Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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A La Découverte de Saint-Simon.

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jeudi, octobre 18 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XXX).

Dans la crainte de voir le Roi et les princes leur échapper en qualité de pénitents et dans le désir de préserver toutes leurs chances d'envoyer Bouillon à Rome, les jésuites débarquent en toute hâte du navire "Fénelon-Guyon" :

"... ... C'était le Carême ; le Père de La Rue prêchait devant le Roi : on fut donc tout à coup surpris que, le jour de l'Annonciation, ses trois points finis et au moment de donner la bénédiction et de sortir de chaire, il demanda permission au Roi de dire un mot contre des extravagants et des fanatiques qui décriaient les voies communes de la piété autorisées par un usage constant et approuvées de l'Eglise, pour leur en substituer d'erronées, nouvelles, etc ... ; et de là, prit son thème sur la dévotion à la sainte Vierge, parla avec le zèle d'un jésuite commis par sa société pour lui parer un coup dangereux, et fit des peintures d'après nature par lesquelles on ne pouvait méconnaître les principaux acteurs pour et contre.

Ce supplément dura une demi-heure, avec fort peu de ménagements pour les expressions, et se montra tout à fait hors d'oeuvre. M. de Beauvillier, assis derrière les princes, l'entendit tout du long, et il essuya les regards indiscrets de toute la cour présente. Le même jour, le fameux Bourdaloue et le Père Gaillard firent retentir les chaires qu'ils remplissaient dans Paris des mêmes plaintes et des mêmes instructions, et jusqu'au jésuite qui prêchait à la paroisse de Versailles en fit autant. ... ...

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XXIX).

Louis XIV va se fâcher et, comme d'habitude quand les nuages en viennent à cacher le tout-puissant Soleil, tout le monde courbe l'échine :

... ... (La partialité des jésuites) avait donc été aperçue ; elle fut appréhendée (1), on voulut les contenir, on en parla au Roi. On lui montra l'approbation du Père de la Chaise et du Père Valois, confesseur des princes, au livre de M. de Cambray ; on mit le Roi en colère et il s'en expliqua durement à ces deux jésuites. Les supérieurs, inquiets des suites que cela pourrait avoir pour le confessionnal du Roi et des princes, et par conséquent pour toute la société, en consultèrent les gros bonnets à quatre voeux (2), et le résultat fut qu'il fallait céder ici à l'orage, sans changer de projet pour Rome. ... ..."

(1) : il faut lire "comprise."

(2) : cette formule railleuse désigne bien entendu les plus hauts dignitaires jésuites. Les jésuites prononçaient en effet quatre grands voeux en entrant dans la Compagnie ; le quatrième était la soumission pleine et entière au Pape en ce qui concernait les missions et les hérésie.

lundi, octobre 15 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XXVIII).

Fénelon décide de se mettre un peu au vert, le temps pour lui de laisser passer l'orage. Il se retire donc dans son diocèse mais, ce faisant, il laisse ses alliés, les jésuites, dans une situation bien embarrassante que Saint-Simon nous expose avec sa minutie habituelle :

"... ... Outre leur liaison intime et de tous temps avec le cardinal de Bouillon, et la leur bien affermie avec M. de Cambray, (les jésuites) haïssaient aussi ses adversaires : M. de Meaux parce qu'il ne favorisait ni leur doctrine, ni leur morale, que son crédit les contenaient et que son savoir et sa réputation les accablaient ; M. de Paris par les mêmes raisons de doctrine et de morale, mais ils frémissaient de plus de ce qu'il était devenu archevêque de Paris sans eux et comme malgré eux ; M. de Chartres parce qu'ils haïssaient et enviaient la faveur de Saint-Sulpice, quoique, sur Rome et d'autres points, dans les mêmes sentiments, mais la jalousie détruisait toute union et de plus, ils sentaient déjà le crédit que ce prélat prenait dans la distribution des bénéfices, et c'était leur partie la plus sensible que d'en disposer seuls ; M. de Reims, qui se ralliait à ces prélats parce qu'il ne les ménageait en rien, et qu'ils n'avaient jamais pu ni l'adoucir ni être soutenus contre lui en aucune occasion. ... ..."

De Bossuet jusqu'à Charles-Maurice Le Tellier, en passant par Godet-Desmarais et Louis-Antoine de Noailles, tous proches du pouvoir, les jésuites s'étaient vraiment mis tout ce qui comptait à dos !

            
                       Louis-Antoine de Noailles, archevêque de Paris.

Ancien élève du collège du Plessis, à Paris, il y avait connu Fénelon dont il se montra si bien l'ami que ce fut lui qui permit de faire entendre la défense de Mme Guyon lorsque celle-ci se trouva attaquée au moment même où elle recherchait la faveur de Mme de Maintenon. Mais l'archevêque de Paris, si partisan de la modération qu'il fût, était aussi - chose rare - un homme honnête et les "Maximes des Saints" ne convainquirent pas sa conscience. Il faut rappeler que, en 1713, il se verra interdire de paraître à la cour parce qu'il refusait d'approuver la bulle Unigenitus, que le Pape avait concoctée à la demande de Louis XIV.

mercredi, octobre 10 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XXVII).

Saint-Simon poursuit donc :

"... ... M. de Reims (un Le Tellier, nous venons de le voir) dans ce grand siège, était d'autant plus odieux au (cardinal de Bouillon) qu'il n'avait pu affaiblir son crédit et sa considération. Le savoir éminent de M. de Meaux, l'autorité qu'il lui avait acquise sur tout le clergé et dans toutes les écoles, ses privances avec le Roi, sa considération, son estime et sa réputation, au-dedans et au-dehors, tout cela piquait l'émulation du cardinal, et lui donnait un désir extrême de lui voir tomber une flétrissure. Enfin le crédit que M. de Chartres (Godet-Desmarais, confesseur de Mme de Maintenon) commençait à prendre sur le Roi à la faveur de cette affaire, porté par son intimité avec Mme de Maintenon, était insupportable à un homme qui voulait tout, et dédaignant de regarder cet évêque que comme un cuistre violet, se voyait cependant obligé à des égards et à des ménagements qui l'outraient.

Toutes ces choses ensemble étaient plus qu'il n'en fallait pour enflammer le cardinal de Bouillon et pour lui faire entreprendre et porter la cause de M. de Cambray autant ou plus que la sienne propre. Je me suis étendu sur ces motifs parce que, sans cette connaissance, on n'en pourrait comprendre les suites. ... ..."

samedi, octobre 6 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XXVI).

  François-Michel Le Tellier, marquis de Louvois. Bien qu'il fût son supérieur immédiat en tant que ministre de la Guerre, Turenne désapprouvait ses méthodes il est vrai particulièrement sanglantes.

Son frère, Charles-Maurice Le Tellier, qui avait été fait évêque de Reims, comptait évidemment au nombre des ennemis du cardinal de Bouillon.

vendredi, octobre 5 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XXV).

Autre haine du cardinal de Bouillon : la famille de Louvois, le tout-puissant ministre de la Guerre de Louis XIV, hostile à Turenne et ennemi juré des huguenots et du quiétisme. En outre, né Tellier, Louvois, si haut qu'il fût parvenu, portait la tare de la roture :

"... ... Les mêmes Bouillons n'étaient pas moins ennemis des Telliers. M. de Louvois, brouillé à l'excès avec M. de Turenne, et diverses fois humilié sous son poids, l'avait rendu depuis à toute sa famille, et jusqu'à MM. de Duras, ses neveux, l'inimitié s'était perpétuée. ......"

             
   Henri de La Tour d'Auvergne-Bouillon, vicomte de Turenne - Né protestant, il se convertit au catholicisme sous l'influence de ... M. de Meaux.

jeudi, octobre 4 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XXIV).

On aura remarqué depuis longtemps l'indescriptible volupté avec laquelle Saint-Simon rapporte toutes les histoires secrètes des plus grandes familles. Avec le soutien accordé par le cardinal de Bouillon à Fénelon, l'occasion lui est fournie d'exposer en long et en large les nombreuses raisons qu'avaient les Bouillon (qu'il orthographie, selon l'usage du temps, avec un "s") d'en vouloir aux Noailles, que la faveur de Mme de Maintenon avaient portés au plus haut et qui, bien entendu, dans l'affaire Fénelon-Guyon, ne pouvaient que prendre fait et cause pour leur bienfaitrice et parente :

... ... Les Bouillons et les Noailles étaient ennemis de tous les temps : les principales terres des Noailles étaient dans la vicomté de Turenne ; ce joug leur était odieux, ils le voulaient secouer. Le procès en était pendant* depuis nombre d'années, et se reprenait par élans, avec une aigreur extrême et jusqu'aux injures, jusque là que les Bouillons avaient reproché aux Noailles, dans les écritures du procès, qu'un Noailles avait été domestique** d'un vicomte de Turenne de leur maison.

C'était avec un dépit extrême qu'ils voyaient briller les Noailles dans la splendeur des dignités, des charges, des emplois et du crédit, et ce fut avec rage que le cardinal de Bouillon vit arriver M. de Châlons à l'archevêché de Paris, où (lui-même) avait tâché d'atteindre autrefois, et devenir incessamment*** son confrère par le cardinalat. ... ..."

* : le procès était en cours.

** : le mot "domestique" signifie "attaché à la maison des Turenne" mais désigne un aristocrate. Il ne peut en aucun cas être pris dans le sens que nous lui donnons de nos jours.

*** : M. de Châlons n'allait pas tarder à devenir cardinal.

mardi, octobre 2 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XIII).

Sous Louis XIV, il y avait en gros quatre sortes de Conseil :

a) le Conseil de Gouvernement dont les participants étaient appelés à la dernière minute. Il comportait très peu de membres et traitait en somme des urgences.

b) le Conseil des Affaires, ou Conseil d'En-haut, où Louis XIV n'admettait personne de droit, pas même le Dauphin. Là encore, un tout petit comité - cinq personnes maximum sous le Roi-Soleil. On peut considérer le Conseil d'En-haut comme l'ancêtre de l'actuel Conseil des Ministres républicain. Politique extérieure et parfois politique intérieure y étaient à l'ordre du jour.

c) le Conseil des Dépêches, qui traitait de toutes les questions d'administration intérieure du royaume.

d) et enfin le Conseil des Finances, que Louis XIV instaura lorsqu'il fit arrêter Fouquet et décida d'assumer seul la charge de surintendant des finances.

Louis XIV préside son Conseil.

samedi, septembre 29 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XXII).

Ceux qui se rappellent leurs cours d'Histoire ne manqueront pas de faire remarquer que Louis XIV était connu pour avoir déclaré, après la mort de Mazarin, qu'il ne prendrait plus jamais de premier ministre. C'était un fait bien établi. Aussi Saint-Simon, qui ne l'ignorait pas plus que ses contemporains, juge-t-il utile de nous préciser :

"... ... Ce dernier point du Conseil n'était pas à beaucoup près si aisé à imaginer raisonnablement que les espérances de Rome : le Roi n'avait jamais mis d'ecclésiastique dans son Conseil, et il était trop jaloux de son autorité et de sembler tout faire pour se résoudre jamais à un premier ministre ; mais Bouillon était l'homme le plus chimérique qui ait vécu en nos jours, et le plus susceptible des chimères les plus folles en faveur de sa vanité, dont toute sa vie a été la preuve. Un peu de sens aurait pu lui découvrir qu'indépendamment de la difficulté du côté du Roi, il n'était pas sûr que, si ses amis les eussent pu vaincre, c'eût été à son profit, et que M. de Cambray n'eût pas mieux aimé prendre pour soi ce qu'il eût pu procurer à un autre ; mais, outre ces chimères, le cardinal de Bouillon haïssait personnellement les adversaires de M. de Cambray, et aurait peut-être encore plus que lui triomphé de leur condamnation. ... ..."

vendredi, septembre 28 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XXI).

Après avoir mis une fois de plus en avant la stupéfiante candeur du cardinal, Saint-Simon ne craint pas d'ajouter :

"... ... (Le cardinal de Bouillon) avait l'obligation (à Fénelon et à ses amis) d'avoir vaincu la répugnance du Roi pour l'envoyer relever le cardinal de Janson, et celle encore de lui avoir obtenu l'agrément et la protection du Roi pour faire élire l'abbé d'Auvergne, son neveu, coadjuteur de son abbaye de Cluny. C'était avoir pris l'orgueil qui gouvernait uniquement le cardinal par l'endroit le plus sensible. Il ne se démentit donc point à leur égard lorsqu'il vit leur crédit en désarroi , et il espéra les remettre en selle par le jugement qu'il se promettait de faire rendre à Rome. Tout l'animait en ce dessein, le fruit d'un si grand service, et on prétendit que le marché entre eux(1) était fait, mais à l'insu des ducs, que le crédit de l'un ferait l'autre cardinal en lui faisant gagner sa cause, et que le crédit de celui-ci, relevé par sa victoire et sa pourpre, serait tel en soi et sur les deux ducs, à qui il serait alors temps de parler et sur lesquels il pouvait tout, qu'ils feraient entrer le cardinal de Bouillon dans le Conseil, d'où Bouillon ne se promettait pas moins que de s'élever à la place de premier ministre. ... ..."

(1) : entre Fénelon et Bouillon, naturellement.

Peu à peu, se dégage ainsi la volonté de Fénelon et des siens de se propulser à la tête de l'Etat. Rappelons que Fénelon avait été le précepteur du duc de Bourgogne, fils du Grand-Dauphin et petit-fils de Louis XIV et que, en 1697, personne ne pouvait se douter que le jeune homme - pas plus que son père, d'ailleurs - ne règnerait jamais.

Louis, duc de Bourgogne - Petit-fils de Louis XIV, il sera le père de Louis XV. Il mourra sans avoir régné, après son père, le Grand Dauphin, et sa femme, Marie-Adélaïde de Savoie, en mars 1712. Il avait tout juste 30 ans. /center

mercredi, septembre 26 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XX).

Conscient de se trouver en bien mauvaise posture, Fénelon se résolut à demander l'aide des jésuites. Mais il fit pire : il se mit en tête de porter son affaire devant le Pape. Quand on sait que, depuis Philippe IV le Bel, les rois de France ont toujours vu d'un très mauvais oeil l'ingérence du Vatican dans les affaires intérieures du pays, on se demande, ma foi, quelle mouche le piqua ce jour-là.

Compromis en cette affaire, nous allons retrouver notre ami, le cardinal de Bouillon, celui que nous avons déjà vu faire tant d'histoires pour obtenir le dauphiné d'Auvergne parce que cette terre permettait à son possesseur d'afficher le titre de "prince-dauphin."

"... ... Le cardinal de Bouillon" nous dit donc un Saint-Simon aux anges, "n'avait pas moins envie (d'aller à Rome que le cardinal de Janson en avait d'en revenir.) La frasque ridicule qu'il avait faite sur cette terre du dauphiné d'Auvergne, et d'autres encore, avaient diminué sa considération et mortifié sa vanité ; il voulait une absence, et une absence causée* et chargée d'affaires, pour revenir après sur un meilleur pied. Il n'y avait plus que deux cardinaux devant lui, et il fallait être à Rome à la mort du doyen, pour recueuillir le décanat du sacré collège.

M. de Cambray s'était lié d'avance avec lui, et l'intérêt commun avait rendu cette liaison facile et sûre. Le cardinal voyait alors ce prélat dans les particuliers intimes de Mme de Maintenon et maître de l'esprit des ducs de Chevreuse et de Beauvillier, qui étaient dans la faveur et dans la confiance la plus déclarées. Bouillon et Cambray étaient aux jésuites, et les jésuites à eux, et le prélat, dont les vues étaient vastes, comptait de se servir utilement du cardinal, et à la cour et à Rome. Son crédit à la cour tombé, celui de ses amis fort obscurci, l'amitié du cardinal lui devint plus nécessaire. ... ..."

* : c'est-à-dire qu'il désirait qu'on le chargeât d'une mission diplomatique.

mardi, septembre 25 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XIX).

Le plaisir de Saint-Simon touche à son comble quand il dépeint la réaction de la cour et plus encore quand, une fois de plus, il s'en prend à Mme de Maintenon qui, protectrice du duc de Beauvillier, avait tout de même ici de bonnes raisons pour la trouver mauvaise :

"... ... Ce livre choqua fort tout le monde : les ignorants, parce qu'ils n'y entendaient rien ; les autres, par la difficulté à le comprendre, à le suivre et à se faire un langage barbare et inconnu ; les prélats opposés à l'auteur, par ce qu'ils crurent apercevoir de vicieux dans celles qu'il donnait pour vraies. _Le Roi surtout et Mme de Maintenon, fort prévenus, en furent extrêmement mal contents, et trouvèrent extrêmement mauvais que M. de Chevreuse eût fait le personnage de correcteur d'imprimerie et que M. de Beauvillier se fût chargé de le présenter au Roi en particulier, sans en avoir rien dit à Mme de Maintenon, et M. de Cambray* à la cour, qui le pouvait bien faire lui-même.

(Fénelon) craignit peut-être une mauvaise réception devant le monde et en chargea M. de Beauvillier, qui avait des temps plus familiers et seul avec le Roi, pour faire mieux recevoir son livre par la considération du duc, ou cacher, au monde, s'il était mal reçu ; mais ces Messieurs, enchantés par les grâces et par la spiritualité du prélat, s'aliénèrent entièrement Mme de Maintenon par ces démarches : l'un en se faisant le coopérateur public, par une fonction si au-dessous de lui, d'un ouvrage qu'elle ne pouvait voir agréer après avoir pris si hautement le parti contraire ; l'autre, en lui marquant une défiance et une indépendance d'elle, qui la blessa plus que tout, et qui la fit résoudre à travailler à les perdre tous les deux. ......"

* : mis pour "M. de Cambray étant à la cour."

dimanche, septembre 23 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XVIII).

Mais trop de précipitation, trop de confiance en soi aussi, se révèlent en général nuisibles, Fénelon ne va pas tarder à s'en apercevoir. Saint-Simon se fait ici terrible d'ironie :

"... Si on fut choqué de ne le trouver appuyé d'aucune approbation, on le fut bien davantage du style confus et embarrassé, d'une précision si gênée et si décidée, de la barbarie des termes, qui faisaient comme une langue étrangère, enfin de l'élévation et de la recherche des pensées qui faisait perdre haleine comme dans l'air trop subtil de la moyenne région. Presque personne qui n'était pas théologien ne put l'entendre, et de ceux-là encore après trois ou quatre lectures. Il eut donc le dégoût* de ne recevoir de louanges de personne, et de remerciements de fort peu, et de pur compliment ; et les connaisseurs crurent y trouver, sous ce langage barbare, un pur quiétisme, délié, affiné, épuré de toute ordure, séparé du grossier, mais qui sautait aux yeux, et avec cela des sublimités fort nouvelles et fort difficiles à se laisser entendre et bien plus à pratiquer. ..."

Et Saint-Simon d'ajouter, avec malignité :

"... Je rapporte, non pas mon jugement, comme on peut croire, de ce qui me passe de si loin, mais ce qui s'en dit alors partout ; et on ne parlait d'autres choses jusque chez les dames ; à propos de quoi on renouvela ce mot échappé à Mme de Sévigné lors de la chaleur des disputes sur la grâce : "Epaississez-moi un peu la religion, qui s'évapore toute à force d'être subtilisée." ..."

* : Il faut lire le mot dans le sens d'"affront."

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XVII).

Avant de l'envoyer chez l'imprimeur, Bossuet avait eu l'honnêteté de faire lire son "Instruction ..." non seulement à Godet-Desmarais (M. de Chartres) et aux archevêques de Reims et de Paris mais aussi à Fénelon lui-même. La réaction de M. de Cambrai ne se fait pas attendre :

"... ... Ce dernier sentit tout le poids (de l'"Instruction ...") et la nécessité de la prévenir. Il faut croire qu'il avait sa matière préparée de loin et toute rédigée, parce que autrement la diligence de sa composition serait incroyable, et d'une composition de ce genre. Il fit un livre inintelligible à qui n'est pas théologien versé dans le plus mystique, qu'il intitula "Maximes des Saints", et le mit en deux colonnes : la première contenait les maximes qu'il donne pour orthodoxes et pour celles des saints ; l'autre, les maximes dangereuses, suspectes ou erronées, qui est l'abus qu'on a fait ou qu'on peut faire de la bonne et saine mysticité ; avec une précision qu'il donne pour exacte de part et d'autre et qu'il propose d'un ton de maître à suivre ou à éviter. Dans l'empressement de le faire paraître avant que M. de Meaux pût donner le sien, il le fit imprimer avec toute la diligence possible, et pour n'y perdre pas un instant, Monsieur de Chevreuse s'alla établir chez l'imprimeur, pour en corriger chaque feuille à mesure qu'elle fut imprimée. Aussi la promptitude et l'exactitude de la correction répondirent-elles à des mesures si bien prises, qu'en très-peu de jours, il fut en état de le distribuer à toute la cour, et que l'édition se trouva presque toute vendue. ... ..."

samedi, septembre 22 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XVI).

Au début de 1697, Bossuet, qui avait été à même de juger de la mauvaise foi de Mme Guyon puisqu'il avait maintes fois discuté avec elle avant qu'on ne la menât à la Bastille, Bossuet se lance dans la mêlée. Son arme : l'"Instruction sur les états d'oraison", que ce styliste brillant n'a aucune peine à composer aussi vite que l'exige la situation :

Jacques Bénigne Bossuet, l'"Aigle de Meaux." Il avait été précepteur du Grand Dauphin et ce fut lui qui rédigea en 1682 la déclaration des libertés de l'Eglise gallicane face au Pape.

samedi, septembre 15 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XV).

Avant de nous aventurer plus loin, il convient de se mettre d’accord sur ce que signifie le mot "quiétisme." Au sens large, nous avons affaire à un élément commun à la philosophie hindoue, au néo-platonisme d’Alexandrie et au mysticisme chrétien. On voit donc qu’il vient de loin. Son but est d’amener l’homme à la contemplation pure de Dieu, seule capable d’engendrer en lui un amour tout aussi pur. Pour ce faire, le quiétisme exige la mort de la volonté personnelle.

Mais pour les ennemis de Fénelon, le terme « quiétisme » désigne exclusivement une méthode pour prier. Ladite méthode enseigne qu’il faut prier sans penser aux attributs de Dieu (la Sainte-Trinité, par exemple, principe si difficile à comprendre pour le commun des mortels), sans se préoccuper du bien d’autrui ou même du sien, encore moins du salut de son âme. Peu importe également d’accomplir ou pas tous les actes extérieurs si chers aux pratiquants : pénitences, mortifications, combat face à la tentation, tout cela est désormais secondaire, voire inutile.

Bref, on prie pour le seul plaisir de prier, pour jeter l’âme dans une exaltation spirituelle qui n’est pas sans évoquer – mais cela ne se faisait évidemment pas à l’époque – les transes des shamans, le tournis des derviches, les excès de certains starets russes, etc … Avec cette différence que l’oraison quiétiste se veut passive. Et elle sous-entend que l’état de félicité dans lequel se retrouve le croyant est une forme de perfection éternelle : la contemplation éternelle et merveilleuse de Dieu dans son unité.

Contrairement à ce que l’on croit souvent, Miguel de Molinos n’a pas inventé cette doctrine qui apparaît par taches à cette époque, çà et là, dans de très nombreux écrits et prédications, dans toute l’Europe. Il s’est contenté d’en faire la synthèse et c’est ainsi que sa « Guide spirituelle pour dégager l’âme des objets sensibles … » a remporté le succès que l’on sait avant d’être formellement condamnée par Innocent XI.

Au XVIIème siècle, ne plus se soucier de la Trinité, de la Résurrection et aller jusqu’à estimer que l’âme pouvait accéder à la béatitude pourvu qu’elle supposât sa damnation voulue par Dieu lui-même, cela sentait le souffre et, pour tout dire, le souffre huguenot. En effet, toute cette passivité s’opposait aux « œuvres. » La confession devenait inutile, l’aumône tout autant. Molinos alla jusqu’à prétendre que les souillures du corps – le fameux « péché » - étaient sans gravité du moment que l’âme, elle, demeurait absorbée dans sa contemplation de Dieu. Dans de telles conditions, il est normal que l’Eglise catholique se soit sentie menacée.

Du côté des philosophes et des scientifiques de l’époque, c’était un peu le même son de cloche. Le quiétisme de Molinos niait le libre-arbitre et donc la raison et, par là-même, il niait la connaissance. Malebranche et Leibniz allaient donc se ranger aux côtés de Bossuet dans la querelle. Seul un disciple de Spinoza se risqua, en Hollande, à fonder une secte théologique dont les idées sont très proches du quiétisme.

              

Miguel de Molinos, les poignets liés par des chaînes qui demeurent visibles - Il mourut dans les geôles de l'Inquisition, à Rome, le 28 décembre 1696.

vendredi, septembre 14 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XIV).

L'affaire prend ici de réelles allures d'affaire d'Etat. Ce n'est pas seulement la volonté de Mme de Maintenon que vient d'enfreindre Mme Guyon : c'est celle de Louis XIV :

"... ... On voulut être éclairci : une servante qui portait le pain et les herbes fut suivie de si près et si adroitement qu'on entra avec elle. Mme Guyon fut trouvée et conduite sur le champ à la Bastille, avec ordre de l'y bien traiter, mais avec les plus rigoureuses défenses de la laisser voir, écrire ni recevoir des nouvelles de personne. Ce fut un coup de foudre pour M. de Cambray, et pour ses amis, et pour le petit troupeau qui ne s'en réunit que davantage ... ..."

Selon le mémorialiste, Fénelon lui-même ne se doutait donc pas de la gravité de la situation dans laquelle il se retrouvait coincé.

La Bastille et son quartier, au XVIIème siècle.

mercredi, septembre 12 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XIII).

Il n'est déjà pas bon de déplaire à une favorite royale. Alors, quand celle-ci n'est autre que l'épouse légitime du monarque ... En renvoyant Mme Guyon, Mme de Maintenon signe la fin de la faveur pour Fénelon. L'attitude, à la fois imprudente et téméraire, que prend alors Mme Guyon sera désastreuse pour elle et nous demeure assez incompréhensible. Sa confiance en la puissance de son mentor était-elle si puissante qu'elle ne vit pas venir le danger ? Toujours est-il que, nous conte Saint-Simon :

"... ... On sut qu'elle continuait à voir sourdement du monde à Paris ; on le lui défendit sous de si grandes peines qu'elle se cacha davantage, mais sans pouvoir se passer de dogmatiser bien en cachettes, ni son petit troupeau de se rassembler par parties autour d'elle, en différents lieux. Cette conduite, qui fut éclairée, lui fit donner ordre de sortir de Paris. Elle obéit ; mais incontinent après, elle vint se cacher dans une petite maison obscure du faubourg Saint-Antoine.

L'extrême attention avec laquelle elle était suivie fit que, ne la dépistant de nulle part, on ne douta pas qu'elle ne fût rentrée dans Paris, et, à force de recherches, on la soupçonna où elle était, sur le rapport qu'on eut des voisins des mystères sans lesquels cette porte ne s'ouvrait plus. ... ..."

mardi, septembre 11 2007

Fénelon, Mme Guyon & le Quiétisme (XII).

Mme de Maintenon, en Ste Françoise Romaine, par Mignard. Elle est alors l'épouse morganatique mais non déclarée de Louis XIV. La doublure du manteau qu'elle arbore ici en atteste : on y discerne l'hermine, accordée aux seules personnes de la famille royale.

mercredi, septembre 5 2007

Fénelon, Mme Guyon et le Quiétisme Vs. Bossuet (XI).

Jean Racine, au centre, lit "Esther", la pièce qu'il a composée spécialement pour les élèves de Saint-Cyr. La scène se situe à l'Institution. A droite, on reconnaît le Roi et Mme de Maintenon, assis, tandis que les courtisans s'amassent derrière eux. Sur la gauche, quelques dames et élèves de Saint-Cyr écoutent le poète. Deux élèves répètent apparemment une scène.

C'est justement parce que Saint-Cyr avait déjà eu son lot de scandales, lorsque le Roi et sa cour étaient venus y écouter les représentations d'une pièce de Racine, que Mme de Maintenon ne pouvait plus, à l'époque de Mme Guyon, se permettre un seul faux pas dans la gestion morale de son institution. Prévu pour recevoir des filles de la noblesse dont les familles étaient peu fortunées, voire ruinées - état qu'avait bien connu jadis Françoise d'Aubigné - Saint-Cyr devait les préparer à une vie et à un mariage raisonnables. Si celui-ci tardait, ce serait sans doute le couvent. Mais dans les deux cas, il fallait rester digne et modeste.

Or, le théâtre de Racine et les succès remportés auprès des godelureaux de la cour par les actrices en herbe - des billets doux furent échangés et la clôture franchie - en avaient déjà un peu contaminé l'ambiance. Mme de Maintenon avait eu peine à rétablir l'ordre et elle tremblait toujours que le Roi, revenant sur sa décision de laisser à Saint-Cyr une administration laïque, ne se ravisât et ne forçât les maîtresses à prononcer leurs voeux.

Elle n'avait d'ailleurs pas tort de s'inquiéter : après le scandale Guyon qui, il est vrai, avait touché l'Etat, c'est ce qui arriva. Or, Mme de Maintenon, comme Françoise d'Aubigné et Françoise Scarron, s'était toujours défiée des couvents.

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