J’avais tout juste vingt- quatre ans lorsque je suis arrivé dans cette maison du Montana située le long de la voie ferrée qui relie Anaconda à Dillon distantes l’une de l’autre d’une centaine de kilomètres.

A première vue, cette demeure ressemble à une gare. Forcément, là où elle est sise, on en serait vite arrivé à cette conclusion. Pourtant, il n’en n’est rien. Jamais aucun train ne s’est arrêté pour permettre à quelque passager de monter ou de descendre !

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La première approche de ma nouvelle résidence se fit lors de ce que j’appelle une nuit artificielle. Cela me conduit à penser que, depuis le jour où j’ai franchi le seuil de cette maison, je suis passé d’une époque à une autre. Venant de New York, il m’était permis de penser que je deviendrais le chroniqueur de cet espace réduit en établissant un pont entre ce microcosme et mon imaginaire fécond.

Il fallait que cela s’accomplît et j’avais été choisi par une sorte de muse qui devait venir de la voie lactée. Je devais aller au bout de moi-même et bien plus encore !

J’ai aussi décidé qu’une fois mon installation terminée, je m’attellerais à illustrer tout ce que j’écrirais. Dans cet univers restreint que je ne quitterais plus désormais, il me faudrait une grande imagination pour y créer en aquarelle et en mots toutes les scènes de café, de bureau, de motel, de compartiment de chemin de fer et d’en assurer l’unité ; d’y faire vivre une condensation d’êtres humains venus, eux aussi, de la voie lactée.

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Les mots deviendraient paysages et cette profondeur lumineuse ou obscure constituerait la frontière entre ribambelles de mots et camaïeux de bleus de densité inquiétante.

Ces créatures humaines et noctambules produisent un imaginaire que je prendrai plaisir à alimenter à ma guise avec mes références de cinéma, de théâtre et de peinture.

Pouvoir impliquer une vision sans l’assistance d’une narration, tel est mon désir. Raconter, suggérer une atmosphère, un événement en peu de mots mais avec un maximum d’illustrations.

La nuit est la distance bleutée qui contient des instants d’irrationalité. De la journée, tout sera normal, voire banal, dans ce coin de terre perdu. Durant la nuit non traumatique, les relations entre les choses et les personnages traverseront ma sphère hors du temps, briseront ce sentiment d’isolement ou de solitude.

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Ces gens, ces objets, ces sons, ces couleurs, ces formes m’inciteront à la méditation qui se mêlera à un fond d’âme mélancolique, un peu pessimiste sur ma rencontre avec le flux de la voie lactée. Celle-ci établira un pont entre le lecteur spectateur et mon envie d’établir une mise à distance nécessaire donnant des images saisissantes. Elles reproduiront avec l’eau et quelques pigments bleutés. Ces aquarelles suspendront l’emprise d’une émotion exprimée par une série de mots simples, accumulés en bloc, puis sculptés et enfin lissés pour aboutir à une correspondance parfaite entre l’image et les unités linguistiques agencées en énoncés bien balancés.

PREAMBULE OU GENESE D’UNE SERIE DE CONTES

Blue Case, l’écrin bleu. C’est ainsi que j’ai appelé cette maison. Ma demeure du Montana jusqu’à la fin de mes jours. Le hasard m’a conduit vers cet état,un des moins peuplés et des plus ruraux, le " Pays du Grand Ciel " au cœur de cette faune et flore remarquable, non loin des pics majestueux des RED ROCK LAKES". Selon les légendes indiennes, ces vastes pâturages peuplés de buffles, à l’époque, furent leur terre promise. Le Montana attira d’innombrables prospecteurs d'or et d'argent. Il en a conservé étrangement, telles des empreintes, une centaine de villes fantômes dont ma maison en fait partie. J’y ai installé une boîte optique envahie par la puissance de la lumière lactée éclairant la voix de ma muse. C’est en somme un moyen de convertir en histoire ce que la nuit bleue me laisse entrevoir par la fente étroite de mon imagination. Ici, pas de piscine, pas de courts de tennis, pas de TV... Moi qui recherchais une Amérique authentique, un mode de vie proche de la nature, j’ai frappé à la bonne porte ! Presque rien n'a changé depuis le temps des pionniers, Une fenêtre, une lucarne, une porte entr’ouverte, une fissure dans le mur sont des accès suffisant pour laisser pénétrer différents points de vues éclairés par cette lumière poétique très profonde, appréhendant une énigmatique présence, décentrant tout à coup toutes les valeurs héritées d’une enfance urbaine dans un temps immobile, dans une énergie sublimée, analysée et disséquée à l’infini. Vivre sous les cieux magiques, lever les yeux vers le ciel et s’interroger sur les âmes qui le peuplent, observant le site de la maison bleue à la verticale et qui, bientôt, viendront y jouer. Au-delà de cette route, il doit y avoir pas mal de monde qui discute sur la destinée de cette demeure azurée non loin de Bannack. Tout y paraît fantomatique, si calme alors que cette propriété dont je suis fier baigne dans une constante ébullition, une fermentation spirituelle, hantée par les « grandes âmes » du peuple américain. Des galaxies s’y cognent !

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