Le vieux grenier
Par BLS le lundi 09 juillet 2007, 18 H 23 - Récit - Lien permanent
Janvier 2000.
Un cerisier aussi a souffert de la tempête. Elle lui a fait faire un quart de tour sur lui-même ! Je n'y touche pas. Attendons le temps des cerises !
Les cerises n'étant pas venues, je décide l'abattage du cerisier. Cet arbre avait déjà souffert et son tronc, coupé dix ans plus tôt à trois mettre du sol, avait laissé repousser un tronc secondaire, comme une baïonnette au bout du canon d'un fusil.
Ce cerisier m'amuse : je veux en faire autre chose que du bois pour le feu. Je scie les branches, laisse deux bons mètres de baïonnette et entreprends de déraciner l'arbre. Je découvre que les racines de cerisier sont étonnantes : il y a une racine pivot, frêle et assez courte, un mètre environ, et de grosses racines presque horizontales, à ras du sol. L'une d'elle est même très épaisse et très longue, à l'allure d'un monstre, un de ces grands animaux rampants de la famille des dinosaures qu'on trouverait aux Galápagos ou à l'Ile de Pâques. Alors ma décision est prise : je vais remettre l'animal sur le sol, dans un trou, et replanter l'arbre, mais baïonnette en bas, enfoncée dans un socle de béton, au fond du trou, au nez de l'animal. On ne verra plus que l'ancien tronc – le canon du fusil –, droit, vertical mais à l'envers, au dessus de la tête du monstre. Et je les séparerai par un miroir où l'on pourra voir, entre le tronc et le monstre, le ciel et les nuages.
Je creuse un trou aux dimensions selon le nombre d'or (1) : le fond, les parois, tout est selon le nombre d'or. Je remplis le fond avec des galets et y pose ma sculpture. Ce sont les plus jolis galets que j'avais choisis et ramassés, un par un, sur la plage des Aresquiers à Frontignan. Environ une tonne de galets de toutes les couleurs, noirs, blancs, bruns, gris, bleus, roses, jaunes, verts, tachetés... Et près du trou et du monstre, j'aménage une plage, rectangulaire selon le nombre d'or, avec du sable fin ramassé la nuit, à la pelle, sur la plage de la Corniche, à Sète. Environ une tonne de sable.
Mais personne ne croira que ce tronc d'arbre reste suspendu en l'air, comme ça, tout seul, en lévitation ! Alors je fais comme l'Empereur du Japon dans son jardin. Je me souviens que tous les cerisiers y étaient maintenus par trois étais en bambou. Je découpe trois morceaux de trois mètres dans les tiges des bambous que j'avais rapportés d'Anduze et les appuie contre le tronc.
Des éclats de rire, du plaisir, de l'étonnement, des questions, nombreuses furent les manifestations joyeuses de tous ceux – nos amis, les amis de nos enfants – qui se sont arrêtés devant cette sculpture. Et combien d'heures ai-je passées, assis devant elle sur un rondin de cèdre, m'identifiant à cet ensemble tranquille, inerte, végétal et minéral – un peu animal aussi ? Béatitude.
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(1) Le nombre d'or, qu'on appelle aussi divine proportion, est un nombre qui correspond au partage considéré comme le plus harmonieux d'une grandeur en deux parties inégales. Il est égal à la valeur de la fraction a/b quand a est supérieur à b et quand les deux fractions a/b et (a+b)/a sont égales. On peut donner à b la valeur qu'on veut, par exemple la valeur 1. On obtient alors l'équation a² −a −1 = 0. Cette équation du second degré a une racine positive égale à (1 + √5) / 2, qui est le nombre d'or, le canon de la beauté. La valeur approximative de ce nombre irrationnel est 1, 618.
Autre approche du nombre d'or : dans une série de nombres où chaque nombre est égal à la somme des deux nombres précédents, le rapport entre un nombre quelconque et celui qui le précède tend vers le nombre d'or.
Exemple : dans la série 0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 89… on trouve, entre autres, les rapports suivants : 21/13 = 1,61538 ; 34/21 = 1,61904 ; 55/34 =1,61747 ; 89/55 = 1,61818…
Le nombre d'or est souvent observé dans les proportions de grands chefs-d'oeuvre : le Parthénon et les temples grecs, la pyramide de Chéops et les temples égyptiens, les églises gothiques, et nombre de peintures et de sculptures depuis l'Antiquité jusqu'à la Renaissance et à l'époque moderne.
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Récit extrait de Carcasses. Pour consulter le livre, cliquez sur la couverture, dans le bandeau à gauche.
Commentaires
Extra Bruno,
je m'amuse beaucoup avec tes récits. Le nombre d'or est en effet le nombre qui correspond aux canons de la beauté grecque. Aujourd'hui nous lorgnons plus facilement vers les anti-héros, enfin ces nombres magiques, démoniaques, ou diaboliques ont bien un certain charme.
Je sais le vide que peut laisser l'abattage d'un arbre, je l'ai vécu avec un Mimosas qui avait beaucoup grandi et dont une racine menaçait de soulever la chappe du garage.
Il a été abattu et la souche a été traitée chimiquement. C'était il y a un peu plus de deux décennies.
Et nous qui nous faisions la paire en passant par la fenêtre d'une chambre au premier étage pour passer sur le toit du garage, et redescendre grâce à cet arbre, avons été privé d'un de nos jeux favoris. Alors, et comment, que je m'en souviens...
C'était chez les grands-parents dans le sud...
Et puis, un arbre, on s'y attache !
Cordialement.
merci.
Je souhaite déplacer un cerisier (cerise aigre) le rabattre et le transporter ailleurs, a t-il des chances de redémarer, ou c'est perdu d'avance. (déplacement cause construction maison)
Merci de me répondre rapidement, j'ai déjà creusé tout autour et je sectionne les racines rencontrées.