La Nourriture a quelque chose de hideux - de cette hideur qui nous vient de notre enfance et des blessures qui nous y ont crucifiés.