Le Blog d'Atelecrit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

CONTES BLEUS DE LA MAISON AU BORD DE LA VOIE LACTEE

Fil des billets

mercredi, juillet 16 2008

CONTE 1 ROOSEVELT'S BLUES

ROOSEVELT'S BLUES

manivelles_panavision.jpgROOSEVELT_8.jpg

C’est en août 1921, alors qu’il est en vacances au Canada que la maladie le frappe brutalement après une baignade imprudente. Il est atteint par la poliomyélite et restera partiellement paralysé pour le reste de sa vie. Sa jambe gauche est complètement hors d'usage et il sera obligé de réapprendre à marcher, à se lever, à se déplacer et s'asseoir à l'aide de cannes et de dispositifs orthopédiques, mais aussi grâce à sa femme Eléonore et à sa volonté de survie. C'est aussi grâce à l'effet thérapeutique des eaux de Warm Springs, en Géorgie, et à sa persévérance qu'il échappe de justesse à la paralysie. Pendant de nombreuses années, il devra passer plusieurs mois par année à la station thermale de Warm Springs.

ROOSEVELT_1B.jpg

Mais aujourd’hui, apparemment nous sommes en 1932 et Roosevelt a complètement récupéré physiquement de sa maladie, si ce n'est bien sûr l'usage de ses jambes, et je crois qu’il est prêt à se lancer dans une longue et épuisante campagne électorale. Je l’ai aperçu par la fenêtre de la cuisine. Je suis sur le ponton du petit lac attenant à la maison bleue. J’ai compris que lorsque le soir je quitte cette demeure nouvellement acquise, des personnages, des hommes des femmes s’y donnent rendez-vous et vivent des aventures impénétrables. Ces figures ne sont pourtant pas des inconnus. Aujourd’hui, c’est donc Franklin et Eleanor qui ont pris possession des lieux à mon insu. Il n’est pas question que je réintègre mon habitation avant la fin de la nuit. Cela briserait cette vision inopinée. Je l’ai compris tout de suite. Le merveilleux doit être observée de loin. Je ne fais pas partie de cet événement hors de mon époque.

L’étrange, n’existe pas simplement à l’extérieur. Le fantastique est en nous, et en ce moment, cela grandit dans la lumière rose et jaune de ma maison du Montana. Un film en trois dimensions projeté depuis la « voie lactée » sorte de bande blanchâtre tracée dans le ciel nocturne par le disque galactique, juste au cœur du lac au bord duquel j’observe donc la scène. Je suis devenu spectateur du soir en pleine nature. Appelez ça le Bulbe Galactique de la Mémoire collective. Appelez ça le Choc Magnétique de l’Inconscient. Appelez ça les chimères de la Ville Fantôme. Moi, je le vie en tant qu'homme comme en tant qu'écrivain, et j’éprouve éprouve une attirance pour ces entités humaines "rares", qui disposent inconsciemment de dons occultes et ne se manifestant que dans des circonstances singulières.

VOIE_LACTEE_5.jpg

La notion d'espace extratemporel que je perçois au travers de ces manifestations déconcertantes est celle dont les transformations au cours du temps ont eu le plus d'incidence sur ma conception que de la place que j’occupe dans l’univers : acteur ou spectateur. A première vue, ces événements risques de reculer les frontières de l’impossible bien au-delà du vingt-et-unième siècle et amplifier une espace restreint. Il y a dans mon désir instinctif d'aller au-delà des limites courantes une parcelle importante de rêve, et nombreuses seront donc les visions tridimensionnelles qui ont eu à l'origine une part de rêve. Ma nouvelle conception de l'espace ainsi obtenue a non seulement bouleversé l'assurance que mes propres croyances me donnent en tant que témoin privilégié dans des univers parallèles.

Franklin, est à présent sorti sur la terrasse, juste à côté de la porte d’entrée. Il est assis au bord du plancher : Il ne parle ni ne bouge. Il a posé sa capeline grise sur ses épaules. Son chien, Fala, son inséparable compagnon rusé, dynamique, courageux, impétueux et indépendant scottish terrier. L’animal, dévoué à sa famille d’accueil, st assis à quelques mètres du futur président des Etats-Unis et montrae bien là qu’il est réservé, ne donne pas son amour et sa dévotion gratuitement. Il a besoin d’exercices quotidiens. Roosevelt tient à la main une rose rouge soustraite au bouquet qu’il a offert à son épouse Eleanor.

ROOSEVELT_BLUES_1.jpg

ROOSEVELT_BLUES_5.jpg

Les bras de la Voie Lactée sont constitués par d’ondes de densité dans lesquelles des particules sont chahutées comme les voitures emprisonnées dans des embouteillages routiers.

Ces ondes sont favorables à la formation de pensées en amorçant le phénomène de contraction du temps. La rotation des diverses paroles intérieures n'y est pas uniforme dans le temps. A l'emplacement de la maison bleue, le halo visible se trouve à l'extérieur, endroit où mes yeux le découvre et mes oreille interne perçoit nettement la conjugaison de sons, les amas d’inflexions organisées en paroles distinctes mais déjà prononcées par les personnages au cours de leur vie. Il existe donc en ce moment et pour la première fois depuis que j’occupe cette maison, un univers non imaginé mais conduit par un phénomène céleste, reconnaissable entre tous, faits d’images tridimensionnelles, monde exact mais inexplicable où règnent des lambeaux d’histoire. Roosevelt, Eléanor et Fala, des personnages connus mais dont les faits et gestes me sont chronologiquement obscurs. La ressemblance de mes acteurs avec les personnages historiques n’est pas factice. La perception de ce monde ouvert qui s’offre à moi sous ce mystère sans lequel il n’existerait nulle possibilité de monde parallèle. Cette ressemblance regroupe impulsivement des visages dans un ordre à la fois séquentiel et mystérieux.

D’après les pensées saisies depuis quelques minutes, nous sommes le è décembre 1941, un jour frappé d’infamie où les Etats-Unis d’Amérique ont été inopinément et intentionnellement attaqués par la flotte et l’armée de l’air de l’Empire du soleil levant.

Dans la rade de Pearl Harbor, la flotte de guerre des Etats-Unis subit donc l’assaut d’une nuée de bombardiers japonais, acheminés près de là par des porte-avions sans avoir été repérés

J’y crois à cette attaque car, parallèlement à la présence et à la réflexion de Roosevelt, je perçois auditivement et visuellement à cette agression. Les images fortes sont projetées sur le voile blanc accroché dans le ciel d’encre. Je distingue nettement l’île Hawaïenne, une vraie merveille ! Ca a l’air propre et calme en ce dimanche. Un mur d’eau d’une hauteur approchant les dix mètres roule progressivement et cette vague déferle sourdement en se dirigeant vers moi, puis s’estompe soudain.

D’après l’aspect du ciel projeté sur le nuage de lait, il doit être entre 6h00 et 8h00 du matin, une vague de presque deux cents avions survole la base américaine. Ce sont en partie des avions torpilleurs, je crois car ils volent à basse altitude tandis que les bombardiers sont eux rivés à une altitude plus élevée. Je distingue deux soldats américains stationnés sous une espèce de radar situé sur un relief assez pointu. A la vue de cette armada inconnue, pris de panique, ils remontent à l’échelle attenant aux installations de détection aérienne. Puis mon regard se repositionne sur les avions surgissant de toutes les directions et passant si bas que, instinctivement, je rentre la tête dans les épaules et courbe légèrement le dos comme pour les éviter.

ROOSEVELT_BLUES_10.jpg

En déplaçant la tête vers la gauche j’aperçois à présent un cuirassé faisant couple avec un autre. Ils sont tous deux à quai. Une torpille, dont je vois distinctement le sillage blanchâtre dans l’eau d’un bleu sombre, fait exploser le navire le plus éloigner du quai et semble l’avoir touché côté bâbord. Un officier, sans doute un commandant, semble s’affairer et donne l’alarme aux autres équipages, croyant sans doute qu’il s’agit d’une explosion accidentelle. Mais d’autres torpilles atteignent le bâtiment et des incendies surgissent d’à peu près tous les côtés du vaisseau qui commence à prendre de la gîte. A tribord, la réaction vient rapidement et les mitrailleuses et canons antiaériens se mettent très vite à riposter. Sur le premier cuirassé, à mon avis les hommes sont piégés, car l’armement du côté bâbord doit être inutilisable. Très vite le navire sombre verticalement sans chavirer en se posant sur le fond de la rade. Son pont, couvert de débris se situe à environ un mètre au- dessus du niveau de l’eau. Mais c’est clair, des incendies dévorent l’intérieur du navire et le feu commence à dévorer l’arrière jusqu’au sommet des mâts.

ROOSEVELT_BLUES_9.jpg

Cette vision m’impressionne car je peux suivre en live ce déferlement inattendu de feu et de fumée âcre alors que le président américain est toujours assis, irréel comme extérieur aux événements que je suis en train de suivre sur l’écran du ciel. Je peux discerné dans ce déferlement apocalyptique l’expression de son état d’âme dont les « paroles » dominent le fracas de la bataille passé au second plan de ce ruban sonore. Sa réflexion m’émeut, sa révolte sourde de ce balcon en bois car le communiqué des Japonais à son dernier message concernant l’éventuelle entrée en guerre des nippons stipulait qu’il semblait inutile de poursuivre des négociations en cours et ne contenait aucune menace claire, aucune allusion à la guerre ou à quelconque attaque militaire. C’est vrai que la distance séparant l’île d’Hawaii du Japon étant assez faible, cette offensive avait dû être planifiée depuis longtemps.



« J’ai été trompé délibérément par de fausses déclarations et des messages d’espoir pour une paix affirmée » confie-t-il à Eléonore au bord des larmes et posant très affectueusement les mains sur les épaules de son mari effondré. Les faits qui se sont déroulés dans mon espace d’imagination parlent d’eux-mêmes.

« Ma chère Eléanor, j’ai pu jugé pleinement les implications de cette lâcheté pour la vie et la sécurité de notre nation. Je vais ordonner que toutes les mesurent soient mises en œuvre pour la défense des Etats-Unis.

-L’histoire, Franky, se souviendra éternellement de cette ignoble outrage, lança son épouse révoltée et abasourdie elle aussi.

-Oui, ma douce et qu’importe le temps qu’il sera nécessaire pour surmonter ce raid concerté. Je suis convaincu que notre peuple américain, convaincu de son bon droit, vaincra d’une façon absolue ! Nous ne nous satisferons pas uniquement en nous défendant sans aucun compromis, mais nous ferons en sorte que semblable perfidie ne nous mettent plus jamais en péril. Je demanderai, dès demain matin, que le Congrès puisse déclarer l’état de guerre entre les Etats-Unis et l’Empire du Japon. Les hostilités sont ouvertes car notre peuple, notre territoire et nos intérêts sont en réel danger. »

Cette fois, ce sont les bombardiers disposés en vol horizontal qui vrombissent au- dessus de ma tête, juste au bout de la jetée qui conduit au petit lac, de l’autre côté de la voie de chemin de fer. Ils arrivent de toutes les directions. Je distingue l’activité sur les navires américains. Les hommes qui se trouvent à bord sont réveillés par toutes ces explosions. Et ceci n’est pas un exercice ! Je vous le confirme ! De véritables scènes de panique attestent que cette attaque surprise a bien pris l’armée américaine au dépourvu. Je vois des officiers supérieurs se ruer sur le pont afin d’organiser la défense tant bien que mal. Il y en aura des médailles d’honneur à distribuer après cette foutue guerre ! Sur le USS West Virginia, un cuisinier en tablier blanc maculé de sang et de traces d’explosifs prend à présent le contrôle d’une mitrailleuse anti-aérienne et essaie comme il peut de la faire fonctionner pour tirer sur des avions japonais. Il en touche un alors que le navire est bombardé simultanément. Des avions américains décollent sous cette pluie de bombes pour essayer de repérer la flotte japonaise.

Tout cela est vain et, dans sa solitude partagée avec Eleanor, Franklin Delano Roosevelt fulmine sous le regard impuissant de son épouse. « As-tu pris ton café, Franklin, lance Eleanor ne sachant quoi faire de plus pour apaiser son mari.

-Peu importe le café, nous sommes une nation éprise de paix. C’est ce Churchill qui veux que l’Amérique entre par la petite porte dans cette foutue guerre !

- Winston n’y est pour rien, chéri, c’est un ami de l’Amérique !

- Mon œil, ouais ! Je suis certain qu’il nous a caché délibérément qu’un détachement spécial japonais avait pris la mer et qu’une attaque comme celle-ci serait déclanchée le 7 !

- Comment l’aurait- il su plus que toi, Franklin ?

- La Grande- Bretagne est douée pour le décryptage de messages diplomatiques et militaires. Je suis convaincu que l’existence de ces interceptions que nous, les Américains, avons été incapables de déchiffrer, fournirait une preuve accablante que l’armée britannique avait connaissance de l’attaque imminente sur Hawaï ou sur les Philippines !

- Es-tu bien sûr que ce cher Winston ne t’en ait soufflé mot même informellement !

- Jamais Eleanor, jamais ! L’attaque sur les îles hawaiiennes, le Gouvernement japonais à également lancé une offensive contre la Malaisie occidentale, pourquoi pas Hong Kong, Guam, les philippines, l’île de Wake et Midway tant qu’il y sont !?

- Tout n’est peut-être pas encore perdu, Franklin ! On peut encore éviter la guerre par des pourparlers avec les…….

-Non, Eleanor !... En tant qu’épouse du président des Etats-Unis d’Amérique, tu dois bien comprendre ceci : J’ai fait tout mon possible pendant des mois de discussion au Congrès pour éviter ce désastre en voulant renforcer nos armées de terre et de mer pendant que d’autres prêchaient la sécurité collective et l’isolationnisme. Je me suis débattu comme un lion pour pouvoir rester hors de la mêlée de ce qui arriverait à l’Europe face aux excès d’appétit de conquête d’Hitler. Les faits qui se passent en ce moment sur l’Amérique parlent d’eux- mêmes, je te l’ai déjà dit Eleanor ! J’ai bien saisi les implications de cette catastrophe et l’histoire se souviendra à jamais du caractère ignoble de cette attaque contre nous !

- Il aurait fallu peut-être accordé plus d’attention à ce qui se fomentait du côté de la Mandchourie, cela nous aurait épargné le sang de nos braves soldats ! »

Eleanor ne se contente pas d’être une épouse vivant à l’ombre de son illustre mari, elle ose donner son avis au président et influe réellement sur sa politique. Qu’importe pour l’instant. Roosevelt hausse les épaules et fronce les sursis. Etre épris de paix pour une nation c’est bien plus qu’un état de fait, c’est surtout une manière de penser. Roosevelt n’attendait pas la guerre dans son fauteuil roulant, en pleine campagne du Montana sur le seuil de ma maison, il ne voulait pas de guerre, il n’était pas préparé à cette guerre ! Le tort peut-être, c’était d’avoir poursuivi les livraisons de « ferrailles » aux Japonais pour qu’ils s’en servent contre les Chinois. Une solution comme une autre d’apaiser les idées belliqueuses des nippons et de gagner ainsi un temps nécessaire afin de créer une puissante armée de terre, de mer et de l’air. Toute cessation de livraison de cette « ferraille » aurait eu comme conséquence la méfiance du Japon à l’égard des américains, considérant cette attitude comme hostile en paralysant ses moyens militaires et en étouffant son économie.

ROOSEVELT_BLUES_11.jpg

Je m’attendais à une troisième vague de bombardement qui par exemple aurait détruit les dépôts de carburant. Mais il n’en est rien car la défense aérienne américaine a pris le dessus et l’effet de surprise a disparu pour l’armée du Soleil Levant ! De toute façon je vois clairement dans les cieux que la deuxième vague a atteint son objectif : neutraliser la flotte américaine dans une pagaille indescriptible. Suffisamment de décibels et de feux d’artifices ont déferlé ainsi au-dessus de cette terre paisible où j’ai élu domicile dans l’espoir d’y couler des jours dans une sérénité la plus parfaite possible !

Le jour pointe déjà Le couple présidentiel et leur chien se sont dirigés vers la voie ferrée qui longe la maison à quelques dizaines de mettre du seuil de la terrasse. Eleanor pousse la voiturette de son époux sur le petit chemin en pente, mal aisé et graveleux suivi de Fala, remuant la queue, tout content de ce déplacement qui fait, pour lui, figure d’événement ! Attendant un improbable convoi ferroviaire qui n’arrivera sans doute pas, mes invités de la nuit stationnent imperturbablement au bord du quai de plain-pied. Franklin perpendiculairement aux rails, Eleanor, derrière lui tient fermement les poignées de la charrette ambulatoire, les yeux rivés sur la nuque de son mari. Dans la lumière encore violacée de fin de nuit, ils se détachent petit à petit du monde des fantômes.

Pour moi, la circulation d’un train à vapeur est toujours une fête ! Je suis revenu à l’endroit exact qu’occupait Roosevelt sur la terrasse au début de ce conte et je les vois ainsi de dos le long de la voie ferrée. De cette façon, grâce à mon poste élevé par rapport à l’assiette du chemin de fer, je vois nettement plus loin qu’eux. J’aperçois, à ma grande joie, un convoi baigné dans une vapeur fluide et continue, labourant l’air de la tranchée entre deux bosquets parallèles. Un long sifflement déchirant monte de la machine, la cloche d’alarme tinte encore discrètement dans le lointain. L’arrivée de ce train accompagné de son concert de sifflets ne perturbe aucunement mes héros de la nuit. Le martèlement des pistons, les jets stridents de la vapeur leur semblent familier et déjà, la fumée âcre, au passage de la locomotive les entoure dans un halot qui les rend presque invisibles. Lorsque la moitié du convoi les a dépassés, c’est l’arrêt total. Puis un long moment d’immobilité déchiré uniquement par le halètement de la machine. La portière du wagon faisant face à Roosevelt s’ouvre lentement sans qu’aucune main sur les poignées ne soit encore visible. Puis un petit homme en descend.

MAISON_DES_CONTES_BLEUS_15.jpg

J’observe la scène avec émotion et curiosité. Je crois le reconnaître. Celui qui n’a jamais prétendu être un grand président des Etats-Unis, mais qui s’est beaucoup amusé à essayer d’en devenir un, saluait Roosevelt. C’est un fameux joueurs de poker ce petit homme au langage martial et au sourire tranquille. Sa petite moustache et ses lunettes ronde rendent ce sénateur bien sympathique qui, à mon avis, doit en ce moment avouer à son président qu’il déteste les japs et qu’il a une solution, une arme nouvelle ! Mais là l’histoire se bouscule, et je dois me tromper dans les intentions de ce sénateur. C’est trop tôt ! Les événements de cette nuit de voie lactée se déroulent en 1941 ! Mais attendons la fin.

ROOSEVELT_BLUES_13.jpg

Les deux hommes ont discuté jusqu’au lever du jour ! Eleanor, déjà dans le compartiment s’est assoupie, la tête contre la vitre du wagon. Il est cinq heures, le ciel s’est complètement dégagé et laisse déjà apparaître une voûte en dégradés de bleu et de rose.

Cette fois-ci, je ne résiste pas, je me suis assis dans le fauteuil à bascule de la terrasse et je m’assoupis ostensiblement, abandonnant la dernière scène de cette aventure étrange et originale. Une secousse me réveille. Le train n’est plus là ! Je suis seul au milieu de cet univers à nouveau rendu à la réalité du jour. Les nuages se sont amoncelés. Le vent du nord-ouest s’est levé et la neige commence à s’amonceler contre le plancher de la terrasse et les jeunes bosquets dispersés dans la plaine. Au-delà de la forêt lointaine, la voie ferrée disparaît dans la couche de neige comme un linceul blanc.

ROOSEVELT_BLUES_12.jpg

Au loin, derrière les derniers arbres de la forêt, une gigantesque bulle de gaz incandescent vient de se former en quelques dixièmes de secondes, un long silence étrange précède une forte inspiration d’air déclenche une petite dépression comme si le vent est aspiré par les poumons de la forêt. Un champignon atomique débute son ascension sans aucun bruit suspect. Je constate assez froidement, avec le recul historique, que la première bombe atomique a été lâchée sur Hiroshima, Harry Truman l’a confié à Roosevelt devant le convoi ferroviaire de cette nuit. Voilà donc la solution du futur président des USA afin de raccourcir l'angoisse de la guerre, afin de sauver les vies de milliers et de milliers de jeunes américains. Il compte l'employer jusqu'à ce que l’Amérique ait complètement détruit les moyens de guerre japonais.

Evidemment, il y en eu une autre, sur Nagasaki, comme chacun sait. La décision du président Truman de lancer la bombe atomique sur Hiroshima reste un des choix les plus controversés de l’Histoire. Un point de non retour dans la façon d’envisager les conflits avait germé ! Alors, je rentre à l’intérieur de la maison bleue qui est redevenue mienne avec le jour qui a chassé la grande sorgue et sa voie lactée. Je songe encore à cette nuit étrange et aux événements graves qu’elle a portés dans son sillage perturbé. Le vent redouble de violence. Les flocons de neige, en ce mois de décembre, viennent s’écraser sur les vitres en tourbillonnant comme pour m’interpeller et me tirer de ma rêverie et de mon isolement.

ROOSEVELT_9B.jpg

PHILOSOPHIE DES CONTES BLEUS

J’avais tout juste vingt- quatre ans lorsque je suis arrivé dans cette maison du Montana située le long de la voie ferrée qui relie Anaconda à Dillon distantes l’une de l’autre d’une centaine de kilomètres.

A première vue, cette demeure ressemble à une gare. Forcément, là où elle est sise, on en serait vite arrivé à cette conclusion. Pourtant, il n’en n’est rien. Jamais aucun train ne s’est arrêté pour permettre à quelque passager de monter ou de descendre !

008.jpg

La première approche de ma nouvelle résidence se fit lors de ce que j’appelle une nuit artificielle. Cela me conduit à penser que, depuis le jour où j’ai franchi le seuil de cette maison, je suis passé d’une époque à une autre. Venant de New York, il m’était permis de penser que je deviendrais le chroniqueur de cet espace réduit en établissant un pont entre ce microcosme et mon imaginaire fécond.

Il fallait que cela s’accomplît et j’avais été choisi par une sorte de muse qui devait venir de la voie lactée. Je devais aller au bout de moi-même et bien plus encore !

J’ai aussi décidé qu’une fois mon installation terminée, je m’attellerais à illustrer tout ce que j’écrirais. Dans cet univers restreint que je ne quitterais plus désormais, il me faudrait une grande imagination pour y créer en aquarelle et en mots toutes les scènes de café, de bureau, de motel, de compartiment de chemin de fer et d’en assurer l’unité ; d’y faire vivre une condensation d’êtres humains venus, eux aussi, de la voie lactée.

010.jpg

Les mots deviendraient paysages et cette profondeur lumineuse ou obscure constituerait la frontière entre ribambelles de mots et camaïeux de bleus de densité inquiétante.

Ces créatures humaines et noctambules produisent un imaginaire que je prendrai plaisir à alimenter à ma guise avec mes références de cinéma, de théâtre et de peinture.

Pouvoir impliquer une vision sans l’assistance d’une narration, tel est mon désir. Raconter, suggérer une atmosphère, un événement en peu de mots mais avec un maximum d’illustrations.

La nuit est la distance bleutée qui contient des instants d’irrationalité. De la journée, tout sera normal, voire banal, dans ce coin de terre perdu. Durant la nuit non traumatique, les relations entre les choses et les personnages traverseront ma sphère hors du temps, briseront ce sentiment d’isolement ou de solitude.

MAISON_DES_CONTES_BLEUS_6.jpg

Ces gens, ces objets, ces sons, ces couleurs, ces formes m’inciteront à la méditation qui se mêlera à un fond d’âme mélancolique, un peu pessimiste sur ma rencontre avec le flux de la voie lactée. Celle-ci établira un pont entre le lecteur spectateur et mon envie d’établir une mise à distance nécessaire donnant des images saisissantes. Elles reproduiront avec l’eau et quelques pigments bleutés. Ces aquarelles suspendront l’emprise d’une émotion exprimée par une série de mots simples, accumulés en bloc, puis sculptés et enfin lissés pour aboutir à une correspondance parfaite entre l’image et les unités linguistiques agencées en énoncés bien balancés.

PREAMBULE OU GENESE D’UNE SERIE DE CONTES

Blue Case, l’écrin bleu. C’est ainsi que j’ai appelé cette maison. Ma demeure du Montana jusqu’à la fin de mes jours. Le hasard m’a conduit vers cet état,un des moins peuplés et des plus ruraux, le " Pays du Grand Ciel " au cœur de cette faune et flore remarquable, non loin des pics majestueux des RED ROCK LAKES". Selon les légendes indiennes, ces vastes pâturages peuplés de buffles, à l’époque, furent leur terre promise. Le Montana attira d’innombrables prospecteurs d'or et d'argent. Il en a conservé étrangement, telles des empreintes, une centaine de villes fantômes dont ma maison en fait partie. J’y ai installé une boîte optique envahie par la puissance de la lumière lactée éclairant la voix de ma muse. C’est en somme un moyen de convertir en histoire ce que la nuit bleue me laisse entrevoir par la fente étroite de mon imagination. Ici, pas de piscine, pas de courts de tennis, pas de TV... Moi qui recherchais une Amérique authentique, un mode de vie proche de la nature, j’ai frappé à la bonne porte ! Presque rien n'a changé depuis le temps des pionniers, Une fenêtre, une lucarne, une porte entr’ouverte, une fissure dans le mur sont des accès suffisant pour laisser pénétrer différents points de vues éclairés par cette lumière poétique très profonde, appréhendant une énigmatique présence, décentrant tout à coup toutes les valeurs héritées d’une enfance urbaine dans un temps immobile, dans une énergie sublimée, analysée et disséquée à l’infini. Vivre sous les cieux magiques, lever les yeux vers le ciel et s’interroger sur les âmes qui le peuplent, observant le site de la maison bleue à la verticale et qui, bientôt, viendront y jouer. Au-delà de cette route, il doit y avoir pas mal de monde qui discute sur la destinée de cette demeure azurée non loin de Bannack. Tout y paraît fantomatique, si calme alors que cette propriété dont je suis fier baigne dans une constante ébullition, une fermentation spirituelle, hantée par les « grandes âmes » du peuple américain. Des galaxies s’y cognent !

Project.jpg