Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Littérature japonaise.

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jeudi, juillet 12 2007

Ecstasy - Murakami Ryû.

Ecstasy Traduction : Sylvain Cardonnel

"Ecstasy" constitue la première partie des "Monologues sur le plaisir, la lassitude et la mort." Dans les deux livres qui lui font suite, "Melancholia" et "Thanatos" qui vient de sortir en France, on retrouve l'énigmatique personnage de Yazaki, "le Maître."

Toutes proportions gardées, on peut comparer certains de ses textes à ceux du marquis de Sade avec cette différence que Murakami Ryû en fait une véritable réflexion sociale sur l'influence de l'Occident et surtout de l'Amérique sur le mode de vie japonais.

Du Japon, "Ecstasy" a l'élégance mais aussi la cruauté. Bien que ce livre conte l'histoire d'une déchéance par les drogues et le sexe, rien n'y évoque le galop apocalyptique qui scande par exemple "American Psycho." Tout ici est pesé, lent et solennel : le mot "rituel" y est d'ailleurs souvent utilisé.

Tout commence pour le héros par cette phrase que, dans le quartier du Bowery, lui lance un SDF parlant un japonais impeccable :

"Eh ! toi, tu sais pourquoi Van Gogh s'est coupé l'oreille ?"

Miyashita va alors se lier avec cet étrange clochard qui lui conseille, une fois rentré au Japon, d'appeler un certain numéro de téléphone. Déjà trop attiré par l'Inconnu, Miyashita suit ses directives et rencontre Kataoka Keiko, une femme d'un âge indéterminé mais extrêmement belle, laquelle lui conte une partie de l'histoire du SDF dont il apprend enfin l'identité : Yazaki.

C'est lors de cette rencontre que Miyashita commence à perdre pied. Chez lui, le "Moi", probablement trop fragile, ne rêve plus que de se disperser dans un "Autre" que la prise de drogues comme la cocaïne mais aussi l'ecstasy, encouragée par Kataoka Keiko, morcelle encore plus. Là-dessus se greffe la révélation de sa personnalité masochiste qui n'aspire plus qu'à lécher les pieds de Keiko afin de parvenir à la jouissance. Bref, au gré des descriptions des rituels SM jadis pratiqués par Keiko avec Yazaki et une deuxième partenaire, Reiko (qui ne cessera d'appeler Yazaki "le Maître" pendant l'entretien final que Miyashita aura avec elle à Paris), le héros bascule dans la négation absolue de sa personnalité.

La phase terminale sera son asservissement consenti à un travail de "mulet" pour Keiko et Yazaki puisqu'il acceptera d'avaler des préservatifs bourrés de cocaïne à Paris et de les faire passer au Japon pourvu que Keiko s'occupe personnellement de les lui faire "restituer."

Je ne vous dirai rien de la fin, si ce n'est qu'elle est atroce.

"Ecstasy" constitue d'ailleurs un curieux mélange d'atrocités tranquillement et minutieusement décrites et de réflexions sur le "Moi" et ses tendances suicidaires, le tout nimbé d'une aura de fatalité. Certes, on croit comprendre que Miyashita était prédestiné à ce genre de chute et pourtant ... pourtant n'aurait-il pas pu se maîtriser ? Lui-même, qui est aussi le narrateur de ce roman, note souvent le désir qu'il a de tout laisser tomber, de reprendre le bon chemin. Mais ...

Et c'est ce "mais" qui fait de ce roman, au demeurant écrit sans complaisance aucune dans les scènes sexuelles pourtant hard, une oeuvre dérangeante, à ne pas placer, à mon sens, entre toutes les mains. Jusqu'au bout de cette descente aux Enfers, le lecteur ne sait ce qui l'emporte en lui, de la fascination ou de l'horreur. N'est-il pas en effet un voyeur, aussi coupable en un sens que Keiko et Yazaki - peut-être plus même, qui sait ?

mercredi, juillet 11 2007

Pays de Neige - Kawabata Yasunari.

Yukiguni Traduction : Bunkichi Fujimori.

En 1937, Kawabata Yasunari achetait, dans la région de Shinshû, une petite maison sise dans la station thermale de Kazuira. Ce pays où il se plaisait tant allait servir de cadre pour l'action de nombre de ses romans et nouvelles, dont "Pays de Neige."

Un riche Tokyôïte, Shimamura, se rend dans une station thermale pour y goûter deux ou trois jours de repos. Désoeuvré, il prie la propriétaire de l'auberge dans laquelle il est descendu de demander une geisha. Mais comme une nouvelle route a été inaugurée le jour même, donnant ainsi prétexte à des banquets de notables, la chose se révèle impossible puisque toutes les geishas professionnelles du coin ont été retenues pour la soirée et la nuit. Devant la déception de son client, l'aubergiste lui parle alors de la jeune fille "qui habite chez la maîtresse de chant" et qui, bien que non professionnelle, accepterait peut-être. Une heure plus tard environ, Shimamura voit arriver dans sa chambre - "la chambre aux camélias - la jeune Komako dont il tombe presque instantanément amoureux. Devinant cependant qu'il se trouve en présence du genre de relation qui risque de durer bien plus qu'une seule nuit, il s'abstient de l'inviter à passer la nuit en sa compagnie. Peine perdue : ce qui ne se fera pas ce jour-là se fera le lendemain ...

L'intuition de Shimamura ne l'avait pas trompé puisque cette scène, il se la remémore au cours d'un flash-back, alors qu'il est de retour à la station thermale pour y renouer avec Komako. Durant ce second séjour, il va en apprendre un peu plus sur elle - très peu à vrai dire. Par exemple qu'elle aurait été fiancée au fils de la maîtresse de chant et que ses fiançailles auraient été rompues par l'irruption, dans la vie du jeune homme, d'une autre femme. Or, par la grâce du hasard romanesque, il se trouve que, dans le train qui l'amenait de Tokyô, Shimamura a justement croisé le fils de la maîtresse de chant, accompagné d'une très belle jeune femme prénommée Yokô et qui semblait être, elle aussi, une enfant du pays. Le retour du couple s'explique par la tuberculose qui ronge le malheureux fils de la maîtresse de chant, lequel n'a plus qu'un désir : mourir dans sa maison natale.

A partir de là, entre Shimamura et les deux femmes, Kawabata développe à petites touches une relation très bizarre, toute en non-dits et en faux-semblants, qui risque fort de laisser sur sa faim tout lecteur approchant ce livre dans une optique exclusivement occidentale. Certes, on peut se dire que, tandis que Komako symbolise la satisfaction sensuelle et sexuelle, Yokô représente celle de l'esprit ou, tout simplement, de l'oeil. Mais que devient dans ce cas l'amour sincère que Shimamura porte à la première ? ...

Bien plus qu'une banale histoire d'amour, "Pays de Neige" est une recherche de la perfection et de la pureté à l'intérieur de ce sentiment. Seulement, pourquoi faudrait-il que la perfection prît corps pour atteindre à l'absolu ? En ce sens, le texte de "Pays de Neige" est à rapprocher de ces estampes ou peintures japonaises où l'on voit (par exemple) un petit personnage (vieillard, femme, enfant, peu importe le sexe et l'âge) cheminer, d'une allure qu'on devine lente, vers le sommet d'une montagne. Pour le spectacteur, il y a au moins autant, sinon plus, de plaisir à imaginer le repos qui l'attend qu'à contempler sa progression.

A mon modeste avis, c'est dans cette optique rien moins qu'occidentale qu'on doit lire "Pays de Neige" et probablement les autres textes de son auteur. Faute de quoi, le lecteur risque de n'y rien comprendre et de se demander pourquoi Kawabata est tenu pour un tel maître - et, ce qui est plus grave, de passer ainsi à côté d'une oeuvre puissante et fragile, telle une fine lame d'acier aux mille reflets. ;o)

samedi, juillet 7 2007

Haut le Coeur - Takami Jun.

Iya na Kanji Traduction : Marc Mécréant

Ce roman, qui enthousiasma, paraît-il, Mishima et Kawabata, m'a beaucoup déçue. J'ai même failli l'abandonner à sa moitié, c'est tout dire. Mais je me suis reprise et j'ai fini par l'achever.

En dépit de tous mes efforts, je ne suis pas parvenue à éprouver ne fût-ce qu'une ombre de sympathie ou, à défaut, d'admiration, pour son narrateur, Kashiba Shirô. Un personnage du livre lui dit, sur la fin, qu'il n'est ni un brave type, ni une canaille et qu'il est seulement un anarchiste, et le manque absolu d'empathie qui a été le mien à la lecture de ses aventures dans le Japon des années 1925/1936 vient peut-être de là, je l'avoue.

Chez Kashiba, il n'y a qu'une seule flamme : détruire, détruire, et encore détruire. Certes, il évoque de temps à autre - et de façon très vague - la reconstruction qui suivra mais ... on n'y croit pas une minute.

Kashiba semble avoir eu un rapport au Père assez ambigu et sa haine de l'autorité trouve vraisemblablement sa source là-dedans. Mais il n'y a en lui - en tous cas, telle est mon impression - nul panache, nulle noblesse. On sent bien la jouissance qui est sienne lorsqu'il traîne avec de petites frappes plus ou moins obtuses et lorsqu'il se place dans des situations impossibles. Pendant près de 750 pages, il ne songe qu'à tuer : un malheureux chien errant, tel ou tel homme politique ou militaire, un parfait inconnu même, rien que pour prouver qu'il est capable du passage à l'acte ...

En outre, le déséquilibre est flagrant (pour moi, en tous cas) entre le ton littéraire, très soigné, que l'auteur choisit pour nous dépeindre la situation historique à cette époque - période de très grande agitation au Japon - et le recours systématique, dans les dialogues, à l'argot. Peut-être la chose passe-t-elle mieux en japonais mais, en français - et malgré le soin apporté par Marc Mécréant à sa traduction - cela gêne terriblement.

Et puis, si l'intrigue est complexe, ce qui peut être un avantage, elle perd tout intérêt dès lors qu'elle est présentée de façon extrêmement brouillonne. (Un index des noms japonais serait sans doute le bienvenu à la fin du volume.) Or, Takami Jun ne donne nullement l'impression de maîtriser son histoire mais d'en placer les morceaux, un peu au petit bonheur, de façon très maladroite et presque grossière, par-ci, par-là.

En gros, "Haut le Coeur" - dont Mishima soulignait avec raison l'ambiguïté du titre - conte l'itinéraire sentimental et idéologique d'un jeune anarchiste dans le Japon des années 20/30. Fils d'un fondeur, il s'est laissé gagner, au lycée, par les théories d'Osugi Sakae* :

... ... Au cours de ma quatrième année de lycée me tombèrent entre les mains les livres d’ Ōsugi Sakae. L’homme passait pour terrifiant ; ses ouvrages aussi : c’est cette réputation même qui me séduisit et m’amena à le lire. Prétendre carrément que je n’éprouvai pas une sorte d’effroi serait mentir ; mais ce qui compte, c’est le choc , l’émotion dont je fus bouleversé devant une si évidente et terrible vérité. ... ...

Pour lui, la société est pourrie et il faut la dynamiter. Pour ce faire, comme beaucoup de ses amis anarchistes, il ira jusqu'à s'allier aux militaires - on constate une fois de plus combien les extrêmes peuvent se rapprocher. Le tout sur fond de magouilles en Mandchourie (son meilleur ami, Sunama, devient un caïd de l'opium) et de trafics divers aussi bien en Corée qu'au Japon. Par la force des choses, le lecteur est entraîné, à la suite de son "héros", dans le monde de la pègre et de la prostitution. Mais, là non plus, on ne croise cette lueur crépusculaire qui, chez les grands écrivains, fait toute la beauté de ces univers.

Et c'est bien dommage car, si on a le courage d'aller jusqu'à la fin de "Haut le coeur", on voit bien que ce roman présente quand même beaucoup d'intérêt - notamment historique. C'est le traitement qui pèche - et de façon irrémédiable. A moins que, en apprenant le japonais ...

vendredi, juillet 6 2007

Dora Magra - Yumeno Kyûsaku.

Dogura-Magura Traduction : Patrick Honnoré.

Dogra Magra ou le Roman Labyrinthique.

Peut-être Yumeno Kyûsaku se sentait-il plus à l'aise dans le "court." On peut le penser car la faiblesse de "Dogra Magra" tient dans sa construction et ses longueurs - celles-ci étant peut-être plus sensibles à un Occidental : le roman policier chinois ou japonais, pour autant que je le sache, a toujours aimé les digressions.

Mais justement, dans "Dogra Magra", on ne peut pas parler vraiment de digressions mais plutôt de répétitions. Si le procédé montre très clairement dans quel état mental lamentable se trouve le principal narrateur du roman, il finit par lasser. Imaginez des poupées gigognes dont les emboîtages successifs n'auraient pas de fin et vous aurez une idée assez exacte de "Dogra Magra."

Les quatre-cents premières pages surtout sont laborieuses parce que truffées de discours et de théories sur le traitement des aliénés et aussi de réflexions philosophiques sur l'esprit, le cerveau, etc, etc ... Le style n'arrange rien : il regorge de points de suspension, se fait tour à tour haché et doctoral et tout cela donne l'impression de tourner sans fin.

A la moitié du roman donc, le ton change légèrement et l'intrigue qui aurait conduit notre narrateur dans la cellule d'hôpital où nous l'avons trouvé fait mine de se mettre en place. Mais elle est elle-même si tordue, si distordue, si contournée, si nébuleuse que le lecteur n'a pas trop de toute son attention pour la suivre. (Surtout, lire "Dogra Magra" quand on a tout son temps ! Sinon vous ne le terminerez jamais.)

En substance, un jeune homme (une vingtaine d'années à peu près) se réveille un triste matin dans une cellule capitonnée et entend une voix de femme - celle de sa voisine de la cellule 6 - l'appeler et gémir. Après avoir tourné comme un ours en cage pendant on ne sait trop combien de temps, l'amnésique (car le malheureux ne se rappelle pas même son nom) reçoit la visite du Dr Wakabayashi, homme grave et volontiers pédant, qui lui donne l'impression de l'observer sans cesse du coin de l'oeil et qui l'invite à se remémorer son identité par une recherche personnelle dans des lieux et dans des archives où lui-même, Wakabayashi, se fera son guide.

L'amnésique arrive ainsi dans le bureau-bibliothèque du Pr Masaki, son médecin référent, dont Wakabayashi lui assure avec regret qu'il s'est suicidé un mois plus tôt. De fil en aiguille, le patient est amené à poser de plus en plus de questions sur le Pr Masaki et, une question en entraînant une autre, le voilà plongé dans le parcours professionnel révolutionnaire de Masaki, partisan de la "thérapie par l'émancipation des aliénés."

Mais, peu à peu, notre amnésique sent une question croître en lui : n'est-il pas la victime du machiavélique jeu de pouvoirs de deux médecins particulièrement brillants qui, bien loin de vouloir lui faire recouvrer la mémoire, s'acharnent à l'induire en erreur quant à son passé ?

Surtout, s'il y a criminel en cette affaire, qui est-il exactement ? ...

Au-delà son argument policier, teinté de fantastique, "Dogra Magra" reprend les sentiments les plus intimes de son auteur : la sensation, qu'il dut connaître très jeune, de ne pas être maître de son destin, la certitude d'être manipulé par les uns comme par les autres tout en se demandant si ceux-ci n'étaient pas eux-mêmes victimes de quelque marionnettiste aussi occulte que démoniaque, la hantise cachée de son propre déséquilibre, le mariage du malheur et du sentiment amoureux ... Et c'est sans doute cela qui parvient à fidéliser le lecteur, à faire patienter celui-ci jusqu'à la huit-centième page où, une fois de plus, c'est à lui, et à lui seul, de se faire sa propre opinion sur ce récit aux multiples facettes qui laisse le même sentiment de malaise que la contemplation hypnotique d'un motif répété sur un autre motif qui, lui-même, est répété sur ...

mercredi, juillet 4 2007

Le Faste des Morts - Ôé Kenzaburo.

''Shisha no Ogori, Hato, Seventeen'' Traduction : Ryôji Nakamura & René de Ceccatty.

C'est un auteur qu'on m'avait beaucoup vanté - il a d'ailleurs reçu le Prix Nobel de Littérature en 1994 - et je n'ai pas été déçue. Les trois nouvelles qui composent "Le Faste des Morts" appartiennent à sa première période. On peut même dire que celle qui donne son titre au recueil a lancé la carrière de l'auteur.

"Le Faste des Morts" est l'une de ces nouvelles qui méritent une relecture. L'argument en est à la fois très simple et très macabre : dans une morgue, l'heure est venue de changer de cuve des cadavres conservés pour les dissections. Le narrateur est un étudiant en lettres qui, afin de mettre un peu de beurre dans ses épinards, se charge de ce "petit boulot." Il l'accomplira en compagnie du gardien de la morgue et d'une autre étudiante qui est enceinte et désire se faire avorter.

Pas de sang, pas d'effets horrifiques mais une réflexion sur le rapport des vivants avec la Mort à la fois subtile et un peu déstabilisante : le narrateur finit par penser que les morts sont moins dérangeants que les vivants, beaucoup trop violents, torturés et prêts aussi à torturer leur prochain.

La seconde nouvelle, "Le Ramier", se déroule dans un centre de redressement pour adolescents. Plus longue, elle parle surtout de violence mais sans complaisance, de sexe, de châtiment, de douleur et de rachat tout en posant l'éternelle question : n'avons-nous pas tous en nous le désir de faire souffrir, voire de tuer ?

Quant à la troisième, la plus féroce peut-être mais certainement la plus ironique, elle fit scandale à sa parution, en 1961. Elle nous dépeint les premiers émois sexuels d'un adolescent de 17 ans - le titre est d'ailleurs "Seventeen" - qui, en révolte contre sa famille et son pays qui, à ses yeux, accepte sans broncher l'occupation américaine, cherche dans la vie sociale un exutoire à ses nombreux sentiments de frustration. Un jour, par curiosité plus que par conviction et poussé par l'admiration qu'il éprouve envers un condisciple, ce jeune homme qui s'affirme "de gauche" dans les premières pages, se rend à une manifestation orchestrée par l'extrême-droite japonaise. Et c'est la révélation : il trouve enfin un sens à sa vie.

Ôé avait imaginé une suite, intitulée : "Un jeune militant meurt". Fanatisé à outrance, le héros de "Seventeen" se risquait dans un attentat contre un leader socialiste, était arrêté et se pendait dans sa prison. Mais cette seconde partie, parce qu'elle se basait sur l'assassinat, en octobre 1960, d'Inejirô Asanuma par un militant nationaliste, déplut si fort à l'extrême-droite que le rédacteur de la publication dut présenter ses excuses publiques et qu'il fut décidé que plus jamais - en tous cas au Japon - elle ne serait republiée. Il paraît cependant qu'on peut la trouver dans une édition italienne.

Kenzaburô Ôé a également écrit des romans ("Le Jeu du Siècle") et des textes autobiographiques comme "Moi, d'un Japon ambigu" ou "Une famille en voie de guérison" et bs'ils sont de la même tenue que ces trois nouvelles, le lecteur ne s'en plaindra certainement pas.

mardi, juillet 3 2007

La Femme des Sables - Kôbô Abé.

Suna no Onna Traduction : Georges Bonneau.

"La Femme des Sables", qui est considéré comme l'un des plus grands romans de la littérature moderne japonaise et qui reçut le Prix Akutagawa en 1962, fait penser irrésistiblement à un Beckett qui aurait délaissé les planches du théâtre pour recréer ses "Beaux Jours" de façon exclusivement romanesque.

Pourtant, à la différence de l'auteur de "En attendant Godot", Kôbô plante ses personnages dans le réel, un réel de cauchemar certes mais un réel suffisamment réaliste pour que le lecteur se dise que, finalement, cette histoire pourrait arriver - et a pu arriver quelque part à quelqu'un ...

Intrigue de départ extrêmement simple : parti en congé pour trois jours, un instituteur qui consacre ses loisirs à la recherche de nouvelles espèces d'insectes se rend sur la côte japonaise, en quête d'une espèce rare de cicindèles des jardins. Il atteint un village cerné par le sable et, la nuit tombant, demande à un vieillard qui se promène s'il ne pourrait pas coucher chez l'habitant. Après s'être enquis s'il venait "de la Préfecture", le vieillard semble réfléchir et lui répond que, en définitive, la chose est possible. Par une échelle de corde, il descend dans un trou de sable où se dresse une maison habitée par une femme jeune encore mais veuve. Il y passe donc la nuit mais le lendemain, il se rend compte que l'échelle de corde a été retirée et qu'il ne peut donc plus s'en aller. Et tout autour, le sable s'entasse, s'entasse, menaçant d'engloutir tout et tous si on ne s'occupe pas à le déblayer périodiquement ...

On devine tout ce que l'esprit humain, si prompt à concevoir des angoisses en tous genres, peut tirer de pareille lecture. Ce sable qui dort et qui cependant ne cesse pas un instant de bouger et de bouger encore, l'ensevelissement programmé de ceux qui y vivent s'ils ne tentent pas de le contenir, la révolte ressentie à l'idée que cet esclavage présente quelque chose d'éternel, puis, peu à peu, la résignation qui s'installe à un degré tel que, finalement, notre héros refusera sur la fin d'abandonner maison et sable, tout cela peut se lire de bien des manières.

Le sable et ce qu'il engendre symbolisent-ils l'inanité de l'existence humaine ? ou autre chose encore ? Chaque lecteur est tenu de leur trouver une signification personnelle car, de l'auteur, il n'obtiendra rien de plus qu'un récit à la fois onirique et précis qui se conclut de façon on ne peut plus légale par un document du tribunal déclarant Niki Jumpeï - l'instituteur - comme personne disparue.

Un roman étrange, aussi irritant que le sable qu'il élève ici à la dignité de dieu-vivant, bourré d'interrogations existentielles, tout à la fois déroutant et percutant et dont il faut saluer l'implacable maîtrise du récit. Un style souple, raffiné, poétique aussi avec des pages d'un érotisme tout à fait particulier et aussi étouffant que le sable lui-même. A lire mais surtout à relire. ;o)

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