Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Littérature française et francophone.

Fil des billets

vendredi, novembre 16 2007

La Délégation Norvégienne - Hugo Boris.

Bon, alors, ce sera franc et massif : je suis très déçue. Ce livre, dont la quatrième de couverture est extrêmement alléchante et d'autant plus mensongère, est une catastrophe.

Ce petit passage de la quatrième, notamment :

Un style vif et moderne, des personnages énigmatiques et ambivalents, "La Délégation norvégienne" est un roman fantastique au climat lourd et oppressant. Une mise en abyme vertigineuse !

est l'un des plus grossiers mensonges qu'il m'a été donné de lire.

"Un style vif et moderne" ? ... Tout d'abord, le narrateur n'y emploie que le présent, son vocabulaire est extrêmement plat, ses phrases plus journalistiques qu'autre chose. C'est peut-être "moderne", effectivement mais vif, certes pas.

"Des personnages énigmatiques et ambivalents" ? ... Non, des silhouettes, comme sur les affiches, plates, plates, si plates qu'elles s'évanouissent avant même qu'on ait fini le livre. N'ayant aucun passé expliqué ni aucune profondeur psychologique, elles auraient d'autre part beaucoup de difficultés à manifester la moindre ambivalence ! La seule chose qui les intéresse, c'est abattre du gibier. C'est tout. L'auteur a pris des caricatures extrêmement simplifiées, il les a jetées sur le papier et hop ! en avant, marche ! ... Elles ne marchent pas, les pauvres : elles piétinent. On devrait leur donner le coup de grâce dès le premier repas qu'elles prennent ensemble : ce serait faire oeuvre pie, croyez-moi. ;o)

"Une mise en abîme vertigineuse ?" ... La mise en abîme de quoi ? par qui ? Il n'y a rien ni personne dans ce livre sauf la neige, omniprésente mais sans originalité. Elle est froide, glaciale, blanche, épaisse, traîtresse, elle gèle les tuyaux, les orteils, tout ce qui lui tombe sous le flocon, bref, rien de nouveau sous le rare soleil polaire. Ce que Hugo Boris dit d'elle, vous le trouverez dans tous les dictionnaires et dans tous les petits romans à deux sous. Rien à voir avec Peter Hoeg, par exemple, quand il l'évoque ...

Non, il n'y a rien dans ce livre : aucun style, aucun personnage digne de ce nom, encore moins d'intrigue et surtout ni mystère, ni meurtrier bien que, effectivement, un homme y soit assassiné et que les chiens tremblent tous quand ils regardent la forêt sombre (quelle originalité ! n'en jetez plus, la cour est pleine !)

Si vous voulez mon avis, le seul éclair de génie d'Hugo Boris (enfin, lui, il a imaginé que c'était un coup de génie), c'est d'avoir mélangé une nouvelle très célèbre de Robert Bloch (où le narrateur achète un livre qui écrit sa propre vie jusqu'à ce que ...) aux fameux "Dix Petits Nègres" d'Agatha Christie. Il a secoué le tout et il en a barbouillé ses pages, en s'imaginant que cela suffirait à reproduire l'imagination et l'originalité de ces deux auteurs. Comme touche finale, il a aboli la frontière entre mystère policier et histoire fantastique : sans doute ignore-t-il que d'autres l'ont fait bien avant lui avec grand talent, voire avec génie.

Et puis, il a dû s'auto-congratuler. Quant à savoir comment il s'est fait éditer, ma foi, c'est peut-être un proche de Philippe Sollers ou de Josyane Savigneau ... ;o)

Mais aucune quatrième de couverture dithyrambique ne suffit à faire un bon livre. Celle qu'on lui a fournie ne permet donc en aucun cas à "La Délégation Norvégienne" de se révéler ce que'elle prétend être : une bonne histoire, pas plus qu'elle ne permettra à son auteur de prendre pied dans ma bibliothèque. Si j'ai un conseil à vous donner, c'est de passer au large. Ou alors, si vous y tenez vraiment, retenez-le à la médiathèque du coin.

Nota Bene : et pour le "climat lourd et oppressant", franchement, on s'ennuie, oui ! Dame, on attend, on attend, on attend ... Quelque chose va bien se passer ... Mais non, rien ne se passe, on bâille, on commence à somnoler (forcément, toute cette neige, moi, ça me fait somnoler ;o)), on se force à aller jusqu'au bout et on n'a même pas eu peur !

Par contre, comme vous le voyez, on est très en colère. ;o)

lundi, octobre 8 2007

Festins Secrets - Pierre Jourde.

Que demande-t-on à un romancier ?

1) De raconter une histoire de façon passionnante. Peu importe s'il pioche pour cela dans sa vie personnelle pourvu que le lecteur ne s'en rende pas compte et que le projet dépasse l'habituelle ambition (très) bornée de la contemplation hypnotique de son seul nombril.

2) De posséder un style qui mérite ce nom et dont on puisse se souvenir.

3) Eventuellement, de rendre un hommage, discret ou pas, aux écrivains dont les textes ont nourri le romancier.

4) et si, en plus, le romancier parvient à "coller" aux questions sociales du moment, alors là, il n'est pas loin de pouvoir prétendre à rejoindre le club des Très Grands.

Eh ! bien ! Pour moi, la chose ne fait aucun doute : Pierre Jourde et "Festins Secrets" remplissent largement les trois premières parts - et même la quatrième - de ce contrat.

Au départ, un homme - Gilles Saurat, professeur de collège - en route pour un premier poste dans la ville de Logres (tout un programme, ce nom). Il sommeille à demi au fond d'un train sur laquelle la nuit s'effondre avec une inquiétante douceur. En face de lui, un petit homme qui, jadis, lui aussi, fut professeur à Logres. Une conversation - ou plutôt un monologue - s'engage. L'ancien professeur est intarissable sur Logres, ses notables, son lycée, sa racaille. Mais à vrai dire, Saurat n'écoute qu'à moitié - quand encore il écoute ...

... ...

(Non, je ne vous raconterai pas tout ce qui se déroule dans ce train qui semble rouler à l'aveugle. Mais un conseil si vous vous décidez à lire ce roman : soyez attentif à TOUT. ;o))

... ...

Le voilà sur le quai, puis hors de la gare, à la recherche de la maison de Mme Van Reeth chez qui il a loué une chambre. Mme Van Reeth est veuve d'un homme d'affaires qui se doublait d'un collectionneur d'érotiques du XVIIIème. Une aubaine peut-être pour Saurat qui doit préparer sa thèse ...

Sur l'ensemble, une nuée de voiles opaques, de la pluie, froide, obstinée, des ombres qui vont, qui viennent, qu'on croit déjà connaître et qui, pourtant, à bien les regarder, ne vous disent plus rien, des voix mêmes ...

Dès le début, quelqu'un d'ailleurs s'adresse à Saurat comme s'il le regardait vivre - ou comme s'il l'avait déjà vu vivre ? ...

On pense bien sûr à Kafka, à ces villes glauques qui hantent des romans comme "Le Golem" (Gustav Meyrink) ou "La Cité de l'Indicible Peur" (Jean Ray) ou encore certains films muets allemands. On pense aussi à "La Foire des Ténèbres" de Bradbury et à tous ces films dont le héros se rend compte trop tard qu'il fait partie d'un mystérieux spectacle. On pense en fait à beaucoup de choses mais le coup de maître de "Festins Secrets", c'est d'allier cette richesse romanesque et culturelle à un portrait précis de notre société dans ce que celle-ci a de plus noir.

Avec un courage que je trouve admirable, dans une langue qui semble toute simple et pourtant très travaillée, sans jamais sombrer dans le jargon pédantesque qui est le propre de tant d'universitaires contemporains, Pierre Jourde aligne un par un les dangers qui guettent le XXIème siècle : la violence banalisée, la violence pratiquée au nom du respect d'une religion rétrograde, la violence excusée par les médias et les "intellectuels" au nom de principes qui datent de l'immédiate après-guerre et qui ne sont plus en phase avec les réalités économiques et sociales de notre pays ; le racisme le plus abject justifié par la politique israélo-palestinienne et absous par la gauche bien-pensante ; la volonté de nier l'être humain, notamment quand il est de sexe féminin ou trop faible pour se défendre - un procédé bien connu des nazis, Jourde a le cran d'établir le parallèle ...

Il vise, il tire et il fait mouche. C'est du grand art.

Croyez-moi : lisez "Festins Secrets" qui restera dans notre littérature non seulement en raison de ses qualités techniques ou de sa façon d'évoquer les problèmes de société tout en tenant son lecteur en haleine mais aussi parce que, en ce début des années 2000 et depuis déjà trop d'années, les vrais romans se font rares en France et que celui-là en est un - oui, un sacré bon roman !

mercredi, juillet 25 2007

Une Exécution Ordinaire - Marc Dugain.

Le titre de ce roman ne prend tout son sens qu'à sa fin./b Jusque là, le lecteur est un peu déstabilisé car le seul reproche que je ferai à ce livre, c'est sa construction hésitante. Marc Dugain nous avait habitués à mieux.

Le narrateur principal, qui nous jette dès le début, avec sa mère, dans le bureau d'un Staline vieillissant, s'appelle Pavel Altman.[ Par son grand-père maternel, il est juif et il vit dans la Russie de Poutine, là où se réveille l'anti-judaïsme. Mais disons que sa judéité n'est pas pour lui le point le plus important, loin s'en faut - alors que sa fille, Anna, captivée par le mirage israélien, finira par obtenir son visa pour la Palestine.

Le but poursuivi par Pavel est de convaincre le lecteur que, de Staline à Poutine, pratiquement rien n'a changé en Russie. Sauf qu'y règne désormais une mafia toute puissante et qui a accès à tous les niveaux de la société. Et que, pour lui survivre, le plus modeste des particuliers doit savoir, à l'occasion, se transformer en tueur sans état d'âme.

Pour ce faire, il dépeint donc sa mère, urologue qui avait des talents de guérisseuse et que Staline prend comme médecin personnel mais secret lorsque commencent les procès des années 50 contre les médecins juifs. Sur l'ordre paranoïaque du Vojd, elle fera croire à son mari que, lorsque les miliciens viennent la chercher à n'importe quelle heure de la nuit, c'est pour la mener à son amant, membre influent du Parti. A son travail, elle ne pourra pas non plus dire où elle se rend lorsqu'elle s'absente et deviendra l'objet d'une enquête menée par le KGB. On torturera même son mari pour obtenir des renseignements sur les rendez-vous secrets de sa femme ... La folie rusée de Staline est ici décrite avec un talent qui vous glace le sang.

Mais Staline meurt et la mère de Pavel retrouvera son mari, non sans avoir croisé, dans la datcha de "l'homme d'acier", le cuisinier de celui-ci lorsqu'il vient annoncer la naissance de son petit-fils, Vladimir Vladimirovitch Plotov.

Là, l'histoire bifurque sur deux militaires qui discutent justement de ce Vladimir Plotov, devenu entre temps agent de renseignements.

Puis, on revient à la narration de Pavel,à sa vie familiale, aux problèmes de santé de sa femme (qui souffre de problèmes de mémoire), à sa fille, Anna, journaliste dans une station de télévision de la Russie d'après-le Mur et puis à son fils, Vania, qui était sous-marinier.

Et peu à peu, on comprend que Vania est mort dans le naufrage de l'"Oskar", un sous-marin nucléaire disparu en période de grandes manoeuvres sans que l'on sache exactement ce qui avait provoqué l'explosion première, cause de sa chute dans la mer de Barents.

Par la suite, on retrouvera les deux militaires, un peu plus vieux et plus gradés, parlant toujours de ce Plotov devenu le successeur de Boris Eltsine. Et Plotov lui-même interdisant qu'on accepte l'aide de sous-mariniers britanniques pour sauver les vingt-trois hommes qui auraient pu l'être dans l'épave de l'"Oskar." Une exécution ordinaire, par raison d'Etat, pour que le prestige de la Russie ne soit pas une fois de plus mis à mal.

C'est un roman qui se lit bien et qui a vraiment de très beaux moments - le paragraphe final est d'un cynisme et d'une tristesse exemplaires. La personnalité de Staline est superbement rendue - à mon sens. Celle de Plotov-Poutine aussi mais le parallèle évident avec Staline me semble moins bien trouvé. Quoi qu'il en soit, le récit manque - à mon avis - de cette unité que l'on peut apprécier dans "La Malédiction d'Edgar."

Ce qui ne m'empêchera pas de lire le prochain Dugain. ;o)

mardi, juillet 24 2007

Le Grand Meaulnes - Alain-Fournier.

Lorsque je l'avais lu pour des raisons scolaires alors que je me trouvais en 3ème, en 1974, je n'avais absolument pas aimé ce livre. Je l'ai relu hier et ...

... et mon opinion n'a pas changé.

D'accord, la construction est impeccable. D'accord, le style l'est tout autant. D'accord, il y a une romantique histoire d'amour. D'accord ...

Mais on n'y croit pas un seul instant. Avec le recul des années, j'ai enfin compris pourquoi : il n'y a, ici, aucune analyse psychologique, les personnages subissent tous leur destin - y compris Meaulnes.

Rappelons brièvement l'histoire :

Un adolescent de 17 ans environ, Augustin Meaulnes, fils d'une riche veuve solognote, est placé comme pensionnaire chez l'instituteur du coin, M. Seurel. Il se lie d'amitié avec le fils de celui-ci, François, qui est aussi notre narrateur.

Un jour, parti sans autorisation pour chercher les grands-parents Seurel à la gare - nous sommes en période de Noël - Meaulnes s'égare et se retrouve dans un domaine perdu où se déroule une étrange fête à laquelle ne semblent conviés que des enfants et des adolescents. Il parvient assez facilement à se mêler aux convives et apprend ainsi que cette fête a été voulue par le jeune Frantz de Galais, en l'honneur de sa fiancée, une jeune couturière qu'il tient à épouser malgré les réticences paternelles et en dépit de celles de la jeune fille qui s'inquiète, non sans raison, de ce changement si brutal de condition.

Et puis, Meaulnes croise Yvonne, la soeur de Frantz et en tombe éperdument amoureux. Mais cet amour est sans espoir puisque, après la fête, il est bien incapable déjà de retrouver le domaine où tout s'était déroulé.

De fil en aiguille, après des péripéties incroyables, il finit par monter à Paris où il rencontre - tenez-vous bien - l'ex-fiancée de Frantz (lequel s'est enfui avec des bohémiens (!!!) parce que Valentine lui avait en définitive refusé sa main, le jour même de la fameuse fête). Bien entendu, Meaulnes n'apprendra son identité que lorsqu'il sera trop tard ... c'est-à-dire après que lui-même l'aura demandée en mariage !!!! Sous le choc, il rompt et retourne panser ses plaies en Sologne.

Quelques années plus tard, c'est François, le narrateur, qui retrouve Yvonne et qui guide celle-ci vers Augustin, qu'elle n'a jamais oublié. Ils se marient, la jeune femme se retrouve enceinte et - j'espère que vous êtes assis - comme Frantz revient de chez les bohémiens pour rappeler à Meaulnes la promesse qu'il lui avait faite jadis (à savoir tout faire pour que Valentine accepte de l'épouser), le nouveau marié et futur père de famille laisse tout tomber pour tenter de retrouver la petite couturière et la ramener à Frantz.

Il y parvient mais, quand il revient au logis (plus d'un an et demi après), Yvonne est morte des suites de l'accouchement. François lui remet alors sa fille et voilà le père et le bébé partis "pour de nouvelles aventures ..."

Pour nombre de personnes - et c'est toujours ce que l'on m'en a dit - "Le Grand Meaulnes" est un chef-d'oeuvre. Eh ! bien, je suis au regret mais pour moi, c'est un livre froid (sauf peut-être au tout début), qui souffre terriblement de la fadeur trop lisse de ses personnages et de péripéties qui auraient mieux trouvé leur place dans un roman populaire.

On affirme aussi que "Le Grand Meaulnes" est un roman sur l'adolescence. Franchement, à ce compte-là, mieux vaut lire Alexandre Vialatte qui se fait de l'insolite une règle et qui, du coup, donne véritablement vie à ses personnages.

Et vous, que pensez-vous du "Grand Meaulnes" ?

lundi, juillet 23 2007

Le Rêve - Emile Zola.

Depuis que je l'ai lu pour la première fois - ce qui fait un bail, déjà - "Le Rêve" n'a cessé d'évoquer pour moi cette ancienne pub pour le Canada Dry que vous avez certainement connue et qui disait à peu près ceci : "Ca a le goût de l'alcool, ça a l'odeur de l'alcool mais ce n'est pas de l'alcool !"

Eh ! bien ! "Le Rêve" a le style de Zola, "Le Rêve" a la patte de Zola ... mais "Le Rêve" n'est pas du Zola !

Même si l'auteur de "L'Assommoir" avait certainement de bonnes raisons pour l'écrire, ce roman fait tache dans cette superbe symphonie de noirceurs et de férocités que représentent "Les Rougon-Macquart." L'intrigue et ses personnages sont d'une mièvrerie confondantes - et j'ajoute qu'ils le resteraient même si Zola, au lieu de les placer à l'ombre d'une cathédrale et au milieu de broderies religieuses, les avait plantés à côté d'un bastringue.

Dans "Le Rêve", tout est pur, éthéré et quasi céleste. Angélique, l'héroïne, prototype de la Vierge dans toute sa splendeur, est bâtie, on le sent, pour répondre à l'ambiguïté et aux ténèbres salaces qui entourent sa mère biologique - qu'elle ne connaît d'ailleurs pas : Sidonie Rougon, la soeur d'Eugène le ministre, d'Aristide le banquier et de Pascal le médecin, la fille de Pierre et de Félicité, les deux arrivistes et, par conséquent, la nièce de cette horreur ambulante qu'est Antoine Macquart.

Abandonnée à l'Assistance publique, la petite fille est ballotée de famille d'accueil en famille d'accueil où, bien souvent, on la maltraite. Un soir, elle décide de s'enfuir et est recueillie, transie de froid - on se croirait dans "Les Misérables" - par un couple sans enfants, les Hubert. Ceux-ci s'attendrissent et l'adoptent. Comme ils sont brodeurs spécialisés dans les ouvrages religieux, la petite grandit dans une ambiance d'encens et de sérénité spirituelle assez rare qui, bien entendu, ne peut qu'encourager chez elle ces excès de passion aveugle qu'elle tient de son arrière-grand-mère, tante Dide et qu'on retrouve, dans un autre style et avec les conséquences que l'on sait, chez sa tante Marthe, la soeur de Sidonie.

Elevée à l'ombre bienveillante d'une cathédrale, cernée par les livres contant le martyr de centaines de "bienheureux" et les bienfaits de la religion chrétienne, Angélique se fait de l'amour une très haute idée. D'ailleurs, elle compare tout de suite à St Georges le jeune peintre sur vitrail dont elle tombe amoureuse, Félicien de Hautecoeur.

Félicien n'est autre que le fils d'un évêque entré en religion après la mort de son épouse. Il est, on s'en doute, d'excellente famille et l'idée que son unique rejeton puisse épouser une enfant adoptée par de simples brodeurs ne plaît pas du tout à l'évêque. Mais chez les Hubert, la mère n'est pas non plus d'accord car elle se méfie - peut-être avec raison - de toute cette passion.

Devant le refus de Mgr d'Hautecoeur et les réticences de ses propres parents, Angélique sombre lentement dans une dépression résignée. Lentement, elle se consume. L'autorisation enfin accordée d'épouser son bien-aimé ne la sauvera pas. Après avoir donné son premier et dernier baiser à Félicien, elle meurt après la cérémonie célébrée par son beau-père et qui fait d'elle Mme de Hautecoeur.

On se croirait dans un roman de Delly - et pas l'un de leurs meilleurs romans, en plus. Peut-être Zola s'est-il rendu compte, en plein travail, de la dissonance que représente ce bourgeon pâlichon égaré parmi les branches robustes et vénéneuses de ses "Rougon-Macquart." Assurément, se fût-il dispensé de l'écrire que l'arbre généalogique qu'il avait mis tant de soins à dresser n'en aurait pas dépéri pour autant.

Mais l'obsession zolienne de tout expliquer par la nature physiologique des personnages a eu raison ici du génie de l'écrivain. Celui-ci a maintenu "Le Rêve", qu'on peut lire comme une curiosité et oublier illico, et il a eu tort de le faire. Le plus curieux peut-être, c'est que, dans l'ouvrage suivant, "La Terre", il tombera d'un excès de pureté dans un excès d'immondices paysans qui renouera avec le scandale ...;o)

dimanche, juillet 22 2007

Eugénie Grandet - Honoré de Balzac.

Dans "Eugénie Grandet" - que j'aime bien et que j'ai lu sans problèmes, comme "La Rabouilleuse" - et contrairement à tant d'oeuvres balzaciennes, il n'y a pratiquement pas de passages ronflants ou ridicules. En tous cas, s'il y en a, la puissance de l'intrigue est telle que le lecteur ne s'en aperçoit pas.

A mon avis, "Eugénie Grandet" est l'un des plus grands romans de son auteur. D'abord en raison du père Grandet, qui s'égale ici à l'Harpagon de Molière dans tout ce que ce personnage a de sinistre et d'épouvantable. Ensuite parce que la destinée d'Eugénie atteint à la grandeur par l'implacable cruauté qui est son lot.

L'action se déroule à Saumur - donc, en province - où les Grandet constituent l'une des plus riches fortunes de la ville grâce aux spéculations en tous genres (c'est-à-dire souvent à la limite du légal) du chef de famille, Félix. Celui-ci ne semble vivre que pour son argent et tyrannise sa femme, sa fille, Eugénie et leur servante, Nanon, rognant sur tout, vérifiant tout vingt fois plutôt qu'une et entassant, entassant, entassant ...

A vingt-trois ans et à une époque où la Sainte-Catherine n'était pas un vain mot, Eugénie n'est pas encore mariée bien que sa dot soit convoitée pour leur fils par les meilleures familles de Saumur. Les Cruchot (aucun rapport avec l'adjudant du même nom ;o)) et les Grassins accourent d'ailleurs au bal que le père Grandet s'est tout de même décidé à donner pour son anniversaire.

Un troisième larron entre alors en scène, Charles, le cousin d'Eugénie. Il arrive de Paris porteur d'une lettre de son père pour Grandet, lettre dans laquelle le malheureux annonce que, traqué par ses créanciers et devenu insolvable, il préfère se suicider. Il recommande évidemment son fils à la bonté de Félix Grandet mais ... Mais le lecteur a déjà compris qu'il aurait gagné à le recommander à un mur.

Tandis que le père Grandet, absolument insensible à la tragédie qui le frappe, révèle au jeune homme la mort de son père, Eugénie, qui trouve son cousin bien différent des jeunes gens auxquels elle est accoutumée, décide secrètement de l'aider à recouvrer sa fortune. Pour financer son départ pour les Indes, elle lui remet l'intégralité des pièces de collection dont, chaque année, lui fait don son père.

Après avoir offert en retour à Eugénie un nécessaire de toilette en or ayant appartenu à ses parents et non sans force larmes, apitoiements et grands serments, Charles quitte Saumur pour s'embarquer. Eugénie retourne à son train-train qui, le 1er janvier 1820, se voit très gravement troublé par l'explosion de fureur du père Grandet, découvrant que les cadeaux faits à sa fille ont disparu.

Comme la jeune fille refuse d'expliquer l'usage qu'elle en a fait, Grandet l'enferme dans sa chambre avec interdiction d'en sortir. Eugénie tient bon mais sa mère, minée par le chagrin et la vie qu'elle mène depuis si longtemps, tombe malade. Elle trouve cependant la force de laisser sa fortune personnelle à la seule Eugénie. Ce que voyant, le père Grandet préfère se réconcilier avec sa fille. Au reste, il parviendra, deux ans plus tard, à la faire renoncer à son héritage ...

Le temps passe, nous sommes en 1822, année de la mort de Mme Grandet. Eugénie demeure aux côtés de son père qui, sentant lui-même arrriver la Camarde, se décide à mettre sa fille au courant de ses affaires. Ne ratez pas la scène de l'agonie de Félix Grandet : sans jeu de mots, elle vaut son pesant d'or.

Pendant huit ans - le père Grandet meurt en 1827 - Eugénie n'a pas reçu un seul signe de Charles. Mais quand elle entre en possession de la fortune de son père, il se manifeste enfin. C'est hélas ! pour lui avouer qu'il a fait un mariage d'argent. Eugénie se résigne alors à conclure de son côté un mariage blanc avec Cruchot de Bonfons, beaucoup plus âgé qu'elle.

Devenue veuve, elle reviendra vivre dans l'ancienne maison paternelle où elle reprendra le train-train de jadis, seule avec les fantômes de ses espoirs perdus.

Il est difficile de faire plus triste. Difficile aussi d'égaler Balzac dans sa peinture de cette vie morne, étouffante, abrutissante où les rares moments de bonheur ne semblent surgir que pour mieux se faire regretter de ceux qu'ils illuminent trop fugitivement. La fièvre des avares est ici examinée, disséquée, passée au crible du microscope littéraire avec une minutie et une vérité qui laisseront toujours pantois ceux qui, dans leur famille ou leur entourage, ont connu des avatars du père Grandet. Les caractères secondaires sont peints avec autant de force que les rôles-clefs et le style se libère des lourdeurs habituelles.

Mais le tour de force de Balzac, dans ce roman, c'est peut-être d'inciter son lecteur à se poser la question suivante : et si, malgré tout ce qu'on peut lui reprocher - et on peut beaucoup - le père Grandet n'avait pas eu raison quant à la véritable nature de son neveu ? ... ;o)

vendredi, juillet 20 2007

Au Bonheur des Dames - Emile Zola.

A nous qui vivons à l'époque des achats et de la vente en ligne, "Au Bonheur des Dames" risque de faire bientôt figure de témoignage sur la naissance d'un monde désormais pris de vitesse par la technologie : celui des grands magasins.

C'est en effet l'histoire de cette révolution économique que Zola nous conte avec celle du "Bonheur des Dames", cette boutique plutôt obscure et tranquille que la mort de Mme Hédouin a laissée en héritage à Octave Mouret. Déjà que, du vivant de sa femme, Octave y avait introduit beaucoup d'innovations et en avait doublé le chiffre d'affaires, depuis qu'il est veuf, il est passé à la vitesse supérieure. Son "Bonheur" enfle et éclate de bonne santé, se nourrissant, tel un vampire, aux dépens des petits commerces qui l'entourent : chapellerie, ganterie, etc, etc ...

Ne lui résistent plus dans le quartier que deux irréductibles : Baudu, le drapier du "Vieil Elboeuf" et Bourras, le vieux et colérique marchand de cannes et de parapluies. Mais des sommets où il s'est solidement installé, séduisant les hommes par la pluie d'or qu'il leur fait miroiter et les femmes par les seules qualités de son physique et de son tempérament d'amant, Mouret ricane sous cape : il sait que, un jour où l'autre, la déchéance viendra, pour Baudu comme pour Bourras.

Grâce à l'appui de sa maîtresse, Mme Desforges, il parvient à étendre ses locaux de telle manière que les deux malheureux se trouvent littéralement écrasés par le "Bonheur." Et puis, douillettement installé dans ses affaires florissantes, soutenu par son entregent et son incontestable talent de ce que l'on ne nomme pas encore un bussiness-man, il attend.

Le Destin va s'amuser à lui tendre un piège en lui jetant dans les bras - et dans le coeur, ce qui est plus grave pour un homme de cette trempe - la nièce de Baudu, Denise, qui, fraîchement débarquée de Normandie à la mort de ses parents et ayant dans ses bagages ses deux frères, plus jeunes qu'elle, a vraiment besoin de travailler. Son oncle Baudu ne pouvant évidemment pas l'embaucher, la voilà contrainte de quémander un poste en face, au "Bonheur." On y prend cette vendeuse d'apparence falote et effacée, qui ne paie guère de mine, uniquement sur ordre du patron, lequel tente ainsi un geste envers Baudu. Mais les débuts de la pauvre Denise sont très durs.

Ce qui fournit à Zola l'occasion de nous brosser un portrait saisissant de ce qui était la vie des employés de magasin de l'époque : toujours debout et forcés de sourire et de subir toutes les avanies infligés par les clientes ; trottant des heures à travers les dédales du "Bonheur" pour accompagner un tel ou une telle et ses achats ; mal logés, à peine mieux nourris mais vêtus de soie et d'élégance car il fallait paraître.

A l'exemple du Paradou de "La Faute de l'Abbé Mouret", le "Bonheur" a tout d'une gigantesque plante semi-exotique et plus ou moins malveillante, qui pousse ses racines aux quatre coins du quartier en étouffant au passage ces végétaux malingres que sont les petits commerces. Zola le fait aussi parfois machine, machine aveugle et épouvantable qui broie sous ses pistons tous ceux qui ne peuvent la suivre dans sa marche vers le progrès et le succès. Bref, "Au Bonheur des Dames" a quelque chose de Protée.

En dépit de tout, de la mort de Geneviève, la cousine de Denise, qui se laisse aller complètement lorsque son fiancé la quitte pour s'amouracher d'une vendeuse du "Bonheur", de la ruine de Baudu et de Bourras, bref de tous ceux que le grand magasin triomphant foule aux pieds de sa réussite sans précédent, ce roman, moins caricatural, moins féroce sans doute que le très voltairien "Pot-Bouille", se détache comme le plus doux et le plus optimiste dans la série des Rougon-Macquart. Pour une fois notamment, l'intrigue amoureuse centrale, celle de Mouret et de Denise, se termine bien et l'on peut y voir, en quelque sorte, la victoire d'une certaine Bonté sur l'Egoïsme affairiste.

On peut évidemment lire ce volume sans se soucier de "Pot-Bouille" mais le puriste préférera tout de même, je le pense, ne pas se passer de ce dernier. ;o)

jeudi, juillet 19 2007

Akhénaton, le Dieu Maudit - Gilbert Sinoué.

"Akhénaton, le Dieu maudit" n'est pas, à proprement parler, un biographie d'Aménophis IV. Si vraiment vous en voulez une, voyez par exemple l'ouvrage consacré par Philip Vandenberg à son épouse, Néfertiti.

Il s'agit plutôt, sous couvert d'examiner l'authenticité de la correspondance échangée par deux anciens familiers du Pharaon, Anoukis (qui fut l'un des amants) et Keper, de regrouper et de résumer le plus impartialement possible toutes les théories sérieuses qui ont été émises à son sujet.

La chose n'était pas aisée et c'est tout à l'honneur de Gilbert Sinoué de s'en être sorti de façon aussi remarquable et aussi sobre. Car, en ce qui concerne le précurseur du monothéisme, on a dit tout et son contraire.

Toutes les grandes figures de l'époque défilent, présentées tour à tour par deux hommes qui n'ont pas fatalement à leur sujet la même vision : Aménophis III, le père d'Akhénaton et son épouse, la reine Tiyi, Néfertiti bien sûr mais aussi la mystérieuse Kya, la seule concubine de l'Hérétique qui lui aurait donné un fils, le futur Toutankhaton (si l'on récuse, bien sûr, l'hypothèse qui fait de celui-ci le frère d'Akhénaton ou encore le fils qu'il aurait eu d'une union incestueuse avec Tiyi), les filles du couple d'Armana, Horemheb, grand officier de l'Hérétique qui s'acharnera pourtant après sa mort à nier qu'il ait jamais existé, et bien d'autres ...

Certains - dont je suis, je l'avoue - trouveront tout cela un peu trop rapide 300 pages en Folio pour évoquer Akhénaton et sa vie, c'est très peu. Mais Sinoué s'est très bien documenté et sans doute a-t-il eu peur d'en faire trop et, ce faisant, de rompre son voeu d'objectivité.

Quant à l'épilogue qu'il a donné à son livre, il m'a beaucoup - et agréablement - surprise en raison du ton cinglant ici affiché envers le monothéisme sous toutes ses formes. Voici d'ailleurs ci-dessous la fin de l'ouvrage :

... Plus jamais de monothéisme. Plus jamais. Ses adeptes avaient trop de sang sur les mains. Beaucoup trop de sang.

Il est vrai que, né au pays qui vit la première tentative d'instauration du monothéisme sous Akhénaton et qui, au XXème siècle, a donné naissance à Hassan-el-Banna, le "père" des Frères musulmans, Gilbert Sinoué sait parfaitement de quoi il parle.

mercredi, juillet 18 2007

Bouvard & Pécuchet - Gustave Flaubert.

Si, au lieu de brader "Mme Bovary" à des élèves de 3ème ou de Seconde qui n'y comprennent que peu de choses tant leur expérience personnelle se trouve à dix mille lieues des tourments d'une provinciale mal mariée du XIXème siècle, on leur offrait des "Morceaux choisis" de "Bouvard & Pécuchet", peut-être le malentendu qui s'établit en général très vite entre les élèves et Gustave Flaubert n'existerait-il pas. (Il faudrait, notez bien, que les enseignants y mettent aussi du leur, et voilà qui est plus hasardeux ...)

Car l'oeuvre inachevée de Flaubert est un monument pince-sans-rire dressé à la bêtise monomaniaque élevée au rang de l'art par deux anti-héros dont on se demande bien souvent si leurs excentricités ne vont pas finir par les faire sombrer dans la folie pure et simple.

Pourtant, à bien regarder ce livre extraordinaire, c'est autour de Bouvard et Pécuchet plus que dans leurs agissements personnels que se déploie, dans toute sa gloire, la beaufitude bourgeoise et bien-pensante. Au sein de la province normande où ils sont allés chercher repos et plénitude, nos deux personnages principaux ne sont entourés que d'aigris et d'envieux qui, lorsqu'ils s'aperçoivent de l'originalité des deux compères, s'empressent d'unir leurs efforts pour les blâmer, les décrier et les moquer de toutes les façons possibles et imaginables. Une certaine Mme Brodin ira même jusqu'à attiser la nature très charnelle de Bouvard afin d'obtenir de lui un prix risible pour l'une de ses propriétés qu'elle convoite.

Le monde paysan et ouvrier n'est pas mieux traité par un Flaubert qui, bien que né à Rouen, ne se faisait visiblement aucune illusion quant à l'avidité naturelle de ses compatriotes. Les événements de 1848, les petites et grandes lâchetés des notables sont passés au crible. Avec une lucidité rare et à l'opposé absolu du Hugo des "Misérables", Flaubert campe enfin des enfants de forçat absolument irrécupérables que Bouvard & Pécuchet, en philanthropes aussi émus que naïfs, tentent en vain d'élever hors de la fange où ils sont nés.

Bref, ce livre est d'une cruauté inouïe envers la Nature humaine à laquelle il ne laisse aucune rémission possible. Et malgré tout, devant ce défilé écrit de silhouettes à la Daumier, le lecteur s'amuse de bout en bout, partagé entre les rires que lui inspirent les déconfitures successives des pauvres Bouvard et Pécuchet et la tendresse que, peu à peu, l'originalité foncière de ces deux caractères finit par lui inspirer.

Certes, on ne rit pas aux éclats - quoique, parfois ... Et l'on est ici bien plus proche de l'humour anglais que des éclats rabelaisiens. N'empêche : ce roman se lit sans efforts en une seule journée et, quand on le referme, on se demande si, finalement, dans sa jeunesse, on n'est pas passé à côté du vrai Gustave Flaubert.

A lire absolument ...

mardi, juillet 17 2007

La Peau de Chagrin - Honoré de Balzac.

"La Peau de Chagrin" se fondant sur une intrigue fantastique, je croyais pouvoir y retrouver le Balzac que j'avais aimé dans "La Rabouilleuse." Mais non : ce n'est pas encore pour cette fois !

L'action se répartit en trois parties. Dans la première, un jeune inconnu sort d'une salle de jeux parisienne où il vient de perdre son dernier louis et se dirige vers les quais où il croise bien des misères. Désireux de se suicider, il entend cependant le faire discrètement, quand la nuit sera tombée. Désoeuvré, il entre dans un magasin d'antiquités où un vieillard qui semble surgir de nulle part lui propose un bien curieux talisman, une peau de chagrin raide et durcie sur laquelle, en un triangle inversé, est contenue une inscription promettant la réalisation de tous ses voeux à celui qui acceptera que, lors de l'ultime rétrécissement de la peau, la Mort vienne aussi le prendre.

Sans qu'aucune opération strictement financière ne soit intervenue, le jeune homme se retrouve dehors, avec la peau de chagrin, brusquement et inexplicablement devenue aussi souple qu'un chiffon, au fond de sa poche. Sur le trottoir passent justement trois de ses amis, qui le cherchaient pour le conduire au souper donné par le banquier Taillefer en l'honneur d'un investissement qu'il vient de faire dans un journal. On apprend alors que le jeune inconnu s'appelle Raphaël de Valentin.

Chez Taillefer, le souper sombre très vite dans l'alcool et l'orgie. Balzac restitue des dialogues d'hommes complètement ivres et gagnés par une incohérence absolue. Raphaël et l'un de ses amis, Emile, discutent avec deux prostituées, Aquilina et Euphrasia et c'est pour l'auteur l'occasion d'exposer ses propres idées - au demeurant très justes - sur la place laissée aux femmes par la société de 1830. Puis, Emile demande à Raphaël de leur expliquer pourquoi il voulait se suicider.

Commence alors une seconde partie consacrée à l'enfance et à l'adolescence de Raphaël, partagée entre une mère adorée mais morte trop tôt et un père distant, froid et qui rêve de revivre sa propre vie en imposant un destin d'homme politique au jeune homme. Mais le père décède, les créanciers mangent l'héritage et Raphaël se retrouve à Paris où il tombe amoureux de Pauline, la fille de sa logeuse.

Il fait aussi la connaissance d'Eugène de Rastignac, jeune fêtard qui lui présente la comtesse Féodora, très mystérieuse beauté dont Raphaël devient aussi complètement fou. Hélas ! Sa passion n'est récompensée que par une froideur quasi polaire qui le plonge au désespoir et l'incite à accumuler dettes et folies.

Le récit se termine sur le souhait, formulé in petto par Raphaël, de se voir une grosse fortune. De fait, le lendemain, il hérite d'un oncle. Mais quand il sort la peau de chagrin pour la regarder, celle-ci a rétréci.

La troisème partie découvre le jeune homme pour ainsi dire terré dans le luxueux hôtel particulier qu'il vient de s'acheter et où il tente de se faire oublier par le Destin. Mais quand Parroquet, son ancien professeur, vient lui demander de l'aider à trouver un nouvel emploi, Raphaël, sans réfléchir, forme un nouveau voeu et la peau de chagrin en rétrécit d'autant.

Le même soir, aux Italiens, il rencontre Pauline. Les deux jeunes gens tombent dans les bras l'un de l'autre et, avec une exaltation typiquement balzacienne, s'assurent mutuellement de leur volonté de se marier. La peau de chagrin ... etc ...

Fou de détresse, Valentin la jette dans un puits. Mais les domestiques l'y récupèrent. Le jeune homme, en désespoir de cause, s'adresse même aux scientifiques de l'époque pour tenter d'enrayer le rétrécissement de la peau diabolique. En vain, bien sûr. Il décide de tout dire à Pauline et la jeune fille, comprenant que le désir de Valentin envers elle risque fort de le tuer, songe à se suicider. Mais Raphaël la poursuit, l'empêche de se suicider et meurt enfin à ses côtés.

Beaucoup de descriptions - celles du magasin d'antiquités par exemple - sont vraiment superbes : on ne les lit pas, on est dans le magasin, aux côtés de Balzac et de son héros. En revanche, le style ... Le style est feuilletonnesque ; à certains moments, on croit lire du Ponson du Terrail. Grandiloquence, élans "sublimes", romantisme véritablement échevelé, tout y est. Sans oublier certains dialogues où - comme dans les feuilletons de l'époque et pour des raisons financières évidentes - il n'y a qu'un seul mot par ligne (mais un mot égalait une ligne ... ;o))

Quant aux personnages ... Eh ! bien, ils sont un peu trop romanesques pour mon goût, je l'admets.

Cependant, chez Balzac, en ce qui me concerne, c'est toujours sur le style que je bute avant tout. Les ridicules que j'y vois me font oublier la puissance et la beauté des idées qui s'y pressent. Je dois faire un effort pour continuer à les percevoir. Bref, c'est épuisant.

Mais ce qui me fait le plus enrager, c'est que je sais qu'il existe au moins un roman de Balzac où il n'a pas usé de tous ces procédés très XIXème. Or, s'il y en a un, on peut penser qu'il y en a peut-être un second, un troisième ... etc ... Quand les rencontrerai-je ? ...

lundi, juillet 16 2007

Les Fruits du Congo - Alexandre Vialatte.

"Les Fruits du Congo", c'est avant tout une musique, l'essence de la poésie qui se fait ruisseau cristallin pour raconter l'histoire tragique et douce de Frédéric et de Dora qui "fut Reine des Iles et du Labyrinthe." Si vous avez oublié votre adolescence, si vous ne vous sentez aucun atome crochu avec le fantastique et le bizarre qui courent dans les rues étroites de certains films, muets et parlants (songez au "Liliom" de Fritz Lang par exemple), si vous considérez les poèmes comme des élucubrations d'esprits dérangés, si la tendresse et le rêve ne sont pour vous que des mots,

Alors, ne lisez pas "Les Fruits du Congo." Vous n'y comprendriez rien et en plus, vous vous demanderiez si l'auteur ne se moque pas de vous.

L'intrigue en est fragile et presque ténue : Frédéric, dit Fred, un lycéen trop long et trop maigre, coiffé par son oncle et tuteur, le Dr Lamourette, d'un melon incongru en lieu et place du traditionnel béret de l'époque (nous sommes en 1951) étudie les maths et la philosophie au collège de M. Vantre. Ses loisirs passent par les assemblées des "Plaisirs de Corée", réunions périodiques de potaches qui se gavent de mots et de rêves et qui s'imaginent avoir apprivoisé les mauvais tours du Destin en l'incarnant dans un personnage fictif, dénommé M. Panado.

Fred tombe amoureux d'une toute jeune fille qui se fait appeler Dora et dont il met les deux tiers du livre à apprendre le vrai nom et les origines. La sexualité compte ici pour rien : tout n'est que regards, soupirs, émotions à fleur de peau et de sensibilité. Et tout finira en drame parce que, à cet âge, tout est drame et que M. Panado - cela, on l'apprend avec l'âge - ne lâche jamais prise.

Un style incroyablement musical pour un roman atypique, bourré de ciels rêveurs et d'étoiles filantes, que vous aimerez ou rejetterez en bloc mais qui ne vous laissera pas indifférent.

dimanche, juillet 15 2007

Aimée du Roi - Catherine Decours.

Qui ne connaît pas l'extraordinaire destin de Françoise de Mortemart-Rochechouart, qui épousa par amour le joueur invétéré qu'était le marquis de Montespan et qui, devenue dame d'honneur de la reine Marie-Thérèse, finit un jour par prendre la succession de Louise de la Vallière dans le coeur du Roi-Soleil ?

Plus ahurissant encore, les enfants de Mme de Montespan et de Louis XIV devinrent des "légitimés de France" - si cela vous intéresse, voir ici-même le scandale dans notre rubrique "A la Découverte de Saint-Simon." Et à la mort du roi, en 1715, peu s'en fallut que la tutelle du petit Louis XV ne revînt à l'un de ces légitimés, le duc du Maine.

Mme de Montespan était morte depuis longtemps, dans le plus grand recueillement.

Catherine Decours, qui a choisi de nous rapporter cette existence exceptionnelle en la faisant narrer par sa protagoniste principale, est historienne. Peut-on dire qu'elle est également romancière, c'est une autre histoire.

De prime abord pourtant, "Aimée du Roi", qui se présente comme les mémoires remis par Mme de Montespan à son intendant afin que celui-ci les confiât à un éditeur, apparaît comme une réussite. La recherche a été poussée, les éléments rapportés sont logiques, les incohérences rencontrées dans l'"Affaire des Poisons" sont montrées du doigt ... mais ...

Parce qu'il y a un "mais."



Reconstituer la langue du XVIIème siècle, ainsi que le fit superbement Françoise Chandernagor avec "L'Allée du Roi", est une tâche délicate qui ne tolère aucun défaut dans la concordance des temps. Et là, visiblement, le lecteur, pour peu qu'il soit passionné par cette période de notre histoire, se rend très vite compte qu'il perçoit toute une multitude de fausses notes.

Puis, en dépit des efforts de Catherine Decours et de la sympathie qu'elle éprouve envers Mme de Montespan, elle ne parvient pas - ce n'est que mon opinion personnelle - à insuffler à la figure de cette femme aussi exceptionnelle en son genre que le fut Mme de Maintenon toute cette puissance et cette rage de vivre dont elle fut assurément porteuse.

Enfin - et c'est peut-être ce qui m'a le plus gênée - des pages entières sont reprises à Saint-Simon. Certes, celui-ci était un lointain parent de Mme de Montespan ... Mais tout de même ... Qu'on cite les emprûnts ! Surtout quand ils s'élèvent à ce nombre !

Bien évidemment, si vous connaissez mal Saint-Simon et si vous vous intéressez d'assez loin au règne de Louis XIV (j'allais écrire un peu à la façon des lectrices de la série "Angélique" bien que cette série, je le souligne, soit tout de même l'une des meilleures jamais faite sur le sujet), vous pouvez acheter "Aimée du Roi" : vous serez ravi et rien ne devrait assombrir pour vous le plaisir réel que l'on prend à cette lecture.

De toutes façons, il était temps de donner la parole à une femme qui, violemment décriée et calomniée sa vie durant, valait sans doute un peu mieux que ce que la légende habilement orchestrée par les adorateurs de Mme de Maintenon a fait d'elle.

samedi, juillet 14 2007

La Malédiction d'Edgar - Marc Dugain.

C'est un roman qui se lit d'une seule traite. On me dira sans doute que le style en est trop lisse et que les tics langagiers par exemple ne sont pas suffisamment marqués, d'un protagoniste à l'autre. N'empêche : l'intrigue tient la route et Dugain parvient à restituer cette étroitesse d'esprit et cette terreur-panique de l'Autre qui devaient caractériser aussi bien John Edgar Hoover que Clyde Tolson.

Après une brève introduction contemporaine sur la chasse au manuscrit menée par le narrateur principal pour se procurer celui qu'aurait laissé l'ancien N° 2 du FBI et amant de Hoover, le lecteur est projeté sans autre forme de procès dans les mémoires de Tolson.

C'est Joseph Kennedy Sr, cet ambitieux requin, qui ouvre le bal alors que Roosevelt vient de l'envoyer dans cet exil doré que sera pour lui l'Ambassade des Etats-Unis à Londres. La famille Kennedy occupe d'ailleurs l'arrière-plan de ce roman pratiquement du début jusqu'à la fin.

Il faut dire que l'Histoire elle-même s'est chargée depuis belle lurette de ratifier la théorie qui veut que bHoover ait été, d'une façon ou d'une autre, lié à l'assassinat de John Kennedy, puis à celui de son frère, Robert, en 68. Il faut bien dire qu'il est impossible d'imaginer un seul instant que Hoover et le FBI ignoraient tout des événements qui se tramaient. Qu'ils y aient prêté la main, c'est une autre histoire. En tous cas, ils fermèrent les yeux et laissèrent faire ...

Pour Dugain, dont Tolson est ici le porte-parole, ce sont la CIA, les anti-castristes que Kennedy avait déçus et bien entendu certains pontes de la Mafia qui organisèrent l'attentat de Dallas, en novembre 63. Les lecteurs d'Ellroy y retrouveront, en plus soft et en moins romancée, la théorie défendue dans "American Tabloid." Le Texan Lyndon B. Johnson aurait également largement aidé à évincer Kennedy - et ce ne sont pas les actuels jours de gloire d'un George Bush Jr et de sa "moral majority" qui risquent de nous faire changer d'avis ...

D'un autre côté, les Kennedy étaient loin d'être des anges. Qu'il s'agisse de leur père, de John ou de Bob ou bien de Luther King et de Malcom X (je vous citerai plus tard certains passages très intéressants de ces deux "apôtres des opprimés" sur les droits de la Femme, c'est on ne peut plus révélateur ... ), Dugain, par la voix de Tolson, n'y va pas de main morte.

Mais il sait prendre son lecteur et le captiver tant et si bien qu'on passe la nuit à terminer son roman. Il fait mieux : à certains moments, on est tenté de passer dans le camp de Hoover dont la souffrance profonde (ce conflit entre son éducation puritaine et ses pulsions homosexuelles) n'est jamais niée. Pas plus qu'elle n'est décrite comme un justificatif des actes accomplis ou autorisés par Hoover.

Un ouvrage de plus sur la déliquescence du "rêve américain", me direz-vous. Peut-être. Mais l'amertume glacée qui le nimbe à chaque ligne prouve au moins que, derrière les comportements rigides et à oeillères d'un Hoover ou d'un Tolson, la sensibilité n'était pas tout à fait morte. Leurs adversaires par contre ... En tous cas, tous ces hommes, alliés ou adversaires, apparaissent comme bizarrement coupés de la Mère (et partant déshumanisés) soit qu'ils l'aient trop idéalisée (Hoover), soit qu'elle les ait rejetés (les Kennedy). Aux mafiosi, pour lesquels une femme ne peut être justement qu'une prostituée ou une mère, revient le rôle du choeur qui ne se pose aucune question et soutient tour à tour l'un ou l'autre des récitants.

On soulignera l'intéressante analyse que fait Dugain de la volonté de mourir qui, après l'assassinat de son frère aîné, accompagna partout Robert Kennedy. La vision très spéciale qu'avait Hoover de la psychanalyse et de son fondateur est aussi très révélatrice de l'homme - et de sa négation absolue du Père au bénéfice de la Mère phallique. ;o)

vendredi, juillet 13 2007

Le Rouge & le Noir - Stendhal.

Quand je l'ai relu tout récemment, j'ai passé pratiquement ma journée à dévorer ce roman. Comme la première fois où je l'avais lu, "Le Rouge & le Noir" m'est apparu comme l'un des plus grands romans jamais écrits.

Pour être franche, je n'ai jamais très bien compris les reproches de "sécheresse" qu'on faisait au style stendhalien. C'est vrai que ce romantique se distingue avec éclat des délires hugoliens et qu'il n'a pas les tics irritants des auteurs de feuilletons comme Balzac. Avec lui, il n'y a pas non plus ces affreuses plongées dans le mélodrame larmoyant qui - à mes yeux en tous cas - décrédibilisent un roman aussi puissant pourtant que "Le Père Goriot." Bref, avec Stendhal, le lecteur contemporain s'y retrouve tout en sachant très bien, habileté suprême, qu'il a devant lui un auteur du XIXème.

La qualité majeure de Stendhal, c'est son art de conteur. Celui-ci ne doit jamais lasser, surtout pas s'il s'autorise des digressions. Et Stendhal, tout au long des 512 pages du Livre de Poche, ne lasse pas un seul instant. Ses descriptions, sans être minimalistes, vont droit à l'essentiel - et l'on sent en lui l'amour qu'il portait aux paysages franc-comtois. Son analyse des personnages est précise, "scalpellisée" et impitoyable. Paradoxe étrange, lui qui a imposé au moins deux types "romantiques" - Julien Sorel et Fabrice del Dongo - les a façonnés comme des êtres changeants, qui ne cessent d'évoluer.

Julien par exemple nous est tout d'abord montré comme une espèce de jeune arriviste dominé par la Haine. On peut ici utiliser la majuscule car Julien ne vit que pour haïr. Il flambe de haine : haine contre son père (et on la partage très vite !), haine contre ses frères (deux abrutis), haine contre la société sous le règne de Charles X (où régnait à nouveau la loi des castes que l'épopée napoléonienne avait envoyée au diable), haine de l'Autre de façon générale (car, ayant grandi dans un milieu qui ne le considérait que comme une machine à raporter quelque chose, Julien ne peut tout simplement pas concevoir qu'on puisse s'intéresser à lui par amitié ou amour). On finit même par se demander si Julien Sorel ne se hait pas lui-même ...

Il y a, chez ce garçon séduisant, intelligent, prompt à apprendre et désireux de se faire une place au soleil, une forme d'autisme terrible qui finira par le mener à sa perte - une perte que cet idéaliste forcené accueille pratiquement comme une délivrance. Mais en dépit des apparences, qui pourraient laisser croire que son caractère ne se modifie pas au cours du roman, Stendhal convie son lecteur à enregistrer de menus détails qui, un à un, le recomposent subtilement de façon telle que le Julien Sorel final est bien plus grand, bien plus "pur" et tout aussi vrai que le Julien Sorel du premier chapitre.

Autre exemple singulièrement frappant : le caractère entier et pourtant incroyablement instable de Mathilde de La Mole, laquelle paraît souffrir d'une exaltation proche de la maladie mentale.

Rappelons les grands traits de l'intrigue :

M. de Rênal, le maire de Verrières, une petite ville de Franche-Comté, veut à tout prix un précepteur pour ses trois fils. Non tant d'ailleurs pour les instruire que pour contrarier son grand rival, M. de Valenod, que le retour des Bourbon a tiré de la misère où il croupissait avec sa famille. Ayant entendu dire, par le curé Chélan, le plus grand bien du jeune Julien Sorel, le dernier des trois fils du menuisier local, Rênal lui propose la place et disons à la décharge du maire qu'il refusera de verser le salaire du jeune homme à son rapace de père.

Installé chez les Rênal, Julien, qui est ombrageusement fier et prend chaque mot, chaque regard qu'on lui adresse pratiquement pour une insulte, se met en tête de séduire la maîtresse de maison. Non qu'il l'aime mais parce qu'il estime que cela serait, chez lui, une marque de caractère et de courage.

L'inévitable arrive et, au grand étonnement de Julien (qui est souvent d'une naïveté extraordinaire quant à ses ressources personnelles), non seulement sa maîtresse semble vraiment tenir à lui mais lui-même éprouve envers elle un sentiment bien plus fort qu'il ne se le serait imaginé.

Mais les gens jasent, la chose est inévitable. Mis au courant par des lettres anonymes qu'il tente en vain d'ignorer, M. de Rênal est bien obligé d'évoquer ses soupçons. Les amants décident de ne plus se revoir et le curé Chélan expédie Julien au séminaire de Besançon.

C'est là que Julien se lie d'amitié avec le directeur, l'abbé Pirard. Comme celui-ci, homme intègre et rogue, est d'obédience janséniste alors que le reste du séminaire en tient pour les Jésuites, on ne saurait dire que le choix de Julien soit heureux. Pourtant, c'est par l'entremise de l'abbé Pirard qu'il va être mis en relation avec le marquis de la Mole, descendant de Boniface de La Mole qui, au XVIème siècle, avait été l'amant de la Reine Margot et qui, pour avoir tenté d'enlever Henri III et le duc d'Alençon, avait été condamné à avoir la tête tranchée en place de Grève.

Le marquis cherche un secrétaire et Julien entre dans la place. La Chance l'y attend mais ... saura-t-il la saisir ? ...

Même si l'on connaît l'issue fatale de ce roman, on est pris par le récit, on s'entête à y avancer pas à pas, on ne veut pas en perdre une seule virgule. De façon très moderne, Stendhal glisse dans son texte des monologues intérieurs qui plongent le lecteur dans l'esprit même du personnage visé. Et puis, cette description au petit point de la société française, provinciale comme parisienne, à la veille de 1830 est un vrai régal de cynisme et de férocité.

Stendhal, un auteur scolaire ? ... Non, un romancier : et un grand. ;o)

jeudi, juillet 12 2007

Yvette & autres nouvelles - Guy de Maupassant.

Par où commencer Maupassant ? Par ses nouvelles, c'est certain. Mais laquelle ? Il y en a tant et de si attachantes ...

Prenez "Yvette" par exemple, qui a aujourd'hui les honneurs de notre Calendrier. Son héroïne est la fille d'une demi-mondaine qui se fait appeler la marquise Obardi. En âge d'être mariée, Yvette vit désormais auprès de sa mère mais dans l'ignorance de la nature réelle des rapports que celle-ci entretient avec tel ou tel "financier." Aucune idée non plus de l'extrême cosmopolitisme qui est le propre de la société reçue à l'hôtel Obardi. Au sein de cet univers frelaté, Yvette conserve sa candeur.

Elle est bien entendu entourée d'une petite cour d'hommes jeunes - et moins jeunes. Et sa mère, à l'arrière-plan, échafaude des projets : à qui la "confiera-t-elle" ou même, éventuellement, la mariera-t-elle ?

Parmi les prétendants, se démarque Jean de Servigny, jeune nobliau fort sympathique mais plutôt viveur et cynique. Yvette l'obsède à tel point que, pour se retrouver débarrassé du chaperonage - léger mais bien réel - de la marquise Obardi, il entraîne avec lui son ami Saval, dans l'espoir que celui-ci, en devenant l'amant de la maîtresse de maison, fera se relâcher un peu la surveillance que celle-ci exerce quand même sur sa fille.

C'est justement la liaison qu'elle voit s'établir entre sa mère et Saval qui commence à ouvrir les yeux de la petite Yvette. Comme elle n'est pas sotte, elle finit très vite par se tenir, grosso modo, le raisonnement que Savigny lui-même avait exposé à son ami au tout début de la nouvelle : complètement déclassée par sa naissance, Yvette ne peut prétendre qu'à deux choses : ou la vie religieuse, ou la vie galante.

Avec l'exaltation et le jusqu'au-boutisme de son âge, Yvette cherchera néanmoins une troisième voie ....

Derrière l'intrigue amoureuse que Maupassant tisse entre Yvette et Savigny, se distingue une réflexion, plus sombre, plus grave, sur le destin des femmes que la misère et une société où elles n'ont pas vraiment leur place contraignent, si elles veulent s'en sortir, à se prostituer. C'est une réflexion récurrente dans l'oeuvre de Maupassant, comme celle sur les enfants naturels ignorés par leur père ou encore. Et c'est là que le romancier se fait social, à mi-chemin entre le social romanesque "de masse" si cher à Zola et le social confiné à la seule bourgeoisie de Flaubert.

C'est là aussi que, non sans un secret étonnement, on prend réellement conscience de la sensibilité quasi féminine de Maupassant. Nul, mieux que ce coureur de jupons qui jouait volontiers les machos sur la Seine, n'a sondé le coeur de la femme du XIXème : pas seulement la bourgeoise (grande ou petite) ou encore l'aristocrate mais aussi la paysanne, la détraquée, la handicapée même (dans cette admirable mais si triste nouvelle qui s'appelle "Berthe"), la prostituée ou la courtisane, la domestique ...

Quand Maupassant évoque le corps des femmes, c'est, bien sûr, pour le plaisir mais c'est aussi pour la peine, pour la douleur. La femme subit et Maupassant n'arrête pas de le marteler : elle subit dans son corps, elle subit dans son esprit, elle subit dans sa fortune, elle ne fait que subir. Le seul texte où l'auteur normand paraît hostile à la féminité, c'est celui où sont évoquées ces femmes qui, pour "vendre" plus tard des enfants contrefaits, se sanglent dans leurs corsets pratiquement jusqu'à l'accouchement, s'imposant un martyre volontaire pour engendrer des "monstres" qui sont en fait le garant de leur fortune. Et c'est tout. Maupassant a tant aimé les femmes que son oeuvre tout entière se dresse comme un hommage à leurs qualités comme à leurs défauts - défauts qui, bien souvent, nous rappelle-t-il, lui sont imposés par son désir de plaire à l'Homme.

En parallèle, on trouve l'amour immense du romancier envers les faibles, les opprimés, et les animaux, et ceci dans des nouvelles que l'on a du mal à relire tant la cruauté des dominants et la détresse des dominés sont dépeintes avec puissance et réalisme : c'est le cas pour "L'Aveugle" ou encore pour "Pierrot" - cette nouvelle-là, je ne conseille à aucun des amis des bêtes qui errent sur ce blog de la lire. Elle est admirable, elle démontre elle aussi la générosité profonde de l'auteur ... mais elle n'est qu'un long calvaire.

C'est tout cela qui, avec ce sens de l'écriture était le sien, contribue à faire de Guy de Maupassant un auteur tout-à-fait exceptionnel et confère à son oeuvre une richesse qu'on ne se lasse pas de découvrir et rédécouvrir.

mercredi, juillet 11 2007

Le Nécrophile - Gabrielle Wittkop

Née en 1920 à Nantes, Gabrielle Wittkop-Ménardeau s'est suicidée en 2002, choisissant, dit-elle, "de mourir comme j'ai vécu : en homme libre."

"Le Nécrophile", texte au demeurant fort bref, est la première de ses oeuvres que je lis. Ecrire qu'il s'agit là d'un texte dérangeant est faible, très, très faible. En gros, cela raconte, sous forme d'un journal, les "amours" d'un antiquaire nécrophile avec les cadavres qu'il va enlever aux cimetières. Tout lui est bon : hommes, femmes et même enfants. Le passage où il dépeint sa "rencontre" avec un nourrisson mort-né enseveli avec sa mère est indescriptible. Car, à la nécrophilie, s'ajoutent insidieusement la bisexualité (ce qui n'est pas un crime) et la pédophilie (qui l'est bel et bien). A ceci près que Lucien, le Nécrophile, est évidemment incapable de passer à l'acte avec un être vivant.

Attention : il n'y a ici nulle complaisance. C'est étonnant, même difficilement concevable et pourtant c'est ainsi. Lucien porte en lui très peu du personnage sadien (même si l'on songe bien entendu au "Divin Marquis" lorsqu'on lit ce roman) en ce sens que la violence lui est étrangère. Pas question pour lui d'agir comme le faisait le sergent Bertrand : il n'est que douceur et délicatesse et, lorsque les nécessités de la nature le contraignent à rendre ses amants et ses maîtresses à la Seine, il lui arrive de pleurer devant ce traitement, pour lui barbare, qu'il est bien obligé de leur infliger.

Nulle grossièreté, nulle vulgarité non plus dans le style, qui glisse et coule comme celui d'un Villiers de l'Isle-Adam ou d'un Edgar Poe. Simplement, comme elle est appartient au XXème siècle, Wittkop peut se permettre d'être plus explicite qu'ils ne l'étaient. Tout en effet est dépeint dans ses moindres détails. En dépit de ce tout et bien qu'il soit obligé de s'"accrocher" trois ou quatre fois, pris d'un début de nausée, le lecteur, fasciné et cherchant à comprendre, poursuit jusqu'au bout son étonnant chemin de misère où la notion de morale n'est pas même remplacée par celle de l'immoralité.

Pareille lecture n'est pas à recommander à n'importe qui. (A la fin du texte, si vous y parvenez, vous penserez peut-être ce que j'ai pensé - non sans soulagement : "Dieu merci ! maintenant, on incinère !" ...) Alors que, dans Sade, on se rend très vite compte que certaines choses sont impossibles, tout ici - sauf peut-être l'incroyable chance qui accompagne le nécrophile dans les cimetières parisiens - peut s'accomplir en toute logique. Avec cela, Wittkop ne juge pas : elle constate et tout laisse à penser - y compris la dédicace - qu'elle a connu une personne ressemblant comme un frère à son héros.

A noter que, dans l'édition Régine Desforges, le texte est suivi de "Nécropolis", un court essai sur la nécrophilie et ses "dérivés" comme le nécrosadisme, la nécrophagie, etc ... Tout cela très sobre et, je le répète, sans complaisance.

Gabrielle Wittkop-Ménardeau - 1920~2002

mardi, juillet 10 2007

Manon Lescaut - Abbé Prévost. ( II ).

Bien que l'intrigue soit assez dense, le texte est du genre bref - même pas 200 pages. A l'origine, il devait être inclus dans les "Mémoires et Aventures d'un Homme de Qualité ...", roman feuilleton avant la lettre de l'abbé Prévost. C'est en effet le héros de ces "Mémoires ..." qui, intrigué par ce cortège de captives surveillées par les archers du Roi et auprès desquelles chevauche un jeune homme accablé mais de mine aristocratique, profite de la halte de tout cet équipage dans la cour de l'auberge où lui-même se trouve de passage pour s'enquérir des raisons qui poussent le jeune cavalier à suivre les charrettes des déportées.

Deux ans plus tard, l'homme de Qualité retrouve le jeune homme et celui-ci lui raconte cette fois toute son histoire.

Tombé amoureux d'une jeune fille que sa famille voulait enfermer au couvent parce qu'elle manifestait trop de goût pour "le plaisir", Des Grieux l'enlève et, pendant quelques temps - celui de dépenser tout l'argent dont ils disposent - ils mènent joyeuse vie à Paris. Lorsque l'argent commence à se faire rare, Des Grieux se propose d'écrire à son père et de lui demander de l'aide. Mais sa compagne, Manon, accueille assez froidement cette idée et l'assure de la laisser faire. Résultat : peu de temps après, alors que Manon se met en ménage avec M. de B*, un riche fermier général, Des Grieux est enlevé et ramené par son frère aîné chez leur père.

Dégoûté - du moins le croit-il - Des Grieux se consacre à la soutenance de sa thèse en théologie. Hélas ! Manon, superbement parée puisque B* l'entretient sur un grand pied, assiste à cette soutenance et se fait reconnaître. Voilà Des Grieux aux pieds de sa maîtresse. Et, une fois de plus, tous deux décident de s'enfuir.

Avec les 60 000 francs que Manon avait réussi à mettre de côté sur la pension servie par B*, ils s'achètent une maison à Chaillot où ils vivent tout d'abord paisiblement. Mais Manon s'ennuie et ils prennent un pied-à-terre sur Paris, dans le quartier même où vit le frère de Manon, un aventurier sans scrupules qui s'incruste chez eux. La maison de Chaillot ayant brûlé et les pillards étant passés par là, Des Grieux se confie cependant à Lescaut pour trouver un moyen de regagner de l'argent. Il sait bien que, sans cela, il perdra à nouveau Manon. C'est ainsi qu'il se fait "chevalier d'industrie" - en d'autres termes, tricheur professionnel.

L'argent rentre mais fait bien des envieux et les domestiques du jeune couple s'enfuient avec leur linge et leur fortune. Tandis que Des Grieux ne sait plus à quel saint se vouer, Lescaut conseille à sa soeur de faire les yeux doux à un vieux viveur, M. de G ... M... Puis, de conseil en conseil, il convainc Des Grieux d'entrer dans le stratagème et de se faire passer pour leur frère, à lui et à Manon.

Et tout tourne mal. A vrai dire, Manon et Des Grieux ne cessent de tomber de Charybde en Sylla mais le lecteur impartial ne peut manquer de se dire bien souvent qu'ils y mettent beaucoup du leur par leur légèreté et leur égocentrisme.

Ce roman est étrange parce que, sous couvert de critique sociale (contre les moeurs de la noblesse et aussi de la bourgeoisie et, bien sûr, de manière plus voilée, contre le pouvoir en place) et en dépit de sa fin convenue (Manon meurt aux colonies et Des Grieux s'en sort puisqu'il est fils de bonne famille), il fait l'apologie du cynisme et, ce qui est pire, de la déresponsabilisation absolue. Des Grieux rejette toujours la responsabilité de telle ou telle faute pourtant grave (comme l'assassinat de l'un des guichetiers de Saint-Lazare) sur un tiers. C'est extrêmement désagréable et c'est sans doute ce qui me l'a rendu si antiphathique. ;o)

Manon Lescaut - Abbé Prévost. ( I ).

De l'"Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut", Montesquieu déclara qu'il ne fallait pas s'étonner qu'elle eût rencontré le succès puisque, bien qu'elle eût pour héros "une catin et un fripon", elle ne parlait en fait que d'amour. Mais même avec pareille caution et même si son auteur lui donne une fin édifiante, le récit, quoique parfaitement écrit en une langue élégante et souple, est frappe surtout par sa parfaite amoralité.

Certes, Des Grieux - que l'on nomme chevalier car il envisage d'entrer dans l'Ordre de Malte, comme d'ailleurs le Danceny des "Liaisons dangereuses" - est jeune et sans expérience. Certes, Manon est tout aussi jeune, jolie, gracieuse et sans grande cervelle. Certes, il l'aime d'un amour entier et exclusif tandis qu'elle, elle ne l'aime, dirait-on, que par à-coups, quand elle y songe.

Mais tout cela ne suffit pas à masquer l'incroyable égocentrisme dont ils sont animés.

Si l'on peut comprendre qu'une Manon Lescaut, née pauvre, soit fascinée par la richesse ; si l'on peut admettre qu'elle use, pour obtenir celle-ci, du seul moyen qui reste souvent aux femmes lorsque les autres leur manquent ; si l'on devine que, tout en ne mettant pas en doute la passion de Des Grieux à son égard, elle se défie de sa constance puisque, après tout, il lui est si supérieur par la position sociale que jamais il ne pourra la présenter à sa famille et lui garantir une stabilité sociale définitive, en revanche, on comprend mal le cynisme absolu avec lequel, dès lors qu'il a rencontré la jeune femme, Des Grieux ment à ses proches, leur mendie des secours non pour se refaire une santé, ainsi qu'il le leur promet, mais bel et bien pour récupérer sa maîtresse, se fait tricheur aux tables de jeu, feint plus d'une fois un repentir qu'il n'éprouve pas, s'échappe de Saint-Lazare en menaçant de mort le supérieur qui l'a pourtant beaucoup aidé dans cette prison, enfin n'a de cesse que sa volonté, avoir Manon pour lui, n'obtienne gain de cause en toute occasion.

En un sens, n'était la sincérité de l'amour qu'il porte à Manon, Des Grieux aurait beaucoup de points communs avec Don Juan. Don Juan, si amoral qu'il soit, n'est pourtant pas un faible. Alors que le héros de l'abbé Prévost, lui, l'est sans conteste. Manon le joue deux, trois fois mais, comme il le dit lui-même : "Elle pèche sans malice." Comme aveuglement (masochiste ?), on a rarement fait mieux. Du coup, Don Juan s'efface au profit d'un enfant gâté qui n'a aucune conscience de l'Autre.

dimanche, juillet 8 2007

Pot-Bouille - Emile Zola.

Cuisine cynique et petite-bourgeoise où les domestiques ne sont guère mieux que leurs maîtres, "Pot-Bouille", premier volet des aventures, dans la capitale, d'Octave Mouret , ce Rastignac des calicots, compte parmi les ouvrages les plus féroces d'Emile Zola. Pourtant, à l'époque, il fut assez mal accueilli et ses tirages n'eurent rien à voir avec ceux de "L'Assommoir."

L'intrigue est des plus simples : une vaste maison bourgeoise, des locataires ou propriétaires à chaque étage et, plus on se rapproche de l'étage des bonnes, plus le statut social des locataires s'effrite. Mais Zola ne nous dépeint pas que les portes de ces logements, cossus ou pas : il entre là-dedans, enquête, analyse, rapporte avec un humour et une férocité jubilatoires. Et pour finir, il lâche là-dedans celui par qui le scandale va se déchaîner, le jeune et sémillant Octave Mouret, arriviste aux dents longues qui finira, après avoir pris pour maîtresse la femme de son premier employeur, Auguste Vabre, par couler celui-ci en épousant sa concurrent directe, la belle Mme Hédouin.

Les types ici sont un mélange de Daumier et de Dubout tout bonnement exemplaire. On n'insiste jamais assez, je trouve, sur l'oeil de peintre qu'avait ce terrible myope de Zola. Ses personnages, le lecteur les discerne aussi nettement que s'ils venaient à sa rencontre : les bandeaux sages et les minauderies de Mme Juzeur, que l'on définirait aujourd'hui comme une allumeuse profondément inhibée ; la froideur défensive de Mme Duveyrrier qui, mal mariée, se console en offrant des réceptions auxquelles se presse tout l'immeuble et où, à chaque fois, elle brille au piano, sa passion ; son frère, Auguste Vabre, l'oeil toujours à moitié fermé par les migraines, qui épouse Berthe Josserand sur un coup de folie presque aussitôt regretté; l'autre frère, Théophile, un cocu magnifique qui trouve moyen de faire une scène de jalousie à sa femme au beau milieu de l'église, lors du mariage d'Auguste et de Berthe ; Valérie, son épouse, complètement détraquée par un mariage qui ne lui apporte aucune joie et qui court les amants à l'extérieur ; Duveyrrier lui-même, procureur austère qui se fait gruger par une maîtresse avant de mettre enceinte la malheureuse bonne des Josserand, Adèle (l'accouchement de celle-ci est l'un des plus affreux que j'aie jamais lus) ...

Et puis, bien sûr, il y a la tribu Josserand. La mère d'abord, interprétée au cinéma par Jane Marken et, à la télévision, par l'extraordinaire Françoise Seigner. Une mère abusive, obsédée par l'idée de marier ses deux filles, Berthe et Hortense, et qui, pressée par les frais que cette quête au mari impose, rogne sur tout lorsqu'elle se retrouve dans son intérieur. Hautaine, dominatrice, écrasante, elle méprise son mari, un faible employé de bureau qui se crève les yeux jusqu'à deux heures du matin pour copier des adresses et mettre ainsi un peu de beurre dans les épinards de ses filles. Ambiguë, elle irait, pense parfois le lecteur impartial, jusqu'à prostituer ses filles à leur oncle, son frère Bachelard, pour leur obtenir une dot. Indigne, elle rejette son fils, Saturnin, qui n'a pas toute sa tête et qu'elle finira par faire interner, quitte à le faire sortir de l'asile lorsqu'une parente lui lègue une petite fortune, pour lui faire signer une renonciation en faveur de ses soeurs. Tyrannique, elle compte les morceaux de sucre et terrorrise Adèle, sa malheureuse bonne, qui vient de Bretagne et qui, infiniment moins maligne que Bécassine, ne comprend même pas lorsqu'elle tombe enceinte des oeuvres de Trublot ou de Duveyrrier.

Au sein de toute cette boue qui monte de la loge des concierges - encore deux numéros infâmes, ces deux-là - jusqu'aux soupentes des bonnes où la pauvre Adèle accouchera seule et sans aide avant d'aller abandonner son enfant sous un porche, deux ou trois figures tentent de faire preuve d'humanité : le prêtre de St Roch qui rêve parfois à d'autres paroissiens, la petite Mme Pichon, première maîtresse d'Octave sur Paris et qui aidera Berthe lorsque celle-ci risquera de se faire coincer dans l'immeuble en flagrant délit d'adultère et enfin Trublot lui-même, noceur infernal qui préfère les bonnes aux bourgeoises mais qui, malgré tout, se risquera à aller prendre des nouvelles d'Adèle lorsque la malheureuse aura accouché.

Quant à Octave Mouret - et c'est probablement ce que voulait Zola à moins qu'il ne se soit pris d'amitié pour son personnage et n'ait décidé, ultérieurement à son plan, de le dépeindre ainsi - il laisse au lecteur une impression de sympathique canaille, arriviste et égoïste certes mais dans le fond tellement aimable qu'on ne peut guère lui en vouloir. ;o)

samedi, juillet 7 2007

Moïra - Julien Green.

Publié en 1950, "Moïra", à qui Green accorda à regrets le tréma afin de faire correspondre le prénom à sa prononciation irlandaise, est un sobre récit sur les dangers du sentiment religieux lorsque celui-ci est mal interprété. Autant dire que ce roman, bien qu'il ne parle évidemment pas de terrorisme, reste d'une redoutable actualité. C'est en effet un sentiment religieux mal compris, très mal ressenti et plus encore récupéré par des hommes de pouvoir qui rend notre monde si dangereux, cinquante-six ans après la parution du roman de Green.

Le héros de Green, Joseph Day, est un jeune protestant américain qui descend de ses collines natales pour entrer dans une université sudiste. Son but essentiel : apprendre le grec afin d'être plus près du Christ. (!!!) Mais évidemment, outre son cours de grec, il se voit contraint de prendre d'autres activités, dont un cours de littérature anglaise où Shakespeare et Chaucer (non-expurgés) tiennent le haut du pavé. Les réactions du jeune Joseph aux audaces de vocabulaire des deux Elizabéthains sont à la fois comiques et tragiques.

Cet homme qui n'affirme n'avoir d'autre préoccupation que son salut et celui des autres (il est fermement décidé à "sauver" des gens qui ne lui demandent rien) est en effet essentiellement hanté par le sexe et les femmes, chose ma foi ! des plus normales à son âge mais qu'il rejette comme il rejetterait Lucifer en personne venu pour le séduire.

Comme Joe possède lui-même un physique des plus avantageux, il se voit vite en but à une recherche homosexuelle, qu'il ne comprend pas tout d'abord, de la part de certains de ses condisciples. Dans les années 50 (songeons à la thématique homosexuelle de "La Fureur de Vivre" avec le personnage de Sal Mineo, amoureux transi de celui interprété par James Dean), les amours viriles ne sont guère appréciées aux USA. A fortiori dans ce Sud traditionnaliste en diable et qui paraît figé à jamais dans son passé de gloire et d'esclavage.

Mais seules les femmes, toujours les femmes, intéressent Joe. Tout au moins le croit-il et tout comme Paul Guéret dans "Léviathan", il finira par user du viol et du meurtre pour arriver à ses fins.

... Mais est-il bien hétérosexuel ? ...

Roman en demi-teintes, d'un style plus élagué, plus nu même que "Léviathan" et les oeuvres de la première période de Green, "Moïra" est un réquisitoire impitoyable et digne d'un Gide à l'encontre du sentiment religieux qui, lorsqu'il est mal compris et mal appliqué, n'engendre que refoulement, inhibitions et crimes. L'auteur y affirme entre les lignes que l'homosexualité est bien souvent une conséquence de cette horreur des femmes qui régit les sociétés patriarcales et qu'y maintiennent d'une main de fer prêtres et religieux.

S'il y a déviation, celle-ci est donc produite par l'homme et non par Dieu. Au contraire, à l'exemple de Joseph Day qui voudrait traiter tous les pécheurs "comme le Christ au Temple", la religion , revue et corrigée par les puritains de toutes confessions, devient une arme destructrice, trop préoccupée à flageller la chair pour ne pas crier au monde que, justement, c'est cette chair et non l'esprit qui la fascine.

L'un des passages les plus critiques du roman se situe dans les premiers chapitres, lorsque l'un des personnages dit à Joe (je cite de mémoire) que l'amour l'intéresse, comme tout le monde, et que, vu sa jeunesse, il aurait tort de culpabiliser. Or, Joe a cette réplique horrible : "Ce qui m'intéresse, c'est seulement la Religion."

Tout à fait comme si, pour les puritains de son espèce, l'amour n'avait rien à voir avec le sentiment religieux, encore moins avec le sentiment divin ...

- page 2 de 3 -