Histoire des éoliennes du Languedoc
Par BLS le vendredi 06 juillet 2007, 00 H 14 - Développement durable - Lien permanent
Au début de l'été 1999 furent organisées à Viviers, en Ardèche, les deuxièmes Journées Prosper. Il s'agit de Prosper Dellon, né en 1829, grand-père de ma grand-mère Leclerc. Y sont invités tous les descendants de Prosper.
En pareilles circonstances, les retrouvailles étant faites, les discussions tournent le plus souvent sur la généalogie. J'y apprenais que Prosper Dellon, propriétaire viticole à Salle-d'Aude, à la limite entre l'Aude et l'Hérault, tenait cette propriété d'aïeux dont le plus ancien connu, officier dans l'armée de Charlemagne, reçut cette terre en récompense de hauts faits au retour d'une campagne en Espagne. Comme d'autres officiers sans doute ?
Mais le plus intéressant, chez ce polytechnicien sorti dans le corps des Ponts et Chaussées, fut sa carrière auprès des services du département de l'Hérault, notamment comme ingénieur en chef du Service des Affaires Maritimes. Outre la modernisation du port de Sète – la grande jetée a pour nom épi Dellon
– il inventa et développa un nouveau type d'éoliennes afin d'assainir le littoral, arroser les cultures, submerger les vignes soumises au phylloxéra et dessaler les marais qui rendaient de nombreux villages insalubres. Les éoliennes Dellon
, appelées dans son brevet daté du 23 février 1867, moteurs à vent autorégulateurs
, furent construites selon un plan éminemment ingénieux et plus de deux mille furent installées, entre Aigues-Mortes et Carcassonne.
Il est remarquable que l'utilisation de ces éoliennes, les premières de la série, permirent de réaliser des expériences d'assainissement et de mise en culture des marais voisins du littoral, ceux de la Grande Palus de Vic-la-Gardiole en premier lieu, qui laissaient aux habitants des communes voisines une espérance de vie de dix à quinze ans inférieure à celle des localités situées à l'intérieur du département. Il fut alors prouvé que l'insalubrité n'existait plus là où ces trois facteurs n'étaient pas réunis : l'eau, la température élevée et l'abondance de matières organiques.
On peut lire dans les archives de l'Hérault : Dans le cadre des expériences d'assainissement des marais du littoral méditerranéen, le moulin à vent fonctionnant avec le système Dellon autorégulateur qui avait été d'abord expérimenté près de Frontignan a été transporté en 1874 en bordure de la Grande Palus de Vic avec un rouet (pompe centrifuge à axe vertical) pour faire face aux besoins ordinaires pour l'épuisement1 des eaux et le dessalage de ces marais, chaque fois que la machine à vapeur de 15 CV n'était pas nécessaire.
Les rapports de l'ingénieur en chef A. Simoneau précisent : La voilure s'oriente et s'efface automatiquement, plus ou moins dans les grands vents. On peut abandonner la machine à elle-même sans conducteur et elle est toujours faite à profiter du vent. Le système qui fonctionne très bien a donné jusqu'à 400 litres par seconde. Mais nous n'étions pas parvenus à éviter les avaries dans le cas de vents violents, car la machine prenait des vitesses trop grandes et développait des forces centrifuges trop considérables…
Dans une correspondance relative à la mise en état du matériel d'épuisement pour la remise à la commune de Vic des installations de ce marais, l'ingénieur des Ponts et Chaussées précise en juin 1892 que les deux moulins à vent (Système Dellon) avec rouet élévateur ont toujours suffit depuis 10 ans à ce dessèchement et que la machine à vapeur qui actionnait une roue à tympan est restée au repos.
Etienne Rogier, dans un article du Cahier d'Eole n° 6 de décembre 2002 intitulé Les éoliennes multipales, progrès et tradition, résume les transformations qu'avait subi cette préolienne multipale de type aval et sans gouvernail, selon le système Dellon : le rotor ou partie tournante qui se place en aval du bâti pyramidal, a toujours une forme conique ; la pointe du cône s'oriente spontanément vers la provenance du vent. Sur les huit bras de fer du rotor, la fragiles voiles ont été remplacées par des châssis en bois revêtus de toile, qui pivotent autour de chaque bras. Ils sont poussés en arrière par le vent, et de longs ressorts de rappel ramène les châssis normalement, lorsque le vent faiblit.
Ces éoliennes des étangs ont donc trouvé leurs applications bien au-delà des limites du département de l'Hérault puisqu'on en installa aussi en grand nombre dans les départements de l'Aude et du Gard. Elles servaient aussi à l'irrigation des cultures de foin et de luzerne – les carburants de la traction animale –, à l'inondation des vignes en hiver pour la lutte contre le phylloxéra. Enfin, utilisées à l'aide d'un vilebrequin et d'une bielle créant un mouvement alternatif vertical, elles pouvaient actionner une pompe à piston afin de réaliser des adductions d'eau pour amener l'eau potable dans les petits villages.
Prosper Dellon était téméraire, assurément, et il fallait l'être dans les circonstances qui étaient les siennes. Dans son rapport du 25 août 1867 n'écrivait-il pas, quand les essais antérieurs de moulins à vent pour l'assèchement des marais n'avaient abouti qu'à des déceptions :
Le moteur à employer pour les machines d'épuisement doit être essentiellement économique, et le vent était naturellement indiqué dans une contrée, située au bord de la mer, où il règne presque toujours, où il est puissant et où il fait rarement défaut. Son emploi pour cet usage est comme on sait fort ancien en Hollande, et y rend encore de grands services. Pourquoi ne l'emploierait-on pas sur les bords de la Méditerranée ? Les observations que nous avons faites à Cette, au moyen de l'anémomètre de M. Mangon prouvent que le vent n'y est pas moins permanent qu'en Hollande, ni moins favorable. Il ne se présente pas moins bien par rapport aux pluies, car généralement la pluie est précédée de vents de mer assez forts, qui permettraient de vider les canaux de dessèchement, s'ils ne l'avaient pas été depuis une pluie précédente et de faire place à l'eau qui va tomber ; et la pluie est généralement suivie de vents assez frais qui permettraient d'épuiser l'eau reçue ; mais quelques essais de machine d'épuisement à vent, tentés dans le midi de la France et qui n'ont abouti qu'à des avaries, ont discrédité ce moyen d'épuisement. Très probablement, ces avaries ont tenu principalement à des vices de appareils eux-mêmes. Peut-être le vent est-il sujet sur notre littoral à des rafales plus variables, à des sautes plus brusques qu'en Hollande. En ce cas il fallait conclure des essais faits, non pas que l'on devait renoncer à l'emploi du vent, mais qu'il fallait approprier les appareils en vue de nouvelles circonstances où l'on se trouvait.
Et c'est bien ce qu'il fit !
Mon trisaïeul mourut en 1892 sans avoir connu l'extraordinaire expansion de son invention, en particulier celle qui conduisit à apporter l'électricité dans les fermes et hameaux de nos campagnes au début du XXème siècle.
Les machines d'épuisement furent les ancêtres des aérogénérateurs, les éoliennes productrices d'électricité.
Mais l'énergie du vent ne cessa pas pour autant de servir à l'assainissement des étangs de l'Hérault. Elle constitue même aujourd'hui, grâce à la technique des hydroliennes – ces machines à vent importées du Canada – un formidable espoir pour gagner la guerre de l'oxygène dans les étangs languedociens asphyxiés par le phénomène d'eutrophisation. La photo ci-contre, publiée par Le Figaro du 4 août 2006, montre quatre moulins à vents flottants, à axes verticaux et dont les pâles rectangulaires font tourner une hélice sous l'eau qui provoque la remontée en surface des eaux les plus profondes où l'oxygène est devenu rare et où l'accumulation de vase non aérée provoque une véritable nuisance due au dégagement d'odeurs nauséabondes. La cité balnéaire de Palavas attend donc beaucoup de cette nouvelle technique pour le confort de ses habitants et des estivants, et les conchyliculteurs de l'Etang de Thau voisin aussi, qui pourraient ainsi sauver de l'eutrophisation leurs élevages de moules.
Commentaires
L'éolienne Dellon permet d'assainir le littoral, arroser les cultures, submerger les vignes soumises au phylloxéra et dessaler les marais qui rendaient de nombreux villages insalubres, dis-tu Bruno.... en admettant que cette éolienne puisse servir en complément d'un groupe hydrophore pour puisser l'eau des nappes phréatiques, je peux comprendre le système mais par contre, comment peut-elle traîter un hectare de vignes contre le phylloxéra ? Submerger des pieds de vigne... cela amènerait d'autres prophylaxies comme le mildiou et l'oïdium...
Ishtar, le traitement contre le phylloxéra se faisait en hiver, alors que les maladies de la vigne que tu cites (Oïdium et mildiou) apparaissent et se traitent quand il y a des feuilles, c'est à dire à partir du milieu du printemps et l'été.
C'est comme ça que je vois les choses.
Merci pour ce commentaire.
Désolé Ishtar mais l'agent pathogène du phylloxéra est un insecte qui pique dans le sol les racines de la vigne donc rien à voir avec l'oïdium ou le mildiou et la lutte par la submersion était faite en hiver. actuellement on utilise des porte-greffe américain résistant au phylloxera.
On a tort d'opposer systématiquement les anciennes multipales aux machines actuelles.
Lorsque l'on fait des bilans de puissance, il faut le faire par rapport au mètre carré de surface utile balayée.
On s'aperçoit alors que les machines actuelles sont de bien plus mauvais rendement.
Les machines multipales ont l'avantage de posséder du couple moteur par basses vitesses de vent, et, à mêmes caractéristiques de pales et même calage, il n'y a pas de différence de vitesse de rotation entre une tripale et une 12 pales.
Il est des erreurs fondamentales, des idées sans fondement, en bref, des choix néfastes, et, l'éolien d'aujourd'hui en est un.
Notre association de sauvegarde des éoliennes multipales a trouvé une ancienne éolienne, en fait un vestige d'éolienne (pylône et gouvernail). Elle ressemble étroitement à celle qui figure sur la photographie de votre article. Peut être est ce une éolienne DELLON !