Du nouveau dans ce blog ; voici une nouvellle lettre, bien loin du B : le "F".

Je précise par ailleurs que cet abécédaire est en diffusion continue sur le forum de Nota Bene : http://notabene.forumactif.com/chroniques-au-jour-le-jour-textes-essais-l-ecriture-sur-nota-bene-f12/nouvel-essai-abecedaire-t6549.htm . N'hésitez pas à y faire un saut !

F comme « Fantasme »

Définition

Fantasme (nom) : Fantôme ou spectre. Dans son sens moderne, désigne une scène imaginaire révélant les désirs inavoués, secrets, interdits ou refoulés d’un individu. A volontiers une connotation sexuelle. L’étude des fantasmes est une branche de la psychanalyse, qui y voit un moyen improbable de classifier la personnalité d’un patient. Exemple : L’Amour est un fantasme de romantique absent.

Le fantasme est entre la fantaisie, l’imaginaire et le phantasme, le trouble hallucinatoire bien connu des médecins ; il convient de ne pas confondre ces trois termes. Si la fantaisie et l’imagination sont des processus actifs, le phantasme est dicté par l’abus de drogue ou par un état déraisonné ; la fantaisie se rapproche par sa structure et sa découpe du monde au merveilleux, l’imaginaire en appelle au fantastique. Où se place dès lors le fantasme ? Il s’agit en réalité d’une image perçue en état second, en appelant au merveilleux, mais d’une si grande clarté que son éclat est bel et bien fantastique. Le fantasme naît d’abord d’un rêve ou d’une hallucination ; puis, par sa force ou par sa pertinence, il parvient à se hisser au monde réel et devient, par la force des choses, un but à briguer de toute urgence. Mais jamais l’exactitude du fantasme ne peut être atteinte, toujours en a-t-on des bribes. Le scénario peut certes répondre trait pour trait à ce que l’on rêva, il n’est jamais qu’une réécriture, à la manière de Gus Van Sant qui tourne à nouveau Psycho ; et aussi fidèle puisse-t-il être, ce n’est jamais la vision que l’on caressa en rêve. Tout être normalement constitué, dit-on, est habité par un ou plusieurs fantasmes. Sans être une quelconque preuve d’un désordre mental, il n’est pas plus un élément de normalité. Ce n’est qu’un fait divers, un addendum ; l’étude d’un fantasme ne révèle en rien la personnalité de son possesseur. Tout au plus peut-on dire qu’il aime le chocolat, le port de lunettes, les plages de sable fin. Mais peut-on pour autant cataloguer un personnage qui aimerait écouter de l’opéra ? Cela semble pour le moins surprenant. La question brûle vos lèvres. Attendiez-vous que je la formule à votre place ? Quand bien même vous n’y songiez même pas, je me fais comme un devoir de l’exprimer. Quels seraient donc mes fantasmes ? À dire vrai, à l’instant où je compose ces lignes, je n’en ai « foutrement » aucune idée. Il me semble en avoir, pourtant, notamment du point de vue sexuel ; des scénarios, construits de bout en bout, se passant dans des endroits sordides ou insolites, parkings souterrains, salles de bain luxueuses, cabines d’essayage. Je me présente, seul, unique, puissant ; la dame de mes pensées se trouve devant moi, gorgée de désir, rougeoyante, volontaire. Je ne suis pas dominant, elle n’est guère dominée. Mais nous explosons mutuellement d’un profond vœu, convaincu que c’est ici et maintenant qu’il nous faut nous empoigner. Nous bondissons, et nos râles de plaisir font trembler la terre entière. Nos peaux sont griffées, nos joues rouges, notre énergie se décuple. Notre étreinte dure des heures durant, pas un nuage pour obscurcir notre intense intimité : nous sommes inépuisables, pas un hère pour nous déranger, pas une position qui s’avère inconfortable sur la longueur. Nous en varions autant que faire se peut, tantôt au-dessus, tantôt au-dessous, debouts ou allongés, suspendus même. Nous effeuillons le Kâma-Sûtra, et faisons une croix au fur et à mesure que nous « testons » ses propositions. Alors, las, trempés, apaisés, nous nous accolons l’un à l’autre, ma main dans la sienne, je la presse contre mon torse et elle se blottit, protégée. Je suis heureux. Rien de scabreux, je le crains. Et des détails semble-t-il rapidement expédiés. Ce n’est point ici que l’on se rincera l’œil, j’en ai hélas bien peur. Je ne suis pas de première force pour mettre sur papier ce genre de lutte. J’en ai pourtant fait l’expérience, parfois sur la demande expresse d’un ami qui souhaitait me mettre au défi. Je n’ai décliné l’offre que par politesse, avant d’effectivement m’y atteler le soir venu, afin de me convaincre. J’ai peur, néanmoins, de ne pas avoir été à la hauteur. Écrire ce combat, tout comme écrire un fantasme, relève davantage de l’instinct que du talent ou du génie. Il faut bien plus que du vocabulaire ou de la syntaxe, bien plus qu’une virgule. Il s’agit de se lire, de se lire plusieurs fois même, et de saisir à pleines mains le problème. Ce sont des corps qui s’emmêlent, des soupirs qui s’échangent. Le papier même se doit de transpirer. Sans pour autant tomber dans le vulgaire ou la stricte pornographie, il faut être chamboulé à la lecture, comme si tout s’était, pour ainsi dire, déroulé devant nos yeux. L’exercice, je m’en rends compte à présent, m’apparaît comme excellent pour tâter des capacités écritoires. Car qu’est l’épreuve écrite, l’épreuve d’invention surtout, si ce n’est construire de ces images par la seule force de sigles qui, s’ils sont bien pourtant des dessins, ne sont pas figuratifs ? Si, choisissant ce sujet plutôt qu’un autre, l’effet attendu et produit est bien le bon, alors l’on pourra s’amuser à écrire la Camargue, et les moustiques piqueront le lecteur comme s’il explorait le marais. Le fantasme n’est certes pas nécessaire, mais il reste un atour charmant à exhiber au moment voulu. Cela pimente singulièrement une discussion, cela produit de jolies images, si le conteur est à l’aise ; rien que pour cela, j’en pardonnerai presque aux spécialistes de demander avec insistance de nous les raconter. Les meilleurs sont ceux qui évoquent une odeur d’amour, de haine et de goudron, tant et si bien qu’on le garde dans la bouche pour quelques jours, si ce n’est plus. On raconte d’ailleurs que c’est d’un fantasme que naquit Le grand Incendie de Londres, du moins le titre si j’en crois sa préface ; et diantre, que le titre est beau, pour un si bel ouvrage.

Morphologie

Fantasme évoquera toujours pour moi le fantôme, le spectre. J’ai déjà eu l’occasion d’en voir. J’étais fort petit. Peut-être dix, ou douze ans. Ma grand-mère paternelle venait de décéder, et bien que je ne l’avais que peu connue, j’en portais une certaine détresse dans mon cœur dont l’origine même m’était obscure. Le soir venu, un bruit étrange me tire de ma torpeur. Et au pied de mon lit, la figure de mon aïeule, toute lumineuse et toute blanche, calme, apaisée et apaisante. Je la regarde quelque peu, puis finis par me rendormir. Au lendemain, rien n’y paraissait. Encore aujourd’hui, je peine à croire qu’il ne s’agissait pas d’un de ces songes qui ont l’air si vrai que l’on ignore, jusqu’à ce que l’on se pince selon la maxime populaire, si l’on rêve ou non. Mais cette vision, fut-elle produite par mon esprit torturé ou par un phénomène paranormal incertain, reste profondément ancrée dans ma mémoire. Souvent encore je me la remémore, parfois je m’interroge, parfois je me perds. Je me borne à croire que ce genre de souvenirs forge autant le caractère qu’un matin sucré de printemps, tandis qu’errant, on découvre un ami qui lui aussi nous cherchait. En vérité, notre vie est traversée de fantômes. Des visages vus ou entrevus, qui jamais ne réapparaîtront mais dont on se souvient avec force, sans avoir la prétention d’y mettre un nom ou même de se rappeler où et quand on aurait pu les voir, si on les a effectivement vus, s’ils ne sont pas pures projections mentales. Parfois, un visage est déjà une gageure : on ne se souvient que d’une voix, d’un mot, d’un geste, qui, par sa nature, son incongruité ou sa justesse, nous étonna. Il ne suffit que de cela pour que son écho, comme ces sons lointains qui nous parviennent alors que la fenêtre est ouverte et dont on ignore la provenance, demeure et persiste. Ces « fantômes », tout aussi immatériels, sont pourtant reconnus par la commune engeance, tandis que la première catégorie, étrangement, est rejetée par la masse. Seuls les hurluberlus, prétendent-ils, les vantards, les faux, prétendent les croiser et les rencontrer, parfois même dialoguer avec eux. Si ce n’est pas sur l’essence même de la vision qu’il y a schisme, c’est bien sur la provenance de cette vision que la séparation a lieu. Et cela me dérange nécessairement.

Car je me moque ouvertement des causes, et ne m’intéresse qu’aux effets de cette cause. Le « comment » est à jamais inaccessible. En revanche, le « pourquoi » peut être caressé ; en cela, conviendrait-il mieux de croire que ce monde est bien illogique somme toute. Je crois en l’existence des spectres, des esprits, des poltergeists. Je crois en l’existence de présences qui, ponctuellement, visitent notre monde... Je pense aux Mouches sartriennes, c’est peut-être tout à fait cela, en moins tragique sans doute. Quand je me signe avant d’entrer dans une église, ou quand dans la rue, me souhaitant courage ou me faisant peur à moi-même avant de me faufiler dans une sombre allée je dessine la croix sur mon torse, je ressens une fois le rite achevé une profonde bouffée d’air frais et d’espoir qui m’envahit tout entier, qui s’introduit par ma bouche et prend niche dans mon estomac. Comment expliquer, sinon par la présence de ces « fantômes », le bien-être qui alors soudain m’envahit ? Ce n’est pas une vue de l’esprit. Le malaise, le trouble, peu importe le nom que l’on peut lui donner, est bel et bien physique, existant. Cela ne me fait pas nécessairement croire au Dieu Chrétien, à Jésus ou à Abraham, pas plus qu’à Bouddha ou à Oreste ; mais cela me fait croire que le geste même que je maugrée éveille la bienveillance d’un je-ne-sais-quoi qui tout entier me pénètre et m’aide, sinon passivement, à surmonter les épreuves.

Pour autant, cela ne fut pas toujours le cas. Bien longtemps m’a-t-on envoyé en baptême, en mariage, bien longtemps m’a-t-on invité à faire le signe sans que je n’en ressente aucun des effets décrits. Mais suite à la mort de ma grand-mère maternelle, cette fois-ci, la foi toute entière s’introduisit en moi. J’en avais sans doute besoin : croire me permettait d’aller au-delà de ma tristesse, et de faire en sorte surtout qu’elle ne soit pas vaine. Sans nul doute à cet instant ai-je créé cette présence qui à présent toujours m’accompagne, peut-être est-ce même l’esprit de mon ancêtre qui m’observe par-dessus mon épaule, et se cache lorsque, par surprise, je tourne violemment la tête pour la démasquer. Tous mes efforts en ce sens ont été jusqu’à présent vains. Elle parvient à se dérober à mes ruses les plus élaborées avec une agilité déconcertante, et que je ne lui prêtais guère du reste. La mort, peut-être, propose une remise en forme pour ce cas de figure. Le fantôme de ma grand-mère n’est ainsi jamais apparu devant mes yeux, a contrario de sa comparse paternelle. Timidité maladive, je présume, comme de son vivant. Mais une ruse maligne, qui la faisait et qui doit encore la faire prévoir les coups du sort, et sitôt l’accident arrivé, arrivait-elle brusquement sur les lieux, pour ne pas en perdre une miette et surtout, aider autant que faire se peut. Sa curiosité était, si l’on peut dire, d’ordre humanitaire ; et je ne crois pas autrement que sa présence, à mes côtés, n’a d’autre ambition que de m’aider à traverser les affres de l’existence. Puisse-t-elle demeurer près, tout près de moi ; et de sa main claire m’indiquer, quand le chemin se fourche, quelle route choisir.