Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Littérature anglo-saxonne (sauf Irlande et USA).

Fil des billets

mercredi, octobre 24 2007

Le Golem de Londres - Peter Ackroyd. ( III )

George Gissing, que Ackroyd présente comme ayant épousé une prostituée. Il n'est pas difficile d'imaginer le scandale, à l'époque car Gissing était un gentleman.

Un peu plus sur George Gissing. (Oui, je sais, c'est en anglais : raison de plus pour rouvrir vos vieux livres de cours. ;o))

Le Golem de Londres - Peter Ackroyd. ( II )

Dan Leno (de son vrai nom George Wild Galvin) dans le rôle de Ma Mère l'Oie, à Drury Lane, dont il fut le directeur avant de mourir en 1904, probablement de la siphylis, à l'âge de 43 ans - De nos jours, il semble établi que, sur cette maladie endémique du XIXème siècle, se soit greffée une tumeur au cerveau, à l'origine du comportement souvent très excentrique de cet authentique génie de la scène cockney qui n'hésitait pas à se travestir, en tous cas sur les planches.

Dan Leno au naturel, avec en prime l'un de ses désopilants monologues sur Mrs Kelly.

Le Golem de Londres - Peter Ackroyd. ( I )

Dan Leno & The Limehouse Golem Traduction : Bernard Turle

C'est partagé entre deux impressions opposées que l'on sort de ce livre. Tout d'abord, on pense qu'il ne s'agit là que d'un petit roman qui conte le parcours d'un (ou d'une) psychopate dans le Londres victorien. Le style en est dense, très "XIXème" d'ailleurs mais sans recherches excessives : c'est du littéraire correct, de bon ton mais sans plus. Bref, on serait presque déçu. Et pourtant, on a envie de lire d'autres oeuvres de Peter Ackroyd.

Pourquoi ?

C'est que cet auteur a une façon tout à fait inhabituelle de traiter le Temps au travers de l'écriture. Une façon qui, sur le plan purement technique, n'est absolument pas extraordinaire et pourtant, si on se laisse porter, on n'est pas loin d'évoquer cette manière sociale qui était le propre des grands romanciers du XIXème, Zola en France ou Dickens en Grande-Bretagne. C'est puissant, solide et surtout - plus que chez Zola qui, sauf peut-être dans "La Joie de Vivre", s'est défié toute sa vie des interventions du "Ca" - c'est souterrain.

De plus, ce qui ne gâte rien, Ackroyd est visiblement un passionné d'Histoire et un être véritablement cultivé - un peu à la manière de Umberto Eco mais sans le côté latin de celui-ci.

Et l'intrigue, me direz-vous ? Eh ! bien, nous sommes en 1880, soit huit ans avant l'entrée en scène de Jack l'Eventreur, à Whitechapel. Un assassin invisible et insaisissable opère à Londres, dans une enclave de Whitechapel, Limehouse. Mais s'il tue tout d'abord une prostituée, il s'en prend ensuite à un vieil érudit juif et finit par massacrer toute une famille, pour faire pendant au meurtre de Mr et Mrs Marr et leurs enfants, qu'évoque Thomas de Quincey dans son célèbre "De l'assassinat considéré comme un des Beaux-Arts."

L'opinion publique a fini par donner à cet assassin le surnom de "Golem de Limehouse" et, pour le lecteur du XXème siècle, il y a de toute évidence rapprochement entre ce surnom et le roman de Gustav Meyrinck : "Le Golem", dans lequel cette figure d'une légende juive devient en fait l'âme du vieux Prague. Dans "Le Golem de Limehouse", c'est Londres qui est ici en vedette, plus précisément l'East End et sa misère, avec tout ce que la pauvreté peut inspirer (et imposer) d'horreurs à l'être humain.

Ackroyd alterne un récit à la troisième personne avec les passages d'un journal tenu par l'assassin présumé. En arrière-plan, de plus en plus envahissante, l'épouse de l'assassin, Elisabeth Cree, ancienne artiste de music-hall et partenaire de l'un des artistes les plus célèbres de l'époque : Dan Leno, qui officia même à Sandrigham, ce qui lui valut le surnom de "Bouffon des Rois."

Apparaissent aussi épisodiquement Karl Marx, Oscar Wilde, l'écrivain George Gissing (qui sera suspecté un temps), très souvent à la Bibliothèque du British Museum.

Toujours sous-jacents, le thème de l'homosexualité, affirmée ou pas, et celui de bl'identité sexuelle/b qui domine en fait l'intégralité du roman même si on ne s'en aperçoit pas tout de suite.

Un livre déconcertant qui est, à mon avis, de ceux qui méritent une relecture car il ressemble à ces tableaux qui paraissent ne pas représenter grand chose ou alors quelque chose de tout à fait banal, mais qui, si on les approche au plus près - si l'on is'enfonce /idans le tableau - révèlent une incroyable richesse. ;o)

jeudi, août 16 2007

Ma Vie de Geisha - Iwasaki Mineko & Rande Brown.

Geisha, a life Traduction : Isabelle Chapman

Bon, alors, comment dire ? ... Je vais être brutale : inutile de l'acheter si vous voulez le lire. Franchement, il ne vaut pas le détour : vite lu, vite oublié.

On pouvait cependant s'attendre à mieux pour un ouvrage censé avoir été écrit sur les indications de celle dont on a dit "qu'elle était la plus grande geisha de sa génération." Mais non : ni le charme, ni surtout la crédibilité ne sont au rendez-vous.

A lire cette prose qui fait parfois penser - est-ce un effet pervers de la double traduction, une première fois en anglais, une seconde fois en français ? - à celle d'une midinette (et encore une pas bien fine), le métier de geisha ne serait que fleurs et pétales de cerisiers.

Impasse est faite par exemple sur l'intérêt qu'avaient les parents de l'héroïne à vendre non pas une mais trois de leurs filles à l'okya Iwasaki. Idem pour le rite du mizuage.

D'autre part, la jeune Mineko aurait été traitée dès le départ dans l'okya comme une reine authentique : apprentissage doux où elle garde toujours à l'esprit que, de toutes façons, elle sera l'héritière de la maison.

Bien entendu, dans ce livre, les geishas n'ont pas de "protecteurs" déclarés et tout est pour le mieux dans le plus moral et le plus raffiné des jardins japonais.

Un conte de fées bien fade, sans aucune profondeur. Lisez plutôt : "Mémoires d'une Geisha" de Inoué Yuki ou encore "Le Miroir des Courtisanes" de Sawako Aryoshi.;o)

lundi, août 13 2007

Oiseaux, Bêtes & Grandes Personnes - Gerald Durrell.

]Birds, Beasts & Relatives Traduction : Léo Lack.

Parce qu'il n'avait pas tout raconté sur son enfance à Corfou et que sa famille l'avait, paraît-il :wink:, menacé d'un procès s'il complétait son récit, Gerald Durrell décida d'écrire "Birds, Beasts & Relatives", traduit en français sous le titre "Oiseaux, bêtes et grandes personnes."

La famille Durrell n'a pas changé ou fort peu : Larry, l'aîné, aime toujours l'écriture, le whisky, les originaux un peu dingues et aussi le fait de se sentir incompris ; Leslie est toujours aussi amoureux de la chasse et des sports ; entre ses recettes de cuisine et son jardinage, Mère est toujours un ange de patience. Et si Margo fait - peut-être - un peu moins de régimes pour son acné, Gerry, le petit dernier, est toujours animé par la même volonté farouche de remplir la maison de specimens à la fois rares et instructifs de la faune et de la flore corfiotes.

Autour d'eux, les personnages secondaires sont eux aussi fidèles à leur image : Spiro sauve Leslie des griffes de la justice locale en pratiquant une corruption éhontée ; Lugaretzia, la bonne des Durrell, appelée à témoigner contre ses patrons, prend tous les saints grecs à témoin de la malhonnêteté du paysan qui ose poursuivre Leslie devant la cour ; Théodore Stephanidès distille ses histoires pétillantes d'humour et puis, de nouvelles têtes font leur apparition.

Sven, tout d'abord, un sculpteur homosexuel en plein chagrin d'amour. Puis Max et Donald (sont-ils homosexuels ? ma foi, on n'en sait rien mais ils vivent ensemble) et enfin l'inénarrable capitaine Creech dont l'hétérosexualité débridée ira jusqu'à prendre pour cible une Mrs Durrell absolument furibonde. Tous bien entendu sont des connaissances de Larry Durrell. Ne pourrait-on voir d'ailleurs dans cette passion de l'aîné pour les excentriques de tout poils une préfiguration de l'intérêt de naturaliste qui caractérise son petit frère ?

Les descriptions de l'île, de ses animaux et de ses plantes sont toujours magnifiques. Seul bémol : le livre s'achève sur la déclaration de guerre, en 1939 et cela confère à l'ensemble une douce note nostalgique, celle des années à jamais enfuies et qu'on ne peut revivre qu'en les fixant à jamais dans l'encre et le papier. ;o)

samedi, août 4 2007

Féeries dans l'Ile - Gerald Durrell.

My Family & Other Animals Traduction : Léo Lack

J'ai fait la connaissance de la famille Durrell alors que je devais avoir 9-10 ans et par l'intermédiaire de "Télé-7-Jours", revue de programmes télévisés qu'achetaient mes parents et qui, dans les années soixante-dix, publiait régulièrement un feuilleton en encart. Chaque semaine, je recueillais précieusement ces pages spéciales et j'ai longtemps conservé celles de "Oiseaux, Bêtes & Grandes Personnes", autre ouvrage où le naturaliste Gerald Durell met en scène les membres de sa famille.

Je me rappelle encore combien je m'étais amusée à dévorer ce livre qui me dépeignait une île de Corfou chaleureuse et un peu folle, avec de superbes promenades dans la nature et quelques unes des plus belles descriptions du monde animal que - je m'en rendis compte plus tard - j'aie jamais lues. Le tout abondamment saupoudré d'humour et de pittoresque.

Quelques années plus tard, j'appris que l'auteur avait également produit "Féeries dans l'Ile", en anglais : "My Family and other animals" - qui, logiquement, se situe avant "Oiseaux ..." Et je finis par me le procurer chez J'ai lu.

Avec le temps, l'édition d'"Oiseaux, Bêtes & Grandes Personnes" comme celle de "Féeries dans l'Ile" disparurent de ma bibliothèque car j'eus le tort de les prêter.;o( A ce jour, je n'ai pu retrouver le premier - mais je n'ai pas renoncé, les bouquinistes en sont témoins. Le second, je l'ai débusqué chez les Chiffonniers d'Emmaüs, dans une édition vieillie de "La Guilde du Livre" sur laquelle je veille avec l'amabilité d'un pittbull atteint d'arthrose.

Dès le premier chapitre, sobrement intitulé "La migration", on entre de plein pied dans une famille Durell accablée par la maladie : l'un a les oreillons, l'autre une crise d'acné, le troisième enfin un rhume épouvantable. Tous sont alors en Angleterre où, bien que le mois d'août soit en vue, le temps est complètement pourri.

Je vais laisser ici la parole à Gerald Durrell qui, mieux que personne, vous donnera l'idée exacte du ton (inimitable) qu'il a su insuffler à son livre :

... ... " Il est temps de faire quelque chose ! (dit Larry.) Comment veux-tu que j'écrive une prose immortelle dans cette atmosphère ?

- Oui, mon chéri," dit Mère d'un air vague.

- Ce dont nous avons tous besoin," dit Larry, revenant à ses moutons, "c'est de soleil ... d'un pays où nous puissions nous épanouir.

- Oui, mon chéri, ce serait bien agréable," dit Mère, qui ne l'écoutait pas.

- "J'ai reçu ce matin une lettre de George ... Il dit que Corfou est merveilleux. Pourquoi ne pas partir pour la Grèce ?

- Oui, mon chéri, si tu veux," dit Mère dans un moment d'inattention.

(Lorsqu'il s'agissait de Larry, Mère évitait généralement de se compromettre.)

- "Quand ?" demanda Larry, assez surpris de cette approbation.

S'avisant qu'elle avait commis une erreur tactique, Mère posa sur ses genoux les "Recette faciles d'après Rajputana."

- "Eh ! bien, tu pourrais peut-être partir avant, mon chéri, pour préparer les choses. Tu m'écrirais pour me dire si c'est agréable et nous te rejoindrions."

Larry lui jeta un regard foudroyant.

- "Tu as déjà dit ça quand j'ai suggéré d'aller en Espagne, et j'ai passé deux mois interminables à Séville, à attendre ta venue. Non, si nous allons en Grèce, allons-y tous ensemble.

- Vraiment, tu exagères," dit Mère d'un ton plaintif. "En tous cas, je ne puis partir ainsi. Il faut que je prenne des dispositions au sujet de la maison.

- Des dispositions ? quelles dispositions ? Tu n'as qu'à la vendre.

- C'est impossible, mon chéri !" dit Mère, scandalisée.

- "Pourquoi ?

- Mais je viens de l'acheter !

- Eh ! bien, vends-la pendant qu'elle est encore intacte.

- C'est ridicule, mon chéri," dit Mère avec fermeté, "et absolument hors de question. Ce serait une folie."

Nous vendîmes donc la maison et, telle une bande d'oiseaux migrateurs, prîmes la fuite, loin du lugubre été anglais. ... ..."

Pas un instant, ni le rythme de l'action, ni le sens de l'humour ne faiblissent tout au long de ces 280 pages parmi lesquelles, au gré de ses préférences, on retiendra soit l'"attaque" de Larry Durrell (futur auteur du "Quatuor d'Alexandrie" et grand ami de Henry Miller et d'Anaïs Nin) par une maman scorpion enfermée dans une boîte d'allumettes avec tous ses bébés par un Gerry déjà animé d'une ardeur de chercheur, soit le saccage de la chambre de l'écrivain par les Pilles, soit la description malicieuse des amis "artistes" du même Larry débarquant à la Villa Jonquille, soit encore l'évocation des différents "précepteurs" que le souci d'une éducation bien menée poussa Mrs Durrell à donner au plus jeune de ses enfants.

Avec cela, une foule de personnages dits "secondaires" mais que le lecteur n'est pas près d'oublier : Spiro, le chauffeur de taxi qui se posera très vite comme le mentor des Durrell à Corfou ; Lugaretzia, la bonne hypocondriaque, toujours prête à raconter ses problèmes intestinaux ou gastriques, Théodore Stéphanidès, le botaniste lunaire aux mille et une histoires farfelues sans oublier les animaux eux-même : Quasimodo le pigeon, Achille la tortue, les deux abominables Pilles, toujours à l'affût d'un mauvais coup, Geronimo le gecko, Roger, Widdle et Puke (les chiens de Gerry) face à Dodo (la chienne de Mère) plus les innombrables araignées, insectes et autres larves dont l'étude minutieuse comble de joie le jeune Gerry pratiquement depuis le berceau.

Un livre à relire si vous avez la chance de le posséder. Sinon, courez l'acheter : la déprime ne saurait résister à un pareil antidote. ;o)

jeudi, août 2 2007

Crime par Ascendant - Ruth Rendell.

The Blood Doctor Traduction : Johan-Frederik Hel-Guedj

En dépit de quelques longueurs et de pas mal de complexités qui peuvent rebuter le lecteur lambda, "Crime par Ascendant" est un roman passionnant que l'on dévore d'un bout à l'autre bien que, on le sent tout de même, nous soyons loin avec ce livre d'un crime classique.

Comme dans "Le Journal d'Asta", c'est un peu comme si Rendell affinait la définition du mot "meurtre." Je m'explique : un parent qui abuse sexuellement de ses enfants ne les "tue" pas au sens physique du terme ; mais il tue pourtant en eux quelqu'un qui ne ressuscitera plus jamais au cours de leur vie d'adulte. Pourtant, même si la loi reconnaît ce parent passible d'un crime dans le cas où il se fait prendre, elle ne saura le condamner pour meurtre.

Et pourtant, il s'agit bel et bien d'un meurtre.

Dans le cas de Henry Nanther, médecin ordinaire de la reine Victoria et spécialiste de l'hémophilie, c'est d'un crime moral ou spirituel qu'il s'agit, doublé au moins d'un crime physique qui cependant aurait pu être très difficilement jugé devant une cour.

Pas d'inceste cependant, pas d'agression sexuelle. Il semble bien qu'Henry ait été porté sur les hommes plus que sur les femmes mais ce victorien exemplaire était aussi un terrible refoulé. Sa vie sexuelle est celle de tout gentleman bien né de l'époque : une maîtresse qu'on entretient et que l'on abandonne lorsqu'on se marie, une épouse fidèle et une flopée d'enfants. Et puis le travail, la situation sociale - pour lui privilégiée.

Henry n'a guère aimé ses filles mais il mourut après le coup fatal que lui porta le décès du dernier de ses fils, George. De quoi le jeune garçon est-il mort justement ? Tout le problème est là.

Très lentement, la vérité va s'imposer à son descendant direct, Martin, quatrième lord Nanther, qui a entrepris de rédiger sa biographie. Une vérité qu'il a tout d'abord bien du mal à distinguer puisque, en parfaite harmonie avec le siècle où vécut "le docteur sanglant", elle apparaît tout d'abord surchargée de détails plus ou moins auxiliaires, semblables à ces bibelots et à ces ramasse-poussière dont les intérieurs victoriens se trouvaient envahis.

Peut-être le lecteur comprend-il avant Martin mais le plaisir d'une intrigue bien menée reste tout de même au rendez-vous de ce livre qui tient plus du roman psychologique classique que du roman policier. ;o)

mercredi, août 1 2007

Le Patient Anglais - Michael Ondaatje (Canada).

The English Patient Traduction : Marie-Odile Fortier-Masek

Je suis extrêmement déçue par cette lecture. Enfin, déçue n'est peut-être pas le mot exact. Plus précisément, je me demande pourquoi l'on a attribué le Booker Prize à ce roman où pointent çà et là de beaux éclats de poésie mais qui est, pour le reste, d'une lourdeur désespérante que l'auteur tente en vain de dissimuler sous une désinvolture tout à fait superficielle.

Nous sommes en 1945, dans un couvent italien jadis réquisitionné par les Allemands, puis par les Alliés et où une jeune infirmière d'origine canadienne, à peine âgée de 20 ans, veille sur un Anglais gravement brûlé et dont personne ne connaît l'identité. Un vieil ami de la jeune fille et du père de celle-ci, David Caravaggio, soupçonne cependant le blessé d'avoir été un espion à la solde des Allemands.

Dans ce monde qui hésite encore à se reformer et où n'est pas encore tombée la nouvelle d'Hiroshima - rassurez-vous, ça viendra à la fin - débarque un sapeur sikh, Kirpal Singh, que tout le monde surnomme Kip, et avec lequel la jeune femme a une liaison.

Des considérations s'échangent sur le monde d'avant-guerre, sur la passion pour le désert qui fut celle du grand brûlé, sur l'amour de celui-ci pour l'épouse d'un espion britannique ... Tout cela mené, à mon goût, bien trop mollement, une touche par ci, une touche par là, ce qui n'est pas une mauvaise méthode à condition toutefois que le maître d'oeuvre parvienne à nous faire croire à la profondeur de son intrigue.

Or, ce n'est pas le cas ici, bien au contraire.

Peut-être ses autres livres sont-ils supérieurs à ce roman ? Ce ne sont pas toujours les meilleurs, hélas ! qui remportent les prix.

Et vous, avez-vous lu Ondaatje et son "Homme flambé", autre titre de ce "Patient anglais" ? Et qu'en avez-vous pensé ?

mardi, juillet 31 2007

Les Nouvelles Confessions - William Boyd.

The New Confessions Traduction : Christiane Besse

Né au Ghâna mais d'origine écossaise et de nationalité anglaise, William Boyd appartient sans conteste à cette catégorie de romanciers qui peuvent se flatter d'être des "faiseurs de mondes" autant que le furent Dickens ou Balzac.

A l'origine des "Nouvelles Confessions", la lecture des "Confessions" de Rousseau qui sera, pour John James Todd, prisonnier des Allemands pendant la Grande guerre, une bouffée d'oxygène telle qu'elle en marquera le reste de son existence.

C'est un peu par hasard que John a devancé son appel en 1917. Il fuyait en fait certaines déceptions affectives qui constituent le tout début du roman. Après une montée au front où l'essentiel de son unité se fait descendre dans des conditions aussi horribles que vous pouvez l'imaginer, il se retrouve au service cinématographique de l'armée, ce qui sera le point de départ de sa carrière professionnelle. John James Todd est en effet appelé à devenir l'un des plus grands - et des plus malchanceux - maîtres du muet. Fidèle à Jean-Jacques, c'est sur l'oeuvre majeure de celui-ci qu'il bâtira sa réputation et son chef-d'oeuvre : "Les Confessions - Première partie."

Pourquoi "Première partie" ? Parce que, tout comme dans les oeuvres d'un Stroheim ou d'un Abel Gance, les exigences du metteur en scène ne cessent d'allonger les délais et, partant, le coût de la production. Cette soif de perfection sera la malédiction de Todd puisque ces lenteurs et ces retards feront sortir son film au moment même où "Le Chanteur de Jazz" crève l'écran.

D'Edimbourg à l'Espagne, de la République de Weimar à la Chasse aux sorcières de l'Amérique des années 50, le reste de la vie de notre héros est à l'avenant. Pourtant, le lecteur ne peut s'empêcher de sourire et même de rire bien souvent, tant le romancier distille d'humour dans cette "auto-biographie fictive" alerte aux personnages riches et au style fluide.

Bref, si vous n'avez jamais entendu parler de William Boyd, c'est le moment de le découvrir. ;o)

lundi, juillet 30 2007

Emma - Jane Austen.

Emma Traduction : Josette Salesse-Lavergne

Après avoir eu un peu de mal à entrer dans ce roman, le plus ambitieux de Jane Austen, je viens d'achever de le dévorer aujourd'hui et je ne suis pas loin de lui conférer la première place devant "Orgueil et Préjugés" ou encore "Persuasion."

Le style est toujours aussi austenien, aussi serré, curieux mélange entre ce que nous donneront le XIXème siècle commençant et le XXème encore dans les limbes. La construction est soigneusement agencée et, si l'on tient compte de l'époque à laquelle ce texte est né, il n'y a, en fait, aucune longueur superflue. Une fois de plus, nous sommes dans la campagne anglaise, un petit village sympathique dénommé Highbury avec ses hobereaux et sa petite bourgeoisie. Et une fois de plus, le thème choisi est l'amour, le mariage. Toutes proportions gardées et à la mode anglaise, on pourrait y voir une forme de marivaudage.

Emma Woodhouse, l'héroïne, est une jeune fille intelligente, sensible et dotée d'un sens aigu des convenances sociales. Elle souffre d'une manie assez rare à son âge : elle prétend marier les autres et non se marier avant les autres. Au tout début du roman, elle persuade sa toute nouvelle amie, Harriet Smith, de refuser la demande en mariage d'un prétendant qui, selon elle, lui est inférieur (il s'agit d'un gros fermier) et d'orienter ses batteries sur le jeune et fringant vicaire, Mr Elton.

Là-dessus, viennent se greffer des intrigues secondaires que j'aurai garde de révéler car cela gâcherait le plaisir du futur lecteur. Qu'il sache seulement que cette diversité dans les actes et les caractères permet à Jane Austen de faire le point sur tous les défauts qu'elle reprochait déjà à la société dans ses romans précédents : compartimentation sociale trop étanche, abaissement de la femme si celle-ci n'a ni fortune, ni mari, inégalités confondantes entre le statut de l'homme et celui de la femme, etc ...

Mais jamais Austen n'a été aussi puissante, aussi cinglante, aussi féroce - aussi violente même. Son ton évoque ici celui, froid et tranquille, d'une personne extrêmement courtoise qui, sans perdre son sang-froid, inflige à ceux qu'elle déteste toute une pluie de critiques acérées, les enchaînant avec une parfaite maîtrise les unes à la suite des autres.

Oui, décidément, "Emma" est bien le meilleur roman de Jane Austen. :polichap:

PS : mais l'adaptation de ce roman que j'ai vue par hasard hier au soir sur "Arte" ne m'a en revanche pas convaincue. Une histoire de post-sychronisation peut-être ? Ou alors, j'imaginais Emma moins translucide que Gwyneth Paltrow.

dimanche, juillet 29 2007

Le Médecin de Lord Byron - Paul West.

]Lord Byron's Doctor Traduction : Jean-Pierre Richard

Pendant l'été 1816, lord Byron et son médecin, John W. Polidori rencontrent, sur le lac Léman, Percy Shelley et sa compagne, Mary Woolstonecraft, lesquels voyagent avec la demi-soeur de Mary, Claire. Lors d'une soirée passée à la postérité, les membres du groupe décident d'écrire chacun sa propre histoire de fantômes. Sur les cinq personnes en présence, seuls Mary Shelley, avec "Frankenstein", et Polidori, avec "Le Vampire", tiendront parole.

La descendance littéraire et cinématographique du premier roman n'est plus à prouver. Quant au second texte, plus nouvelle que roman, il passe aujourd'hui pour avoir posé le premier l'archétype du vampire avant que Bram Stoker ne le parachève avec son "Dracula."

Sur cette base éminemment littéraire, Paul West a construit un banal roman plus pornographique (à mon sens, mais je suis une femme) qu'érotique. Au mieux, "Le Médecin de Lord Byron" rappelle le Lucien Bodard de "La Vallée des Roses." Au pire, il évoquerait certaines oeuvres si chères à Restif de La Bretonne.

West imagine qu'un éditeur britannique propose 500 livres à Polidori afin que celui-ci tienne son journal pendant tout le voyage qu'il est censé accomplir avec lord Byron jusqu'en Italie. Polidori accepte et c'est donc ledit journal qui est restitué au lecteur. Byron y est représenté comme une espèce de Priape bisexuel, avec lequel Polidori entame très tôt une relation ambiguë. Le brusque renvoi de Polidori par le poète anglais est expliqué par un amour homosexuel que Byron, pour une fois réellement amoureux, ne voudrait pas concrétiser. Le suicide de Polidori serait dû quant à lui à la solitude amoureuse dans laquelle le jeune homme se serait retrouvé, loin de Byron, en dépit de ses nombreuses aventures (dont une liaison avec Claire, l'ancienne maîtresse de Byron).

Le style, enlevé et parfois poétique, sert malheureusement d'écrin à des scènes sexuelles que j'ai trouvées quant à moi très banales et extrêmement lassantes. Comme disait Talleyrand, "en tout, l'excès est nuisible." Nous sommes loins, bien loin d'un Henry Miller.

Bref, je ne relirai pas West de si tôt, d'autant que le roman qu'il a consacré à Jack l'Eventreur reprend l'hypothèse absurde de la culpabilité de l'un des fils de Victoria et de celle de son médecin, le Dr Gull. Si ça vous tente, vous pouvez essayer. Sinon, passez au large : vous n'y perdrez pas grand chose. ;o)

samedi, juillet 28 2007

Vices Privés, Vertus Publiques - Robin Cook (Grande-Bretagne).

Public parts, private places Traduction : Jean-Paul Gratias

Ce patronyme semblant assez répandu dans le monde anglo-saxon, sachez d'ores et déjà que l'auteur de "Vices Privés, Vertus Publiques" n'avait rien de commun avec son homonyme américain, auteur de thrillers médicaux comme "Virus" ou "Toxines" pas plus qu'avec un troisième Robin Cook, lui aussi décédé, et qui fut, celui-là, adversaire acharné de Tony Blair au sein même du Labour.

Sur le Robin Cook qui nous intéresse, voyez ici.

"Vices Privés, Vertus Publiques" s'en prend violemment aux tenants de l'establishment britannique.Ce n'est pourtant pas sans une nostalgie secrète que Cook le démocrate se remémore l'ancienne gentry anglaise, celle de l'Empire colonisateur certes mais celle qui, malgré tout, possédait encore une dignité que les nouveaux riches de l'après-guerre n'ont jamais pu - ni ne pourront jamais - s'acheter.

C'est à cette société en voie d'extinction qu'appartiennent lord Michael Mendip et son cousin, l'Honorable Viper. D'une sensibilité d'écorché vif, éperdument altruiste, Mendip survit à la disparition des revenus familiaux grâce au travail que son cousin lui fournit dans les librairies spécialisées qu'il possède à Soho.

Comme de juste, Viper est l'opposé de Mendip. Ce n'est pas qu'il soit incapable de compassion ou de bonté. Simplement, il a compris depuis longtemps que, dans le monde des affaires, cela n'est pas de mise. Plus ou moins rejeté par sa famille à sa majorité, il a mangé de la vache enragée avant de s'engager dans la voie d'un arrivisme cynique. Désormais amant en titre de Germaine Eriksen, femme d'affaires aveugle et fortunée, il s'occupe tranquillement à amasser son deuxième million de livres. (Sauf erreur de ma part, c'est le même Viper que l'on retrouvera dans "La Rue Obscène.")

Débarque un jour, dans la librairie porno gérée par Mendip, un Grec d'un certain âge, à la recherche de "photos d'art" posées par la propre cousine des deux aristocrates plus ou moins déchus, Lydia Quench. Et c'est, pour Cook, le début d'une description minutieuse et désespérée de la décadence d'une caste.

Bien qu'on n'y croise pas, à proprement parler, de meurtrier, "Vices privés ..." est un roman très noir qui se termine très, très mal, dans une espèce de violence paroxystique. Si l'on excepte Mendip, Viper et sans doute le majordome Forlock, une folie sourde accable les protagonistes. Folie amoureuse en la personne de sir John Odion, amoureux malheureux de Lydia. Folie auto-destructrice chez cette dernière. Folie de meurtre alimentée par l'impuissance sexuelle et sociale chez celui qui la bat à mort. Folie haineuse et rampante chez Béatrice, la soeur de Lydia, qui s'est inscrite au PC et qui, lorsqu'elle réside en la demeure familiale, se fait une obligation de prendre son repas avec les domestiques - au grand scandale de ceux-ci, d'ailleurs. Et folie froide enfin de l'égoïsme chez lady Quench, leur mère.

A l'arrière-plan, leur père, désormais paraplégique, se souvient de sa propre folie d'ignorance et n'aspire plus qu'à mourir puisque la connaissance qu'il possède désormais du besoin d'amour des autres en général et de ses filles en particulier, il lui est désormais impossible de l'exprimer.

Un parfait roman "cookien." ;o)

vendredi, juillet 27 2007

La Vierge dans le Jardin - A.S. Byatt.

The Virgin in the Garden Traduction : Jean-Louis Chevalier

Ce volume est le premier tome d'une tétralogie qui se poursuit notamment avec (dans l'ordre chronologique) "Still Life" et "Tower of Babel" (le quatrième et dernier volume n'était pas encore paru, il me semble, en français.) Bien qu'on y retrouve des personnages récurrents dont l'héroïne, Frederica Potter, en qui on serait tenté de découvrir un double de l'auteur, chaque volume peut se lire séparément. A.S. Byatt aimant cependant les mises en abyme et possédant par ailleurs un style très dense, mieux vaut, à mon sens, respecter la chronologie.

Car la Frederica que nous allons découvrir dans "La Vierge dans le Jardin" est encore mineure : elle a à peine 17 ans. Elle est la fille d'un universitaire caractériel, William Potter, et de son épouse, la douce mais énergique Winifred. Et elle est "coincée" entre sa soeur aînée, Stéphanie et son jeune frère, Marcus.

Les trois enfants Potter ont ceci en commun d'avoir remporté et de continuer à remporter en cours des notes plus que brillantes. Stephanie rêve cependant de s'émanciper de la lourde atmosphère de la maison familiale tandis que Marcus, quasi mutique et asocial, ressemble à l'un de ces étudiants qui, dans certaines nouvelles de Lovecraft - un passionné de mathématiques, lui aussi - ont des "visions géométriques" aboutissant à des mondes parallèles - ou à la folie.

Federica partage également avec sa soeur un important béguin envers Alexander Wedderburn, collègue de son père sensiblement plus jeune et surtout dramaturge qui, au début du roman, vient de terminer une pièce en vers sur Elisabeth Tudor. Nous sommes en 1952 et l'Angleterre tout entière ne respire plus que dans l'attente du couronnement de l'autre Elizabeth, la seconde, la Windsor : belle occasion pour l'université de commémorer les deux événements en faisant représenter la pièce d'Alexander au château de Long Royston, qui appartient à un hobereau local, Malcom Crowe, désireux pour sa part de revaloriser sa propriété.

Le pivot de "La Vierge ...", autour duquel va s'organiser une tragi-comédie aux multiples épisodes, c'est cette pièce, où Frederica obtient le rôle d'Elizabeth jeune fille. Et l'on pourrait, avec un peu d'imagination, imaginer le branle donné par tous ces personnages, principaux et secondaires, cette espèce de pavane comme en connaissaient les bals du XVIème siècle.

Alexander voudrait bien s'intéresser à Frederica mais celle-ci est mineure et vierge. En outre, il s'est fourré dans une liaison avec la femme d'un collègue, Jennifer Parry. Frederica voudrait bien perdre sa virginité qu'elle tient pour un obstacle majeure à la vie de liberté dont elle rêve. Stéphanie n'en peut plus de supporter les scènes familiales et, bien qu'elle n'ait jamais supposé que la chose pût lui arriver, elle tombe amoureuse de Daniel Orton, le vicaire du prêtre local. Marcus se croit frappé de folie jusqu'au jour où Lucas Simmonds, l'un de ses professeurs, lui assure qu'il a au contraire un don surhumain qui permettra enfin à l'être humain de sublimer la matière. Tout autour, un cercle d'étudiantes et d'étudiants, de comédiens amateurs et professionnels, les images en noir et blanc du couronnement d'Elizabeth II que tous vont contempler dans un silence quasi religieux et bien d'autres choses que je vous laisse le plaisir de découvrir.

Comme toujours, A.S. Byatt coud solide et profond. Son érudition accompagne et encourage le lecteur à chaque page. Seule réserve : les lecteurs qui ne s'y connaissent pas trop en Histoire anglaise seront peut-être rebutés. En d'autres termes, si vous êtes déjà un "byattomaniaque", cet ouvrage sera pour vous un régal ; sinon, vous n'y comprendrez pas grand chose et vous risquez de vous lasser avant la fin - qui n'est d'ailleurs qu'une fin parmi tant d'autres possibles.

En ce qui me concerne, malgré quelques longueurs, je l'ai trouvé si passionnant que je compte me procurer un de ses jours "Still Life" (dont je ne connais pas le titre français) et où se poursuivent les aventures de Frederica, personnage tout à tour comique, exaspérant et touchant. ;o)

mercredi, juillet 25 2007

Persuasion - Jane Austen.

Persuasion Traduction : André Bélamich

Eclairons tout d'abord le titre. Quand Henry, le frère de Jane Austen, le fit publier peu après la mort de sa soeur, il choisit le mot anglais "Persuasion", par référence probable à "Orgueil et Préjugés" puisque, dans la langue de Shakespeare, "persuasion" désigne surtout une idée préconçue, une conviction. Alors que notre "persuasion" française n'a plus grand rapport avec cela. D'ailleurs, le titre provisoire que la romancière avait trouvé à son dernier manuscrit était : "Ann Elliott ou l'Ancienne inclination", ce qui est tout autre chose.

Quoi qu'il en soit, ce dernier opus est d'une délicatesse achevée et l'on peut imaginer Henry James se pâmant en le lisant. L'héroïne, que sa créatrice jugeait parfois "trop bonne", est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. En apparence en effet, Ann est un personnage soumis, presque gris, qu'a toujours écrasée la volonté des autres. A commencer par celle de son père et de sa soeur aînée, la très brillante (et très snob) Elisabeth Elliott. Obsédés par le titre de baronnet de sir Elliott, ces deux-là jugent avec tant de hauteur les fortunes et les soupirants qui se présentent qu'il ne faut pas s'étonner de voir Miss Elliott encore fille à l'âge - pourtant respectable à cette époque - de 27 ans.

C'est dans la même optique que, huit ans plus tôt, tous deux avaient fait pression sur Ann pour que celle-ci déclinât la proposition de mariage du capitaine Wentworth, jeune officier de marine qui n'avait pour lui que sa valeur morale. Ils avaient été aidés dans leur entreprise par lady Russell, la marraine d'Ann, femme pourtant sympathique et à dix mille lieues des prétentions de Sir John et de son aînée, mais qui avait elle aussi pensé à l'époque que sa préférée pouvait prétendre à mieux.

Les années passant et Sir Elliott et son aînée se refusant à réduire leur train de vie, les voilà contraints de louer leur propriété et de s'exiler à Bath. Le père et sa favorite s'exilent les premiers, laissant Ann chez Mary, troisième et dernière des soeurs Elliott et la seule à ce jour à avoir fait un relatif beau mariage.

Bien entendu, de concours de circonstances en hasard plus ou moins heureux, Ann va retrouver le capitaine Wentworth sur sa route ...

Si Austen revisite à sa façon le thème Cendrillon, elle ne s'en fait pas moins acerbe et dure dans la vision qu'elle donne d'une société où seule compte la sauvegarde des apparences - et de sa fortune. Peu importe par exemple que le cousin des Elliot, qui doit plus tard récupérer le titre de Sir John en raison d'une entente juridique nommée entail, ait fait un premier mariage fortuné mais sans amour dans l'unique but de bien asseoir ses revenus personnels : bien que la chose soit de notoriété quasi publique, tout le monde s'attend bien à ce qu'Ann agrée sa demande. Soit, ce gentleman s'est vu forcé à un mariage de raison par les circonstances. Mais maintenant qu'il est veuf et riche, n'est-il pas logique qu'il choisisse sa deuxième épouse parmi les filles de l'homme dont la mort lui garantira un titre ? En un sens, c'est même très moral ..

Comme on le voit, la caricature, ici, est très amère et Ann n'aura pas trop de sa douceur et de sa force d'âme pour parvenir sans trop de blessures à une fin que Jane Austen, en dépit de son expérience personnelle, a voulu heureuse. Il faut dire que, si elle tenait à venger son lecteur du comportement outrancier et presque vulgaire de Sir Elliott et d'Elizabeth tout au long du livre, la romancière n'avait pas d'autre choix.

mardi, juillet 24 2007

La Voleuse d'Hommes - Margaret Atwood (Canada).

The Robber Bride Traduction : Anne Rabinovitch.

"La Voleuse d'Hommes" est un roman toujours aussi épais mais d'une optique un peu plus humoristique que celle observée dans "Le Tueur ..." et dans "Captive." C'est aussi une réflexion sur la nature de la Vérité (car en fait, on ne saura jamais qui était la vraie Zenia qui recrée sans cesse la Vérité, souvent dans son propre intérêt, parfois gratuitement, pour le seul plaisir de faire le mal) et sur les conséquences qu'implique sa révélation. Voilà pourquoi c'est un détail de la lithographie "La Vérité" de Verlinde qui a été utilisé par le Livre de Poche pour la jaquette de ce roman.

Ainsi que le mentionne la quatrième de couverture, tout commence par un déjeuner pris au "Toxique" - c'est un restaurant qui, la nuit, voit se réunir pas mal de toxicomanes - par trois quinquagénaires dont l'amitié remonte au temps de l'université.

La première à entrer en scène, c'est Tony (diminutif d'Antonia) Freemont, une femme si menue qu'elle peut encore s'habiller en 36 et qui donne des cours d'histoire militaire à l'université. Son intérêt, que dis-je, sa passion pour les grands stratèges et toutes les sortes de batailles possibles et imaginables a constitué très tôt pour elle une façon de se replier sur elle-même, de s'isoler, de se protéger. Tony n'a pas eu d'enfants de son mariage avec Stewart que cette gauchère contrariée devenue ambidextre et adepte de l'écritutre-miroir, appelle "West" (= presque Stew, mais inversé et avec un petit jeu entre le "t" et le "s") depuis des lustres.

Pour la seconde de nos héroïnes, l'isolement a d'abord revêtu l'abandon de son premier prénom, Karen, pour devenir Charis. Somnambule et victime dès l'enfance, possédant sans doute un sixième sens très aigu qui, en dépit des apparences, l'a bel et bien sauvée de la folie ou du suicide, Charis ne parle et n'agit qu'en fonction de méditations, de zen, d'auras, d'ondes, etc ... En dépit de sa fragilité, en dépit de la terreur-panique du rejet et du manque d'amour qui la minent, Charis, à sa propre stupeur, trouvera cependant en elle la force d'affronter la "renaissance" de Zenia. D'un objecteur de conscience américain désireux d'échapper à la guerre du Viêt-nam et réfugié au Canada, elle a eu une fille, qu'elle a choisi de prénommer August mais qui, avec l'âge, a décidé de se réapproprier son prénom en lui ajoutant un "a."

Quant à la troisième, Roz, je l'ai trouvée tout simplement épatante. Un personnage jovial et teigneux, une "femme forte" - dans tous les sens du mot - et dotée d'un optimisme salvateur. Son point faible à elle - son jardin secret où elle s'isole volontiers et dont Zenia jouera sans scrupules, c'est l'image du Père. Elle a épousé un avocat arriviste, Mitch, qui a multiplié les aventures avant de tomber dans les bras de Zenia et de ...

Or donc, comme elles le font depuis une éternité une fois par semaine, ces dames déjeunent ensemble. Et qui voient-elles passer devant elles dans la salle du "Toxique" ? Zenia ! Zenia à l'enterrement de laquelle elles ont pourtant assisté il y a quelque temps. Zenia qui avait été victime d'un attentat à Beyrouth. Zenia qui, à chacune de ces trois femmes qui furent, chacune à son tour ou simultanément, ses amies, a volé l'homme qu'elles aimaient - ou croyaient aimer - pour mieux le rejeter ou l'abandonner par la suite.

Zenia, fille d'une Russe blanche qui prostituait sa fille dès ses cinq ans. Ou alors Zenia, fille d'une tzigane lapidée en Roumanie. Zenia, fille de Grecs orthodoxes particulièrement pieux qui, en raison de la piété de ses parents, ne put jamais dénoncer le prêtre qui l'avait violée. Zenia, miraculée d'un cancer - dont elle n'a en fait jamais souffert sauf ...

Zenia, dont on ne saura en fait jamais la vraie nature : ni Tony, prête pourtant à la tuer avec le Luger de son père ; ni Charis, qui parvient à lui pardonner avant de l'abandonner à son tour ; ni Roz, qui était prête à céder à son dernier chantage ... ni le lecteur.

Un bon roman, à ne réserver cependant qu'aux inconditionnels de la romancière canadienne car - à mon sens en tous cas - il n'a pas ni la perfection glacée du "Tueur ..." ni la maîtrise absolue de "Captive."

lundi, juillet 23 2007

Northanger Abbey - Jane Austen.

Northanger Abbey Traduction : Josette Salesse-Lavergne

« Northanger Abbey, » que Jane Austen acheva de rédiger en 1803 mais qui ne fut publié que treize ans plus tard, est de loin son roman le plus caustique.

Une fois de plus, l’héroïne qu’elle a choisie, Catherine Morland, est issue de la petite bourgeoisie anglaise – son père est clergyman - et vit dans un paisible village du sud de l’Angleterre où, on le devine, les occasions de se distraire sont plutôt rares ou alors si routinières que mieux vaut ne pas s’y appesantir.

Avec les ans, Catherine prend donc l’habitude de lire beaucoup, et essentiellement des romans, genre littéraire qui, à cette époque, était plutôt considéré par nombre de bien pensants comme une espèce de sous-littérature.

C’est l’Age d’Or du « roman gothique » dont Jane Austen nous cite ici les grands noms, aujourd’hui bien oubliés si l’on excepte Horace Walpole, Ann Radcliffe, Maturin et bien sûr Matthew Gregory Lewis. Catherine raffole de ces ouvrages où pullulent les spectres et les princes du Mal et passe des heures à en lire les péripéties.

Un jour cependant, une voisine de ses parents, Mrs Allen, femme frivole et assez sotte qui ne parle guère que lieux communs et toilette, l’invite à l’accompagner à Bath, station thermale et ville fort à la mode de l’époque. (Quelques années plus tard, Dickensbrossera de cette ville un portrait tout aussi ironique dans les « Pickwick Papers. »)

Arrivée à Bath, Catherine déchanterait assez vite si Mrs Allen ne se voyait reconnue par une ancienne camarade de pension, Mrs Thorpe, laquelle leur présente deux au moins de ses enfants : la somptueuse Isabel, jeune fille « dans le vent » d’une grande beauté et le présomptueux John, son seul fils, en qui Jane Austen caricature à plaisir le « dandy » dans toute sa gloire.

Tout de suite, Isabel se prend d’un affection démonstrative et presque déclamatoire pour la douce, timide et naïve Catherine. Quant à son frère, qui, par un hasard comme les affectionnent les romanciers de tous âges et de tous genres :wink:, a eu pour condisciple à Oxford le propre frère de Catherine, James Morland, il se pose tout de suite en prétendant sérieux quoique non désiré.

Pourquoi non désiré ? Eh ! bien, parce que John Thorpe non seulement est laid mais il est de plus stupide et parfaitement épuisant. Tandis que sa soeur ne saurait prononcer un mot sans tomber dans les déclarations outrancières – attend-elle cinq minutes qu’elle parle de « dix heures d’ennui effroyable » - son frère, lui, fait pratiquement les demandes et les réponses, disant ainsi tout et son contraire, et s'en s'en rendre compte un seul instant, qui pis est. Quant aux sujets sur lesquels il se montre intarissable, on en fait vite le tour : les chevaux, la mode, le jeu, la fortune d’un tel ou d’une telle. Ajoutez à cela qu'il aime à lever le coude et le portrait sera complet.

En dehors de cela, rien. A la différence de sa soeur qui, au moins, lit des romans, John, lui, ne lit pas. (Vous imaginez l'horreur ? ... )

Fort heureusement pour elle, Catherine a également fait la connaissance de Henry Tilney et de sa sœur, Eleonor. Le premier ne lui est pas tout à fait indifférent, il faut bien le dire. Quant à la seconde, sa douceur et son bon sens l’attirent irrésistiblement. Aussi, lorsque le général Tilney, leur père, l'invite à faire un petit séjour chez eux, à Northanger Abbey, est-elle au comble de la joie.

Entretemps, James, son frère, s’est fiancé avec Isabel, ce qui n’empêche nullement cette dernière de continuer à flirter à droite et à gauche, notamment avec le capitaine Frederick Tilney, frère aîné de Henry et d’Eleonor, débarqué à Bath pour y prendre un peu de bon temps …

Voici, résumés tant bien que mal, les divers ingrédients qui vont permettre à Jane Austen de nous raconter, sur le ton pince-sans-rire qu'on lui connaît mais qui, dans ce livre, atteint au summum, une histoire certes sans prétention mais qui se laisse lire avec un vif plaisir. Ainsi qu’il est d’usage à l’époque, les méchants verront leurs espoirs s’effondrer et les gentils seront récompensés. Le lecteur, quant à lui, se sera bien amusé même si la conclusion moralisatrice n'est pas sans lui évoquer les oeuvres de la comtesse de Ségur.

Si vous n’avez jamais lu cet écrivain dont les idées et le style demeurent, malgré tout, beaucoup plus proches du XXème siècle que du XIXème, « Northanger Abbey » constitue, avec ce chef-d’œuvre que demeure « Orgueil et Préjugés », le meilleur moyen pour aborder son œuvre. Si j'étais vous, je commencerais cependant par "Orgueil et Préjugés", plus profond que cette pochade de grand talent qu'est "Northanger Abbey."

dimanche, juillet 22 2007

Orgueil & Préjugés - Jane Austen.

Pride & Prejudice Traduction : V. Leconte & Ch. Pressoir

Pour nombre de ses lecteurs, "Orgueil & Préjugés" demeure le chef-d'oeuvre de Jane Austen. Il faut dire que tout, ici, est parfait : les pièces s'emboîtent les unes aux autres au millimètre près, rien n'est laissé au hasard et un souffle de puissance passe sur l'ensemble.

Une fois de plus, surtout si on le compare à celui de ses contemporains (les soeurs Brontë, Mary Shelley, Byron, etc ...), le style de Jane Austen frappe par son extraordinaire modernité. Certes, il appartient au XIXème siècle par la richesse du détail mais il est déjà du XXème par l'emploi fréquent de phrases courtes et incisives et, plus encore, par la modernité de la critique sociale.

Il est vrai que, dans les romans d'Austen, nulle allusion n'est faite au statut des domestiques, des ouvriers ou des paysans, encore moins à celui de plus misérables qu'eux. Le domaine de la romancière, c'est la bourgeoisie et la petite aristocratie. En revanche, cette célibataire volontairement ou non endurcie (la dot de Jane ne devait pas être très conséquente) s'attaque avec énergie au statut de la Femme dans la société pré-victorienne.

Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle n'y va pas de main morte !

En ce XIXème siècle qui commence avec les débordements pourtant si peu matérialistes des Romantiques, la femme qui ne dispose pas de suffisamment d'argent soit par la naissance, soit par l'héritage n'a pas d'avenir - à moins d'un miracle qui reste toujours possible, il est vrai. Dépendante en effet, elle le sera toujours : soit de son père qui, s'il ne lui garantit pas une dot adéquate, lui ferme la porte d'un bon mariage, soit de ses frères (et de ses belles-soeurs) qui, à la mort du père, auront reçu le titre éventuel et la plus grande partie de l'héritage, soit enfin de son mari qui, s'il ne se soucie pas de lui garantir un douaire, risque de faire d'elle l'une de ces "parentes pauvres" dont Balzac a donné une idée en France avec sa "Cousine Bette."

Cette critique, tour à tour féroce et poignante, reste un leitmotiv dans l'oeuvre d'Austen mais jamais peut-être on ne le ressent autant que dans "Orgueil & Préjugés" où Jane et Elizabeth Bennett ont la plus grande peine à se faire une place au soleil par le mariage en raison : a) du peu de fortune de leur famille ; b) et du laisser-aller qui préside à la relation entre leurs parents.

Intrépide, naturelle mais cependant toujours profondément digne, le personnage d'Elizabeth se fait ici le porte-parole de l'auteur pour dénoncer l'hypocrisie sous le sens des convenances et la mise-en-quarantaine de certain(e)s afin que soit préservé l'équilibre d'une société désespérément figée. Austen va même jusqu'à dénoncer le fait que tout (ou presque) soit autorisé aux hommes alors que les femmes doivent subir, subir et encore subir ...

Pour le reste, si vous ne connaissez pas encore l'histoire des amours du beau et arrogant Mr Darcy avec Elizabeth ni celle de son ami, Mr Bingley, avec Jane, sa soeur aînée, l'heure est venue pour vous de vous y plonger. Vous n'y perdrez pas car, sous le vernis du roman d'amour, "Orgueil & Préjugés" constitue l'une des plus fines et des plus implacables analyses qui aient jamais été faites sur la bonne société britannique du temps. ;o)

vendredi, juillet 20 2007

Raison & Sentiments - Jane Austen.

Sense & Sensibility Traduction : Marcelle Sibon

Henry James et Virginia Woolf l'ont célébrée à l'envi : il faut bien admettre que Jane Austen ne ressemble à personne lorsqu'elle s'avise de disséquer la société dans laquelle elle est née. Ses dialogues, qui dissimulent autant qu'ils en disent, sont de véritables chefs-d'oeuvre, aussi travaillés que ceux - d'un tout autre genre mais eux aussi britanniques - de P.G. Wodehouse.

Pourtant, le monde qu'elle n'a cessé de dépeindre dans ses livres demeure un monde aussi clos que celui que l'on rencontre dans les romans dits "à l'eau de rose" ou encore "pour jeunes filles de bonne famille." Les valeurs qu'elle défend, force morale, discrétion, réserve, bonne éducation, on les retrouve par exemple chez des auteurs plus humbles, comme Delly en France. Un même parallèle peut s'établir quant aux thèmes repris, plus nettement féeriques chez Delly mais qui, chez Austen, descendent eux aussi des histoires de jeunes filles mal aimées ou méconnues qui, pourtant, finissent un jour par atteindre au bonheur.

Dans "Raison & Sentiments", qui fut son premier ouvrage de grande ampleur, le lecteur assiste au véritable parcours du combattant qui attend Elinor Dashwood, jeune fille de bonne mais modeste famille, amoureuse du fils aîné de Mrs Ferrars, vieille femme de caractère snob et méprisant qui s'oppose, bien entendu, à tout mariage considéré par elle comme inférieur à la condition et à la fortune de son fils Edward.

Comme si cela ne suffisait pas, la pauvre Elinor, à la suite d'un concours de circonstances que je vous laisse découvrir, est prise comme confidente par Lucy Steele, laquelle affirme être fiancée secrètement à Edward depuis que celui-ci a séjourné chez son père.

Vous imaginez le martyre ? ...__

Mais un martyre bien entendu subi dans la plus grande dignité par la sage et très raisonnable Elinor.

En contrepoint, sa soeur cadette, Marianne, laisse parler ses sentiments envers le beau mais tout aussi libertin Willoughby. Marianne est en effet une nature excessive et l'on peut voir en elle une caricature très fine des sentiments romantiques de l'époque qui prenaient alors leur essor - Jane Austen mourut en 1817, probablement des suites de la maladie d'Addison, sur laquelle on n'avait pas encore mis de nom.

Surviennent évidemment la découverte des véritables intentions de Willoughby - épouser une fille fortunée - puis la dépression de Marianne et son repli sur soi. Si elle souffre en silence, nul ne peut en tous cas ignorer sa douleur tant celle-ci est visible. Jusque dans le malheur, les deux soeurs sont aux antipodes l'une de l'autre et il faudra près de 370 pages en édition de poche pour que la cadette comprenne toute la grandeur de l'attitude de sa soeur.

Comme toujours chez Austen, les seconds rôles sont irremplaçables: Mrs Jennings, qui nous apparaît tout d'abord comme une insupportable bavarde mais nous révèlera peu à peu une nature attachante et généreuse ; son beau-fils, sir John Middleton, petit hobereau brouillon mais sympathique ; ses deux filles, lady Middleton et Charlotte Palmer, toutes deux sottes comme des oies mais chacune dans un registre différent ; le dévoué colonel Brandon et, telles deux cerises d'un rouge agressif sur une montagne de crème, Mr et Mrs John Dashwood, demi-frère et (demi-)belle-soeur d'Elinor et Marianne. C'est à eux que Jane Austen a confié l'ouverture du roman, en un dialogue (chapitre 2) allègre et grinçant où elle dénonce pour la première fois le triste sort qui était fait à son époque aux veuves et aux filles laissées sans grand héritage par leur père.

Avec "Orgueil et Préjugés" et sans doute "Northanger Abbey", "Raison & Sentiment" reste à mes yeux le plus plaisant des six romans achevés par Jane Austen dans sa courte vie.

mercredi, juillet 18 2007

Captive - Margaret Atwood. (Canada).

Alias Grace Traduction : Michèle Albaret-Maatsch

"Captive" est un roman ... captivant, ceci dit sans aucun jeu de mots.

On sait avec quel intérêt Atwood a souvent oeuvré sur la condition des femmes dans la société. Ici, elle se base sur un crime réellement commis au Canada le 23 juillet 1843 pour y brosser un portrait saisissant de la condition qui était faite aux femmes de condition modeste à cette époque, avec la prison et l'asile psychiatrique en filigrane.

Les détails (du meurtre) étaient croustillants ; Grace Marks était singulièrement jolie et aussi extrêmement jeune (16 ans lorsqu'elle se fit la complice de James Mc Dermott) ; Nancy Montgomery, la gouvernante de Kinnear (et première victime des assassins) avait auparavant donné naissance à un enfant illégitime et était la maîtresse de Thomas Kinnear ; lors de son autopsie, on découvrit qu'elle était enceinte. Grace et James Mc Dermott, lui aussi employé chez Kinnear, avaient fui ensemble aux Etats-Unis et la presse les supposait amants. L'association de sexe, de violence et l'insubordination déplorable des classes inférieures se révéla très affriolante pour les journalistes de l'époque.

Voici ce que, dans sa postface, nous dit l'auteur des faits historiques qui l'inspirèrent. Comme on le voit, il y avait là-dedans de quoi ravir les amateurs actuels de "Détective" !

Mais le plus étrange, c'est que, si James Mc Dermott fut pendu parce qu'on avait pu établir sans problème qu'il avait tué Thomas Kennear sans que Grace fût présente, il s'avéra impossible de trancher aussi nettement dans le cas de la mort de Nancy et de la complicité de Grace. Cette dernière donna au moins quatre versions des faits et surtout, il semblait bien qu'elle ne se rappelait rien. Du coup, on commua sa condamnation à mort en détention à perpétuité. Mais, si l'on excepte une crise d'hystérie qui la conduisit à séjourner un temps dans un asile psychiatrique, elle se conduisit toujours en prisonnière modèle. La femme du gouverneur du pénitencier s'intéressa à elle, lui confia même des tâches ménagères (Grace cousait de façon remarquable) et même si cela fût long, on finit par obtenir sa grâce, après trente ans d'emprisonnement. On lui procura un emploi, une maison et elle finit par se marier et se faire oublier.

Je ne vous raconterai pas tout ce que le talent d'Atwood est parvenu à tirer de tout cela. Sachez pourtant que, aux deux tiers de ce livre qui tient en haleine son lecteur, celui-ci, tout heureux, finit par penser : "Mais oui ! mais c'est bien sûr !" ... Malheureusement, quelques chapitres plus loin, la conviction qu'il croyait désormais la sienne est à nouveau remise en question, de façon très subtile. Et si l'auteur a l'air de se jouer de nous, n'est-ce pas, finalement, parce que son personnage n'a cessé de se jouer des autres ?

Comme toujours chez la romancière canadienne, la description qu'elle donne de bourgeoisie - ici, la bonne bourgeoisie canadienne, toute pétrie de ce victorianisme venu de la mère-patrie - est saisissante ... et consternante. Depuis celles de Zola, contant dans son "Pot-Bouille" les mille et une misères d'Adèle, la petite bonne des Josserand, je n'avais lu rien de plus authentique.

Les classes plus modestes sont aussi montrées sur le vif : le père ivrogne de la petite Grace est une horreur ; Dora et James Mc Dermott sont, chacun à sa manière, les représentants d'une domesticité au plus bas, moralement parlant ; Mary Whitney a tout d'une rebelle mais elle est née trop tôt, la malheureuse, tandis que Nancy, plus conservatrice, ne rêve que d'une chose : s'embourgeoiser à son tour. On soulignera d'ailleurs le fait que Grace, en femme avisée, devenue maîtresse chez elle, refusera toujours d'avoir une domestique à demeure ...__

Cependant, chez toutes ces femmes, riches ou pauvres, une constante est présente : la soumission (par nécessité ou par lassitude) à l'ordre masculin.

Et pourtant, franchement, les hommes en cette affaire sont dépeints comme faibles, profiteurs, lâches ... sauf peut-être Jeremiah, le colporteur.

Si quelqu'un d'autre lit ou a lu "Captive", il serait intéressant de confronter nos points de vue sur la culpabilité de Grace. Je réserve donc le mien en attendant. ;o)

mardi, juillet 17 2007

Des Anges & des Insectes - A. S. Byatt.

Angels & Insects Traduction : Jean-Louis Chevalier

Ce livre contient deux longues nouvelles "Morpho Eugenia" et "L'Ange Conjugal", reliées entre elles par un personnage qui y tient pourtant un rôle bien secondaire, le capitaine Papagay. Dans la première, il commande le navire qui enverra nos héros, enfin délivrés, vers l'Amazonie et, dans la seconde, il réapparaît fort à propos dans la vie de son épouse, Lilias, alors que tout le monde le croyait perdu en mer depuis cinq bonnes années. Dans les deux cas, l'action se situe en pleine époque victorienne.

"Morpho Eugenia" est le nom d'un papillon très rare que William Adamson, est parvenu à sauver du naufrage où il a failli périr, alors qu'il revenait d'une longue expédition en Amazonie. Amoureux éperdu de la belle Eugenia Alabaster, dont le précédent fiancé s'est suicidé pour des raisons mystérieuses, c'est après le lui avoir montré qu'il finit par trouver le courage et l'opportunité de demander la main de la jeune fille à son père, sir Harald.

En dépit de l'opposition larvée d'Edgar, l'un des demi-frères d'Eugenia (sir Harald s'est remarié après son veuvage), le mariage se fait. Et voilà William solidement installé chez les Alabaster. Commence aussi le cycle des grossesses d'Eugenia qui, pendant le temps de la gestation, se refuse bien évidemment à son époux.

Ce qui amène William, lentement mais sûrement, à établir une relation entre son destin de mâle reproducteur et celui des mâles chez ces fourmis que, en compagnie de Matthy Crompton, parente pauvre de la maisonnée qui fait aussi office de gouvernante auprès des plus jeunes filles de sir Harald, il aime tant à étudier ...

La fin de l'histoire lui révélera d'ailleurs que, en l'occurrence, il n'aura pas même servi de mâle reproducteur ...

Alors, délivré, William quittera les Alabaster et reprendra le chemin de l'Amazonie. Et c'est sur le pont du navire qui doit l'emmener en Amérique du Sud que le lecteur croise pour la première fois le capitaine Papagay.

Ce capitaine Papagay, il le recroisera une seconde et dernière fois à la fin de "L'Ange Conjugal," la nouvelle que je préfère dans l'ouvrage, peut-être parce que, un peu comme dans "Possession" qui s'interrogeait sur les relations entre deux poètes, elle s'intéresse aux liens qui existèrent entre Alfred Tennyson, ses soeurs (l'une d'elles, en particulier) et Arthur Hallam, le dédicataire du célèbre "In memoriam." Tout cela sur fond de spiritisme et d'écriture automatique, avec une bonne dose d'humour et sans aucun temps mort - ce qui n'est pas le cas pour "Morpho Eugenia."

Une fois de plus, on reste émerveillée par la passion avec laquelle A. S. Byatt met son érudition au service du roman. Son style est toujours aussi exigeant et, tous comptes faits, il conviendrait peut-être de commencer la lecture de son oeuvre non par "Possession" mais par "Des Anges et des Insectes." C'est en tous cas ce que je vous recommande tout en faisant mon mea culpa quant à ce que j'ai pu écrire jadis sur ce dernier livre, qu'une relecture attentive m'a fait découvrir dans toute sa beauté. ;o)

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